Voix publique

Et maintenant, on va où?

La question, plusieurs la posent. Et maintenant, on va où? On fait quoi avec cette reprise inespérée et inattendue de la parole citoyenne née de la plus longue grève étudiante de notre histoire?

S’il est trop tôt pour le dire, un indice important se dessine. On le trouve dans cette «rue» prise pendant des semaines, toutes générations confondues, par des centaines de milliers de Québécois pourtant désengagés de la chose publique depuis des années.

La hausse des droits de scolarité en fut le déclencheur. Le catalyseur fut l’ensemble de l’œuvre du gouvernement Charest et sa loi 78, le point de bascule final.

En restreignant les libertés d’expression, d’association et de manifestation, Jean Charest a montré jusqu’où il était prêt à aller pour faire taire des citoyens de plus en plus en colère. En retour, ils lui ont montré de quelle résistance ils étaient capables.

Les casseroles ont parlé haut et fort. Couverte jusque dans la presse internationale, la désobéissance fut spontanée, large et pacifique. Un véritable coup de poing sur la table d’élites trop sûres d’elles-mêmes.

Depuis le début de la grève, des centaines de manifs ont eu lieu – un phénomène sans précédent sur le continent depuis les grandes luttes sociales des années 60.

Quant au problème de fond, je persiste et signe. À savoir que cette reprise de parole est surtout l’expression d’une colère montante contre la dilapidation du bien commun au nom d’une vision essentiellement néolibérale et affairiste.

Cette vision, elle participe de cette droite qui, un peu partout, n’en finit plus depuis les Reagan et Thatcher, de démanteler, pièce par pièce, les États providence nés de l’après-guerre. Face à l’accélération de cette tendance dans les années 2000, les valeurs identifiées à la gauche refont surface. Qu’on les dise social-démocrates ou progressistes, elles s’opposent à la gloutonnerie des marchés financiers, la complicité de la classe politique, la corruption qui en a découlé et son réflexe parfois autoritaire.

Ces valeurs reposent sur une plus grande équité entre les membres d’une société, en partie, par des services publics fournis à tous sans égard à la capacité de payer de chacun. L’éducation et les soins de santé gratuits et universels étant ses principaux piliers.

Or, dans les faits, ce débat gauche-droite – décliné sous les multiples variantes de chacune – , structure l’univers politique depuis des lustres. Encore aujourd’hui, il est partout en Occident.

Ici, la bougie d’allumage fut une grève étudiante venue réveiller un peuple qu’on croyait endormi pour longtemps. Finalement, le seul vrai dégel qu’aura provoqué Jean Charest dans les derniers mois est celui de la parole citoyenne et des valeurs progressistes.

Le quotidien britannique The Guardian le résumait avec brio: ces étudiants sont devenus le symbole de la plus puissante remise en question du néolibéralisme sur le continent. Point.

Alors, le jour où la grève prendrait fin, on va où? On va, je crois, vers une prise de parole plus étendue encore. Même les intellectuels sont sortis de leurs terres. On va, c’est à espérer, vers une redécouverte de la social-démocratie. On va vers l’arrivée éventuelle en politique d’une génération capable d’éthique et d’équité.

Ça bouge même à Ottawa. Pendant que la grève étudiante commande ici toute l’attention, Thomas Mulcair travaille à faire du NPD une force politique majeure. Hors Québec, on commence même à parler d’une renaissance des forces progressistes au Canada. Dans plusieurs villes canadiennes-anglaises, on tient aussi des soirées «casseroles» pour manifester contre la hausse des frais de scolarité, la loi 78 et le gouvernement Harper! Et pour cause.

À Québec, les ressources naturelles partent aux plus offrants. On marchandise la santé et l’éducation. On multiplie les hausses de tarifs, mais on allège la fiscalité des entreprises. On vend le «droit» à l’école anglaise. Des fonds publics ont été détournés par corruption, collusion et copinage. Les libertés fondamentales écopent. Etc.

À Ottawa, les conservateurs majoritaires accélèrent leur virage à droite. L’offensive est lancée contre l’assurance-emploi, le droit d’association et de grève, les services publics, les transferts en santé et les subventions aux groupes communautaires.

M. Harper jure ne pas vouloir ouvrir le débat sur l’avortement, mais il laisse ses députés faire le sale boulot pour conforter la frange la plus rétrograde de son parti. On sabre dans l’imposition des entreprises. On façonne un nouveau patriotisme militariste et monarchiste. Etc.

Et maintenant, on va où? Bien malin qui le sait avec précision. À part cette forte intuition d’une parole citoyenne appelée à percoler et essaimer pour un temps encore avant qu’elle ne puisse donner sa pleine mesure politique.

Bref, on commence par se refaire la fibre progressiste. N’est-ce pas là, la principale leçon servie par la grève étudiante?