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Organiser la résistance

Pour toutes les raisons invoquées ici par Daniel Weinstock, il faut mettre en place divers moyens de résister efficacement à cette loi 78. Cette loi fait émerger un État policier au nom de la «paix sociale»; elle s’attaque aux libertés fondamentales inscrites dans toutes les Chartes de droits en occident (expression, association, manifestation) au nom d’une liberté qui n’est pas inscrite dans celles-ci (le droit à l’éducation); elle donne des moyens démesurés à des forces policières mal formées à employer de tels moyens; elle vise à détruire les associations étudiantes – terreaux de la sensibilisation aux enjeux démocratiques et à une prise de conscience citoyenne par la délibération collective…

Cette loi reprend un des ingrédients clé du totalitarisme puisqu’elle cherche à faire des assos étudiantes et des syndicats qui les appuient des clubs sociaux au service du discours gouvernemental. Il devient en effet impossible pour ces «groupes de la société civile» de contredire le discours du gouvernement sans en subir les contrecoups de la justice pénale… Tel était l’objectif central des États totalitaires au XXe siècle: briser la société civile, la dissoudre complètement dans l’État en empêchant les individus de se constituer en groupes autonomes capables de contredire la volonté du pouvoir politique en place, seul détenteur de la Vérité.

Pour ceux qui craignaient un retour vers le duplessisme, c’est peut-être pire, puisqu’il y a aussi une clause de délation dans la loi 78: toute personne qui par omission, n’en condamne pas une autre jugée coupable de résistance à cette loi risque elle aussi d’être tenue coupable… C’était l’ingrédient central des régimes de type soviétique: établir une culture de la délation pour faire en sorte que tous les individus dans la société se retrouvent seuls face au pouvoir immense de l’État; briser la capacité des individus de se solidariser face à celui-ci; faire en sorte qu’aucun «corps intermédiaire» ne puisse se dresser contre la puissance du Dieu mortel au pouvoir, mais qu’au contraire, toutes les associations existantes soient sous le contrôle direct ou indirect de l’État… Dans ces régimes, pour sauver notre peau, on dénonçait nos parents… ou notre voisin.

On en rajoute une couche? Il y a implicitement dans cette «loi spéciale» des tentatives de contrôler le code vestimentaire de la population (je n’ose plus parler de citoyens): interdiction du port du masque ou pire, du carré rouge (celui-ci serait une incitation à contrevenir à la loi!) et on se rapproche alors du maoïsme, cette version délirante du communisme qui a cherché (mais a échoué) à imposer un uniforme à tous ses habitants après la révolution culturelle…

Dans ce contexte pour le moins hostile aux libertés individuelles, on peut se demander où sont les porte-parole du Réseau Liberté-Québec ? Où sont ces chantres de la «libarté» qui s’insurgeaient pour permettre à des animateurs-radio de diffamer librement en ondes, mais qui aujourd’hui se réjouissent que l’on porte atteinte aux libertés les plus fondamentales en démocratie sans doute parce qu’elles briment ceux qu’ils considèrent être leurs adversaires… Ces gens sont -ils vraiment attachés aux libertés individuelles ou veulent-ils  plutôt que l’on attache les véritables partisans de la liberté?

J’aurais aimé marcher dans la rue avec les Éric Duhaime, André Pratte et autres serviles serviteurs du discours gouvernemental pour condamner ensemble cet abus de pouvoir dangereux du gouvernement Charest. Je me contenterai de la solidarité des étudiants, des syndicats, du barreau du Québec, des intellectuels et des artistes qui sont du côté de la justice et de la justesse. La honte et le déshonneur s’abattent sur ceux qui sont complices de cette dérive.

Maintenant. Comment résister? Nous ne pouvons exiger le même engagement de tous. Pour ma part, je résisterai en marchant sur la mince ligne de cette loi :

  • j’appuie le recours en nullité de cette loi orchestré par le FECQ et ses alliés;
  • j’organiserai quotidiennement des manifs de 50 personnes pour engorger au maximum la bureaucratie policière (surtout le soir, pour diluer les effectifs policiers qui autrement s’en donnent à cœur-joie en frappant sur les étudiants);
  • je participerai à des manifestations artistiques qui contesteront subtilement les dérives actuelles et ce gouvernement corrompu qui s’est toujours refusé à dialoguer rationnellement avec le mouvement étudiant;
  • je ferai des conférences de presse ironiques qui réclameront «plus de pouvoirs policiers pour nous protéger de nous-mêmes ou encore de ces étudiants fascistes qui menacent la paix, l’ordre et le bon gouvernement»;
  • j’irai en famille à la manif du 22 mai et aux autres manifs d’envergure, j’y porterai un masque et un carré rouge (essayez de me reconnaître pour voir);
  • à chaque fois que je me promènerai en ville, j’apporterai ma caméra pour documenter les dérapages dont je pourrais être témoin et je demanderai le matricule du policier qui dérape;
  • Autrement, je ferai comme Valcav Havel et tous ces dissidents de l’ère soviétique: je jouerai le régime sur les mots, je me ferai un devoir de me conformer maladivement au discours qu’il dit défendre, surtout lorsque cela illustrera l’absurdité et le mensonge du gouvernement.

En bref, je ne m’opposerai pas de façon frontale à cette loi parce que les conséquences sur ma personne et mon syndicat sont trop grandes (je suis le seul revenu de ma famille et comme officier syndical, je risque de ruiner mon association si on m’arrête et me condamne à partir d’un des articles de cette loi pour laquelle je n’ai plus de qualificatifs).

Je laisse aux autres le soin de déterminer leur stratégie. Et je suis ouvert à vos suggestions et commentaires.

Enfin, en cette journée nationale des Patriotes, je lance un appel à tous ceux qui disent défendre les libertés individuelles: quel est votre positionnement face à cette loi ?