Voix publique

Deux hommes ambitieux

François Legault et Charles Sirois sont deux hommes d'affaires ambitieux. Très ambitieux.

Deux hommes au pifomètre aiguisé, capables de profiter d'une morosité se prêtant parfaitement à une nouvelle "offre de services" politique.

Les objectifs de leur Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) sont donc tout aussi ambitieux: remettre le Québec en mouvement, rétablir la confiance et, tant qu'à y être, réconcilier fédéralistes et souverainistes.

Vaste programme. N'y manque qu'un remède miracle contre le cancer.

Pourtant, leur manifeste "fondateur" contient assez de vent pour alimenter une éolienne…

Ce qui soulève la question suivante: quelle est leur ambition réelle?

Les sondages diront ce qu'ils voudront, mais à deux ans d'une élection où le PLQ s'aligne pour en manger toute une, l'apparition de la CAQ risque de fragiliser le PQ plus qu'un PLQ déjà dans le 36e dessous.

Reconnaissons à ces deux messieurs l'intelligence de le comprendre.

Ce qui explique pourquoi, nonobstant l'image vachement dans l'air du temps d'une "coalition" arc-en-ciel non partisane, ni de droite, ni de gauche, ni souverainiste, ni fédéraliste, la couleur dominante de la CAQ tire nettement plus sur le rouge…

Logique. La plupart des membres de cette "coalition" sont issus du milieu des affaires. Un milieu allergique aux mots "souveraineté" et "social-démocratie".

Voilà donc la clé de l'énigme: ce même milieu ayant perdu tout espoir de voir les libéraux se sortir du trou, malgré l'extrême timidité du PQ sur la souveraineté, il préférerait tout de même trouver un moyen d'éviter un gouvernement péquiste majoritaire.

Et si ce "moyen", c'était la coalition Legault-Sirois?

Un accouplement politique étonnant

Notez que M. Legault, ex-ministre péquiste, s'associe à Charles Sirois – un pur produit de la grande entreprise et ardent défenseur de ses intérêts, fédéraliste engagé aux réseaux d'influence tentaculaires, président du conseil de la Banque CIBC, un proche de Jean Charest et ex-recruteur du Parti libéral. Avouez que c'est tout un cv…

Il pèse lourd dans la balance. Si Legault n'a point perdu ses ambitions de diriger un parti, il semble avoir accepté que ce sera dorénavant au prix d'embrasser le cv de son nouvel ami qu'il peut encore songer à les réaliser un jour.

De fait, les deux seuls souverainistes connus de la CAQ, dont M. Legault, ont dû renier publiquement leur allégeance. Ce que leurs collègues fédéralistes, eux, n'ont pas eu à faire.

Voici pourquoi: selon Legault et Sirois, le développement du Québec n'a plus rien à voir avec son statut constitutionnel. Bref, on peut très bien vivre dans le cadre fédéral tel qu'il est.

Ces messieurs ont beau susurrer que la CAQ n'est ni fédéraliste, ni souverainiste, mais "nationaliste", leur manifeste appuie clairement le statu quo. Ce faisant, il n'est même pas minimalement "nationaliste".

Voilà donc une "coalition" confortable au sein du Canada actuel et qui, en extra, ne prône ni souveraineté, ni fédéralisme renouvelé. Le bonheur total pour le milieu des affaires! Enfin, la sainte paix.

Ce n'est pas un hasard si nos empires médiatiques n'ont de cesse de mousser ces nouveaux Batman & Robin de la politique.

Même Jean Chrétien et Stéphane Dion pourraient signer ce manifeste.

Le rêve de Lucien

Dans ces réseaux d'affaires, Lucien Bouchard occupe depuis plusieurs années une place de choix.

Fondateur des Lucides en 2005 – cette autre "coalition non partisane" s'était fendue elle aussi d'un manifeste taillé sur mesure pour la grande entreprise.

En passant, M. Bouchard est le mentor politique de François Legault.

Impossible de ne pas voir son influence dans cet appel à cesser d'attendre le Grand Soir de l'indépendance.

Leur discours est le même: en attendant on ne sait quoi, vivons avec le Canada tel quel. L'automne dernier, je les ai donc baptisés les "en-attendantistes"…

Remarquez qu'en 1991, alors qu'il était chef du Bloc, M. Bouchard avait déjà tenté quelque chose de semblable. En catimini, jugeant le PQ de Jacques Parizeau trop radical et trop à gauche, il avait cherché à créer un nouveau parti provincial nationaliste de centre droite. Mais le tout avait échoué.

Aujourd'hui, c'est comme si messieurs Legault et Sirois remettaient ça.

Et, encore une fois, la pensée ressemble étrangement à celle de l'ADQ.

Or, l'ADQ, seule, ne peut empêcher le PQ de prendre le pouvoir ou même, le confiner à une victoire minoritaire. Il faut donc croire que les renforts arrivent.

Mais que la CAQ devienne ou non un parti, qu'elle fusionne ou non avec l'ADQ, elle véhiculera son message. Un message appelant à l'inaction sur le front constitutionnel. Et parions que le PQ continuera à ne pas comprendre que son propre silence sur la question depuis 1996 y est aussi pour quelque chose.

La CAQ appellera également bientôt les Québécois à une nouvelle grande corvée de "sacrifices" côté finances publiques. C'est sûr.

Et parions que ces sacrifices, comme d'habitude, le milieu des affaires, lui, n'aura pas à les faire.

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(*) Cette chronique fut mise sous presse mardi après-midi.

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