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Qui dénoncera qui cette fois?

 

Ce lundi, le quotidien Le Soleil publiait une mise au point et des excuses suite à la publication sur son site internet d’un texte d’«opinion» aux relents haineux et incitant, à mots à peine couverts, à la violence.

(*** Voir l’addendum au bas du billet pour mon analyse de la réaction du ministre Lessard).

Ce texte portait le titre «Pour en finir avec les grèves étudiantes». Entre autres choses, son auteur y exhortait les opposants à la grève étudiante à s’inspirer des «mouvements fascistes» des années 1920-1930 pour administrer «aux gauchistes» ce que l’auteur nomme «leur propre médecine».

 

 

Qualifiant cette grève de «ruineuse et antisociale», l’auteur propose en effet ses «moyens» pour y remédier: «il faut s’organiser pour reconquérir le terrain. Dans les années 1920 et 1930, c’est ce qu’on /sic/ fait les mouvements fascistes, en appliquant aux gauchistes leur propre médecine. Ceux-ci en ont gardé un souvenir si cuisant que, trois quarts de siècle plus tard, ils s’acharnent encore à démoniser cette réaction de salubrité politique. Les opposants aux grèves doivent donc cabaler, s’organiser pour franchir en masse les lignes de piquetage, apostropher les porteurs de carrés rouges où qu’ils les rencontrent, répondre à l’intimidation par le défi

De manière plus accessoire, l’auteur ajoute qu’il faudrait aussi que «les gens qui s’opposent aux points de vue véhiculés par les médias contrôlés par la gauche doivent se doter de leurs propres médias. On en retrouve une ébauche dans certaines radios populaires de la région de Québec et cela inquiète tellement nos gauchistes qu’ils essaient constamment de les discréditer en les qualifiant de radios-poubelles».

Le tout, conclut-il, pour «s’affranchir de la tyrannie des agitateurs de gauche».

***

On comprend pourquoi ce texte fut retiré après l’arrivée au journal de plusieurs plaintes.

(Le lien permanent pour lire cet article de Bernard Guay est ici.)

Quant aux circonstances entourant la publication originelle du texte sur le site internet, j’inviterais à la prudence. En ces temps où les médias et ceux qui y travaillent sont de plus en plus sous pression pour «produire» ou «reproduire» le plus rapidement possible, qui sait si une simple erreur humaine y est, ou non, pour quelque chose?

***

Qui est l’auteur de ce texte? La question est importante.

Ah oui? L’auteur du texte?

Son nom est Bernard Guay.

Au bas de son texte, il s’identifie comme «politicologue de formation et spécialiste du financement des organismes publics. Il est également un militant anti-grèves de longue date».

Or, ce n’est pas tout à fait tout…

Le vrai problème ici est que «politicologue» ou pas, M. Guay est surtout à la Direction générale de la fiscalité du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du Territoire, mieux connu sous l’acronyme MAMROT. Soit au ministère dirigé par Laurent Lessard.

M. Guay, cette fois sous toutes réserves, serait aussi fonctionnaire depuis bien avant l’arrivée du gouvernement Charest.

Pour la petite histoire médiatique, cette information essentielle – passée inaperçue – fut postée récemment en premier lieu sur un site (1) qui semble peu connu des grands médias:

Il restait néanmoins que l’identité de ce monsieur y était indiquée au conditionnel en ces termes «il semblerait que Bernard Guay occupe un poste de Directeur Général de la fiscalité du Ministère des Affaires Municipales, des Régions et de l’Occupation du Territoire (…)». Pour du «conditionnel», disons que sa précision méritait vérification.

Et donc, en fin de journée, ce lundi, j’ai rejoint l’attachée de presse du ministre concerné, laquelle me confirma rapidement l’information.

Une fois l’information vérifiée, je l’ai ensuite postée sur Twitter tout en y indiquant également le lien vers le site où cette donnée, quoiqu’au conditionnel, avait été avancée en premier lieu.

Pour ce qui est de Bernard Guay, sa situation serait présentement sous étude au ministère. On comprend facilement pourquoi…

De fait, au-delà des codes d’éthique et de déontologie, on comprendra aisément que si un fonctionnaire a bel et bien signé de tels mots et les a envoyés à un quotidien pour parution, une telle «situation» est à sa face même aussi injustifiable qu’intenable.

