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Anaïs Barbeau-Lavalette ou les arts comme remparts contre la folie

Dès que possible, j’irai voir Inch’ Allah d’Anaïs Barbeau-Lavalette, qui était présenté en 1ère mondiale au Toronto international film festival cette semaine. J’aime cette fille. Elle est belle, lumineuse, chargée d’une émotion et d’une générosité envers l’Autre qui témoigne d’une trop rare humanité. J’ai lu avec une certaine nostalgie ses petites impressions d’un séjour en Palestine colligées dans un livre intitulé Embrasser Yasser Arafat. Il y a là de beaux petits portraits d’un peuple délaissé et de plus en plus coincé sur son territoire de plus en plus morcelé. On y devine toute la sympathie qu’Anaïs a développé envers le peuple palestinien, sans pour autant que celle-ci s’accompagne d’une hostilité envers l’occupant israélien.

Quand la nuance habite les arts pour traduire un problème politique aussi inextricable, on peut dire qu’on y construit les digues empêchant la folie meurtrière de prendre toute la place.

En ce qui concerne l’importance de la nuance dans cette zone de notre monde, je vous ai déjà parlé des Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle. Or, le scénario d’Inch’Allah reprend cette idée que tout est imbriqué dans cette terre trois fois sainte qu’est la Palestine historique. Le travailleur humanitaire qui vit en Israël mais qui travaille en territoires occupés côtoie au quotidien les deux peuples, il s’imbibe des angoisses de chacun et finit par comprendre que le manichéisme entretenu par plusieurs n’est qu’un piège qui alimente le mépris et l’ignorance d’une trop grande part de l’humanité. Hollywood n’a rien à montrer ici. Tout est trop gris. Les bons sont souvent méchants. Les victimes dérapent souvent et se prennent pour des bourreaux d’occasion. Des deux côtés, il y a des gens simples, de bonnes volontés, prêts à cohabiter en paix sur cette terre que chaque peuple peut réclamer légitimement.

J’ai dit à plusieurs reprises dans ce blogue que les arts réussissent souvent mieux à saisir toute la complexité d’un conflit politique aussi pourri que le conflit israélo-palestinien. On retrouve cette perspicacité chez Philippe Ducros avec sa pièce L’Affiche, chez Yasmina Khadra dans son roman L’Attentat, chez les écrivains israéliens Amos Oz et David Grossman, pour qui ce conflit a trop duré et devient un cancer pour l’identité juive et le devenir de l’État d’Israël. Plus récemment, le cinéma israélien a démontré sa capacité à se déprendre de son seul statut de victime inconsciente de ses crimes: les films Valse avec Bashir et Ajami témoignent de cette nécessaire prise de conscience.

J’ai confiance que le film d’Anaïs Barbeau-Lavalette puisse lui aussi refléter tout ce qu’il y a de tragique dans ce conflit que l’on résume trop souvent chez nous à une occupation inhumaine de la part des Israéliens ou encore chez nos voisins du sud (et dans la tête de Stephen Harper) à un peuple victime encerclé par des terroristes avides de sang, irrationnels et misogynes…

Car le contexte actuel nous rapproche de la folie pure. L’imminence de la bombe iranienne, combinée à la peur de l’extinction du peuple juif, font en sorte qu’un homme mal intentionné et étranger à la nuance comme Netanyahou puisse chercher à tirer profit du contexte électoral aux USA pour attaquer l’Iran! Si vous lisez ce papier de Charles-Philippe David et d’Élisabeth Vallet, disons qu’il n’y a rien de rassurant à envisager ce scénario apocalyptique. Mais si vous écoutez Joe Klein, ce journaliste américain expérimenté et moins catastrophiste, vous vous dites que l’enfer envisagé n’est pas encore à nos portes…

Pour nous éviter ce basculement dans la folie totale, je nous souhaite à tous l’envie de découvrir ce que les artistes ont à nous dire. Leurs regards sur ce coin du monde est souvent plus oblique, mais par ces angles, on voit notre humanité commune.

Car au-delà de la simple recherche de la beauté, les arts peuvent offrir une autre compréhension du monde. Par les chemins de traverse, en secouant des émotions que l’on croyait endormies, en faisant ressortir plus simplement l’universalité de nos aspirations (élever nos enfants dans la paix, avoir son chez-soi, transmettre la possibilité d’un avenir ouvert), les arts permettent de nous émanciper de nos préjugés et méconceptions.

Comme Yann Martel qui envoyait des suggestions de lectures à Stephen Harper pour lui faire découvrir que la culture n’est pas inutile, j’aimerais que Benjamin Netanyahou, le premier ministre d’Israël, comme le Guide Suprême de la révolution islamique iranienne, Ali Khamenei, puissent se déprendre de leur vision monochrome de l’Autre pour éviter à notre monde une escalade sans borne dans la violence.

Peut-être qu’Anaïs Barbeau-Lavalette, par sa beauté, sa chaleur et la profondeur de son regard, constituerait une première pierre de cette architecture pour la paix qu’il nous faut disséminer…

Anaïs Barbeau-Lavalette