BloguesLe voisin

Anarchopanda et casseroles: esthétique du changement social

Anarchopanda
Anarchopanda

Pour ceux qui ne suivent pas attentivement la grève étudiante, l’Anarchopanda est sans doute une énigme. Mais il est devenu au fil de cette grève historique un symbole, une image forte qui se dresse contre la violence policière en offrant des câlins pleins de douceur aux forces policières et aux manifestants. Les grands médias internationaux qui ont couvert les manifs qui sévissent ici depuis plus de 100 jours ont souvent utilisé l’image de cette mascotte qui s’interpose entre manifestants et policiers pour désamorcer les tensions. Par ses actions comme par les images qu’il a contribué à créer, on peut dire qu’Anarchopanda contribue à une «esthétique de l’action politique» qui démontre toute l’absurdité de la réponse du gouvernement Charest aux revendications étudiantes…

En effet, le discours articulé des leaders étudiants a depuis le début été contourné par le gouvernement Charest. Cela a commencé par des stratégies discursives: boycott plutôt que grève; slogans politiques vides plutôt que dialogue sur le financement des études supérieures; exclusion de la CLASSE des négos sous de faux prétextes, etc. Puis, le gouvernement est passé ensuite au stade supérieur: sous-traitance de la crise aux tribunaux en favorisant le contournement des assemblées générales étudiantes par le recours aux injonctions. Enfin, lorsque celles-ci se sont avérées inapplicables, le gouvernement a choisi la loi spéciale: un arsenal juridico-policier qui avait clairement pour but de briser les associations étudiantes et de restreindre la capacité de mobilisation des étudiants et de leurs alliés.

Cette stratégie qui semblait recueillir un assentiment majoritaire (selon des sondages plus que douteux publiés dans le but de construire l’opinion publique), est en train de craquer de toutes parts et débouche au contraire sur un élargissement de l’appui aux étudiants par un grand tintamarre désorganisé et spontané de gens de toutes générations acceptant de défier ouvertement la loi spéciale.

Le vent vient de tourner. Jean Charest a perdu le contrôle. La crise n’est plus seulement une crise étudiante, elle est devenue sociale et populaire.

Anarchopanda et les casseroles ont contribué à ce que la stratégie de la répression incarnée par la loi spéciale soit fissurée de toutes parts. J’en suis un des premiers surpris, puisqu’au départ, j’hésitais à défier de façon frontale cette loi étant donné les conséquences potentielles de mon action sur mon syndicat et ma famille, alors que maintenant, grâce à l’ampleur et à la démultiplication des manifestations qui se tiennent chaque soir casseroles en mains, il devient presque normal de défier la loi et de se moquer de participer à des manifestations pourtant déclarées illégales…

Plusieurs commentaires à propos de cet état de fait. D’abord, Jean Charest devra assumer sa responsabilité personnelle pour avoir contribué à dévaloriser et discréditer le système judiciaire ainsi que les forces policières du Québec. Sa volonté d’instrumentaliser le système judiciaire pour régler une crise politique, son intention de briser un mouvement social à coup de loi spéciale et de répression auront non seulement affaibli nos institutions, mais engendré une plus grande méfiance envers celles-ci. Quel gâchis!

Ensuite, il faut prendre acte des nouvelles méthodes d’action qui sont celles des mouvements sociaux du XXIe siècle. Ces méthodes sont imprégnées d’une logique anarchiste: elles sont spontanées – on parle d’«action directe»; moins hiérarchisées (plusieurs organisateurs et acteurs centraux refusent l’épithète de «leaders»); elles réaffirment l’occupation des espaces publics comme stratégie centrale plutôt que la médiation avec le pouvoir ou la volonté d’occuper l’espace médiatique…

L’anarchie comme mode d’organisation politique est selon moi impraticable (à moins de s’établir à petite échelle et sur une brève période de temps). Mais l’anarchie comme mode d’action sociale m’apparaît non seulement souhaitable, mais d’une redoutable efficacité…

C’est grâce à des actions comme celles d’Anarchopanda et à l’élargissement de la crise par le mouvement des casseroles que la loi spéciale a perdu son mordant et sa capacité de nuisance.

Nous voilà maintenant avec quelque chose qui nous dépasse tous de par son ampleur et sa potentialité: chaque citoyen témoigne de son opposition à la dérive autoritaire du gouvernement Charest en faisant TING TING ! Tout le monde dispose de l’arsenal nécessaire à cette lutte : chaudrons et cuillères. Et chacun amène avec lui son voisin, son quartier. Cela a vite débouché sur des défilés spontanés et souvent chaotiques où les résidents rejoignent ceux d’autres quartiers dans un grand concert de casseroles joyeuses et illégales…

Le dragon de la rue s’est réveillé. L’action directe, la spontanéité, le courage que procure le nombre face au pouvoir répressif, la simplicité des moyens, la beauté des images du panda qui fait des câlins ou celles de ces simples citoyens qui prennent la rue casseroles en main sont en train de triompher de l’arrogance et de l’autoritarisme de ce gouvernement corrompu.

Une esthétique du changement social a émergé. Contre la bêtise et l’aberration, elle brandit la beauté et la simplicité.