Dans les derniers jours, autant la ministre de l’Éducation que le premier ministre, ont tenté de diviser le mouvement étudiant pour mieux l’affaiblir.

Ils l’on fait, entre autres manières, en exigeant de la CLASSE qu’elle «condamne» tout acte de violence ou de vandalisme (même s’ils ne sont pas de sa responsabilité…).

Et ce, encore, même si dans les faits, la CLASSE, la FEUQ et la FECQ partagent la même position sur le sujet. Soit de dénoncer et se dissocier de tels actes tout en refusant de les condamner avant que les tribunaux ne le fassent eux-mêmes.

Mais comme la stratégie du gouvernement est de diviser et de polariser toujours plus l’opinion publique – un cas patent de «wedge politics» comme je l’expliquais ici – ce simple fait ne semble avoir guère d’importance.

Or, si cette information s’avère, que diront et que feront maintenant le premier ministre et la ministre de l’Éducation?

Que feront-ils face au cas de ce texte signé par un haut-fonctionnaire appelant à s’inspirer des «mouvements fascistes» d’avant la Deuxième Guerre mondiale pour mieux combattre ceux qui appuient la grève et pour s’«affranchir» de ce qu’il appelle «la tyrannie des agitateurs de gauche»?…

Et, qu’en fera le ministre dont relève au travail l’auteur de ces mots?

 

 

Si, tout au moins, les mots ont encore un sens…

Le gouvernement tolérera-t-il de la part d’un haut-fonctionnaire un appel aussi clair à s’inspirer des «mouvements fascistes» qui ont préparé une des périodes les plus noires de l’histoire humaine?

***

(1) Ce même site dénommé «Québec Facho-Watch» aurait aussi récupéré ce qui semble être la version du texte parue originellement sur le site du journal:

Notons aussi que ce site annonçait pour le 17 avril, une «manifestation» contre la parution du texte de Bernard Guay.

(*) Traduction de l’affiche ci-haut: «Avertissement: fascisme! Pensée libre strictement interdite»…

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ADDENDUM:

Questionné par les journalistes ce mardi quant aux révélations contenues dans ce billet, le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a répété à plusieurs reprises que Bernard Guay – nul autre que le directeur de la fiscalité au ministère et auteur du texte d’opinion ci-haut exhortant à s’inspirer des «mouvements fascistes» des années 20-30 – a qualifié ces propos d’«inappropriés». Il a aussi précisé que M. Guay avait été «rencontré» par le sous-ministre et qu’il avait reçu des «sanctions administratives», dont le ministre a refusé de donner le détail.

Le ministre a aussi ajouté que M. Guay «vit avec ça maintenant, et cela l’amène à réfléchir»… Ce dont, considérant la virulence des propos tenus dans son texte d’«opinion», a de quoi laisser franchement songeur.

Or, la gravité des propos est telle qu’il aurait été nettement plus approprié pour le ministre d’informer les citoyens des «mesures» prises. Question de juger si elles sont proportionnelles à la faute commise, après tout, par un haut-fonctionnaire d’expérience au gouvernement du Québec.

De savoir que des idées pro-fascistes sont véhiculées par une personne en si haut lieu de responsabilité au gouvernement est troublant. Très troublant.

En fait, c’est plus que troublant. Ceci tombe dans le domaine de l’inacceptable.

Occuper un poste de haut-fonctionnaire dans un gouvernement exige non seulement un devoir de réserve, mais dans ce cas-ci, on entre sur un tout autre terrain – celui de la propagation d’idées haineuses. Exhorter les citoyens d’une démocratie à s’inspirer des mouvements fascistes des années 20-30, c’est tenir des propos qui peuvent inciter à la haine, l’intimidation et possiblement, la violence.

Comment un gouvernement, quel qu’il soit, peut-il se contenter d’appliquer des «sanctions administratives»? La question non seulement se pose, mais elle devra être posée et reposée jusqu’à ce qu’une réponse intelligible soit donnée aux citoyens, lesquels sont également les contribuables qui paient pour avoir une fonction publique neutre et professionnelle.

Si le même fonctionnaire avait exhorté les citoyens à s’inspirer des mouvements fascistes d’avant la guerre contre, disons, les femmes, les personnes noires ou toute autre communauté identifiable, se contenterait-on de «mesures administratives»?