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Le roi du Plateau : la belle fable et le journalisme approximatif

Article coécrit avec Alexandre Paré, maître en urbanisme. Illustration: Renard

C’est une histoire trop bien écrite, où tous les ingrédients de la fable sont présents, où les lignes de partage sont trop bien dessinées pour ne pas éveiller nos soupçons. Dans le costume de la victime sacrificielle, un petit restaurant familial, véritable institution d’un quartier autrefois populaire. Dans l’habit du bourreau, les habitants intransigeants des luxueux condominiums d’un quartier maintenant bourgeois qui ne supporteraient plus les odeurs nauséabondes des grillades, « saveurs inimitables » qui faisaient jadis l’identité du Plateau.

Mais il y a aussi la Ville qui s’en mêle pour une histoire de pollution, sans qu’on ne comprenne bien le rapport avec les odeurs. Le restaurant le Roi du Plateau est-il condamné parce qu’il incommode les voisins ou parce qu’il est polluant ? Dans les faits, la ville n’impose jamais d’amendes uniquement sur la base des odeurs de cuisson ou de cheminée.

Peu importe, le papier doit s’écrire comme une fable, on peut multiplier les personnages, quid de la rigueur journalistique… Ainsi la tyrannique administration municipale impose au pauvre travailleur et à sa famille la rondelette somme de 52 925 dollars parce que son four à charbon émet des odeurs trop prononcées et/ou qu’il est trop polluant.

Salauds de riches, ils vont faire fermer ce symbole, salaud de maire! Chien ! Tu es en train de tuer les petits commerçants. Comme l’écrit avec toute son impartialité journalistique Émilie Dubreuil, « Juste à y penser, la propriétaire des lieux fond en larme : “Ici, c’est ma famille, les clients m’appellent maman, ils vont me manquer”. » Donne t-on la parole à ceux qui habitent au dessus de ses cheminées et qui ne vivent pas forcement dans des lofts de luxe?

Et si la « journaliste » en avait beurré un peu trop épais pour écrire une bonne histoire plutôt qu’une histoire vraie? Et si nous avions été, encore une fois, trop prompts à nous indigner et à partager cette petite fable sur les réseaux sociaux pour appeler au soutien de ce pauvre restaurateur.

Si notre journaliste  avait donné la parole à la Ville de Montréal, au lieu de construire des victimes exemplaires afin de nous tirer les larmes des yeux, on aurait appris plusieurs choses intéressantes.

D’une part, que M. Sergio Cunha, comme plusieurs autres restaurateurs, avait été averti il y a plusieurs années par la Ville que son four au charbon ne répondait plus aux normes environnementales et qu’il devait y apporter des changements sous peine d’une amende. Une amende salée, c’est le moins qu’on puisse dire, afin qu’elle soit assez contraignante pour que les restaurateurs se plient au règlement et apportent les modifications à leurs installations. Ce que la journaliste s’est toutefois gardée de mentionner, c’est que la Ville peut également retirer l’amende lorsque le propriétaire d’un établissement s’engage à le faire. Le but de l’amende n’est donc pas de faire en sorte que les restaurants du Plateau ferment leurs portes mais qu’ils investissent et continuent leurs activités.

D’autre part, que d’autres véritables institutions montréalaises du même type comme Romados et Doval ont également reçu les mêmes avis et ont rendu conformes leurs installations autrefois polluantes à coups de plusieurs milliers de dollars. La dépense, si importante soit-elle, en demeure une qui s’ajoute aux coûts d’opération d’une entreprise et que l’on éponge graduellement. Dans ce contexte, le restaurateur récalcitrant prend la position favorable dans une situation de concurrence déloyale… devant d’autres institutions importantes dont on pleurerait autant la fermeture.

Enfin, que si les plaintes à propos des odeurs existent bel et bien (elles concernent également les installations de certaines boulangeries), ce n’est pas sur la base de celles-ci ou des seules odeurs excessives que sont délivrées les amendes, mais sur la base de l’émission dans l’air de particules fines extrêmement polluantes. Des particules si polluantes que certains inspecteurs ont recommandé aux voisins des établissements polluants de minimiser leur exposition aux émissions. Rappelons que plusieurs études à travers le monde ont démontré que l’émission de particules provenant de vieux fours est plus importante que celles des pots d’échappement de nos voitures.

Mais voilà, il ne faut jamais laisser les faits mettre des bâtons dans les roues d’une bonne histoire. La gentrification, phénomène complexe et varié s’il en est un, fait encore une fois les frais d’une indignation spontanée. Et les bébés phoques qu’ils égorgent au sixième du Paris Loft, j’vous dis pas !

 

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