Voix publique

Chronique d’un gâchis annoncé

Trois mois de grève étudiante. Une première dans l’histoire du Québec. Trois mois de gestion de crise menée par le gouvernement avec cynisme et un entêtement aussi partisan qu’idéologique.

Après avoir sous-estimé les leaders étudiants et la résilience du mouvement, la réplique de Jean Charest fut de semer la division dans la société à des fins purement électoralistes.

C’est ce qu’il a fait en tenant la ligne dure sur sa hausse des droits de scolarité de 75% – passée depuis à 82%. La stratégie lui fut payante. Une majorité croissante de Québécois approuvant la hausse et le PLQ opérant une lente remontée dans les intentions de vote.

Lisant les sondages, le gouvernement a laissé pourrir le conflit, les manifestations se multiplier et la hargne s’installer. Deux mois de grève ont passé avant que la ministre de l’Éducation ne daigne convoquer les associations étudiantes à discuter avec son négociateur. Incluant la CLASSE, pourtant présentée jusque-là à tort comme la responsable de la violence. Or, dès le lendemain, la ministre avortait tout en expulsant la même CLASSE! Ce mauvais vaudeville confirmait le refus du gouvernement à résoudre le conflit.

Après trois mois de grève – par hasard le jour de l’ouverture du conseil général du PLQ à Victoriaville -, les associations, dont la CLASSE, sont convoquées à nouveau par la ministre.

Le but: trouver une sortie de crise. Le blitz de négos dure 22 heures, sans sommeil. Le tout, pendant qu’à Victo, l’anti-émeute de la SQ fonce dans une manif infiltrée par des casseurs et où des blessés graves s’ajouteront aux dizaines d’autres blessés depuis trois mois.

La mise en scène de cette négo est aussi cynique que prodigieuse. Tenue in extremis sur fond de réunion partisane, de sessions en péril et d’émeute prévisible, elle est le parfait produit d’une tactique préélectorale conçue pour permettre à M. Charest d’arriver le dimanche devant ses troupes avec son «entente» sous le bras.

Une fois le champ de l’opinion publique bien labouré depuis le début du conflit, cette entente, M. Charest en avait bien besoin. Primo: il n’y recule en rien sur les frais de scolarité. Secundo: une entente mettrait fin à une crise qui l’a bien servie, mais que l’on doit maintenant calmer pour partir en élections, un moment donné, sans se taper des manifs quotidiennes trop risquées dans un tel contexte.

Et là, oups! Le gouvernement échappe le ballon. Sa stratégie de division des derniers mois fait place à l’improvisation et l’amateurisme. M. Charest et ses ministres lancent des déclarations arrogantes pendant que sur les réseaux sociaux, le texte de l’entente circule. Résultat: elle est rejetée massivement. Les étudiants sentent que leurs leaders ont été floués. Ça sent le marché de dupes dans cette entente truffée de «si» et de jeux trompeurs de bascule comptable qui ne réduisent en rien les droits de scolarité.

Panique à Québec. Line Beauchamp est dépêchée dans les médias. Nouvelle cassette: elle renie ses paroles de la veille lorsqu’elle jurait que la réduction des frais afférents espérée par les étudiants, aussi minime risque-t-elle d’être, n’est même pas garantie.

Au moment de mettre sous presse, le vaudeville se poursuit pendant que M. Charest se dit «ouvert au dialogue». Et pour cause!

Si le conflit perdure, l’enjeu rebondira à l’élection. Or, les appuis à la hausse des frais ne sont pas pour autant des votes pour le PLQ. Sans compter que plus les libéraux parlent de trancher la question aux urnes, plus ils appellent les étudiants à voter en masse pour aider à les défaire! Étrange raisonnement.

Pour le bien commun, le gouvernement devrait plutôt quitter son mode erratique de sortie de crise pour le mode résolution de conflit.

Mais quel qu’en soit le dénouement, la crise aura aussi eu du bon. Elle aura sorti le Québec de son silence et de son inertie en redonnant le goût de débattre, même de manifester, pour une société plus juste. L’éducation en étant un élément central.

Au point où selon le prestigieux quotidien britannique The Guardian, les étudiants québécois et leurs carrés rouges sont devenus le symbole de la plus puissante remise en question du néolibéralisme en Amérique du Nord. Au néolibéralisme, on pourrait d’ailleurs ajouter la corruption…

Ce mouvement, non partisan de surcroît, on le doit à la jeunesse, à ses leaders prometteurs pour l’avenir et tous ceux, de tous âges, qui en sont solidaires. Pas étonnant qu’il inquiète des élites de plus en plus conservatrices dont le premier réflexe est de le mépriser.

Car rien ne leur est plus redoutable, à terme, qu’une jeunesse conscientisée, politisée, mobilisée, instruite, comprenant la force de l’action collective et même capable de bâtir des ponts, des vrais, vers d’autres causes et d’autres générations.