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Une grave erreur

 

En cédant à la tentation d’une «loi spéciale» contre un mouvement étudiant, le gouvernement Charest commet une grave erreur.

DERNIÈRE HEURE: LE TEXTE DU PROJET DE LOI EST ICI.

Une «loi spéciale» contre un mouvement étudiant. Journée sombre pour le Québec.

Le prix à payer, par et pour la société, risque d’être élevé.  Quant à la paix sociale, malheureusement, le geste posé par gouvernement ne pourra que la mettre à mal encore plus. La réaction des associations étudiantes à cette annonce dit tout. Elles sont outrées.

Le seul produit possible d’une loi spéciale – un geste lourd de sens – sera la polarisation et la radicalisation.

D’autant plus que les leaders l’ont bel et bien compris, le gouvernement les a piégés dans une série de négos de façade. Le tout, pour servir son propre calendrier partisan et préélectoral.

Ce fut le cas, deux mois après le début de la grève dans  une première rencontre avec la ministre de l’Éducation Line Beauchamp. Or, où dès le lendemain, elle convoquait la presse pour annoncer, sur un ton dramatique, que la CLASSE était dorénavant exclue de la discussion. La ministre savait fort bien que cela ferait avorter les pourparlers.

Ce fut le cas lors pour la seconde rencontre. Convoquée le 4 mai, le jour même de l’ouverture du conseil général du PLQ à Victoriaville. La mise en scène était taillée sur mesure pour permettre au PM d’annoncer une «entente» à la fermeture de conseil, le dimanche. Or, les leaders étudiants furent pris dans un blitz de négos de 22 heures, sans sommeil, se retrouvant en bout de piste avec un texte d’entente de principe dans lequel, par hasard, il manquait un élément crucial discuté autour de la table: la possibilité de reporter sur les frais de scolarité une partie des économies provenant d’une meilleure gestion des universités.

Le même dimanche, les déclarations du PM et de sa ministre à l’effet que mêmes ces économies étaient loin d’être acquises ont enfoncé les derniers clous dans le cercueil de cette deuxième ronde de discussion.

Enfin, ce fut le cas à la troisième et ultime recontre avec les associations étudiantes. Convoquée le 15 mai par la nouvelle ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, les représentants de ces dernières se sont retrouvés face à une ministre à qui le premier ministre n’avait donné aucun mandat de négociation.

Le piège était évident. Et, en effet, dès le lendemain, Mme Courchesne lançait que les associations étudiantes refusaient tout compromis, alors que la preuve du contraire était faite. Léo Bureau-Blouin de la FECQ le confirmait mercredi, en révélant publiquement le contenu d’un projet bonifié d’entente de principe qu’il avait montré au gouvernement dès le 8 mai dernier!

Bref, en attente des détails de la dite loi, un constat crève les yeux depuis le début de ce conflit: le gouvernement Charest n’a jamais voulu «régler» sur la base d’une discussion portant sur l’objet même de la grève: la hausse des droits de scolarité. Dans ma chronique de cette semaine, j’y explique pourquoi.

(Ceux et celles qui me lisent savent que j’ai fait la chronique détaillée de ce blocage volontaire et stratégique depuis le début du conflit. À la mi-avril, j’avançais ici que la stratégie gouvernementale, essentiellement électoraliste, en est une de division dite de «wedge politics».)

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La victoire des recteurs

Cette objet central de la grève – la hausse des frais de scolarité -, ne l’oublions pas, est lié directement à la gestion et la mission des universités.

Or, avec cette loi, les recteurs, appuyés par le gouvernement, ont gagné la partie. Sur toute la ligne.

Pas étonnant qu’à son annonce de la loi, mercredi soir, le premier ministre était flanqué de leurs représentants.

Ils ont gagné parce que:

1) Les sessions dans les cégeps et les départements universitaires en grève seront suspendues.

2) Le fameux «conseil provisoire» prévu dans l’«entente de principe» du 5 mai qui aurait installer un mécanisme plus contraignant de surveillance et de reddition de comptes dans la gestion et la mission des universités vient de prendre le chemin de la poubelle de l’histoire. Et des États généraux? Jamais, jamais, jamais, ce gouvernement n’y acquiescera.

3) Sous réserve du contenu détaillé de la loi spéciale, le risque est qu’elle prévoit également des mécanismes divers visant à «encadrer» fortement le droit de manifester des étudiants; de fortes amendes pour non conformité, etc.

Bref, les recteurs peuvent dormir sur les deux oreilles.

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Jouer sur les mots

Avec sa loi spéciale, le gouvernement continue à faire ce qu’il fait depuis le début. Il passe par dessus les associations pour s’adresser directement à l’opinion publique – l’électorat – et non aux étudiants en grève.

Il le fait, beaucoup et souvent, en jouant sur les mots et avec les mots.

Il le fait pour tenter de convaincre les électeurs de deux choses: 1) que le gouvernement est «responsable», «ouvert» à la discussion et «pose des gestes» de compromis; 2) que les étudiants sont irresponsables, déraisonnables, fermés à tout compromis, le tout, en les associant constamment, par amalgame, à la «violence».

Bref, il discrédite les leaders étudiants comme interlocuteurs et utilise l’argument de la peur pour justifier des gestes gouvernementaux plus musclés.

Les mots, il en joue comme d’un violon. Avec lui, la grève devient boycott. Les étudiants deviennent des enfants. Des institutions d’éducation supérieure deviennent des écoles. Le mot moratoire est purgé de la novlangue gouvernementale comme par magie. Etc…

Avec sa loi spéciale, le gouvernement monte ce jeu d’un cran.

Alors que les associations étudiantes parlent de protéger l’«accessibilité à l’éducation», mercredi soir, le premier ministre parlait d’une loi visant à protéger l’«accès à l’éducation».

Or, l’«accès» dont il parle, c’est en fait l’accès physique aux lieux d’enseignement et non pas une «accessibilité» à l’éducation que les associations souhaitent préserver sans obstacles financiers majeurs pour les étudiants.

«Accès», «accessibilité» – deux concepts totalement différents dans les faits -, mais qui, dans les chaumières, passeront pour la même chose…

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Maintenant, pour la suite…

 

 

Alors que le Barreau du Québec faisait appel au gouvernement mercredi soir pour de nouvelles discussions et une médiation, bien des étudiants, profs, parents, intellectuels et autres, ne décolèrent pas du geste posé par le premier ministre.

En conférence de presse, des carrés rouges, verts et blancs imploraient le premier ministre, un dernière fois, de choisir la négociation à la confrontation. Des représentants de syndicats de professeurs dénonçaient l’intention du gouvernement.

Mais sans négociation, les associations étudiantes, de plus en plus isolées, voire banalisées par le gouvernement, poursuivront leur mobilisation.

À l’annonce d’une loi spéciale, même les «verts» en sont tombés de leurs chaises!

Gabriel Nadeau-Dubois de la CLASSE promettait que toute une génération se souviendrait de cet affront. Martine Desjardins de la FEUQ dénonçait un geste qui ne ferait qu’attiser les tensions au Québec.

Léo Bureau-Blouin de la FECQ présentée comme la plus modérée des trois, a également eu des mots très durs:

«Ce n’est pas à coups de matraques et de loi spéciales qu’on va mettre fin au conflit (…) Il ne faut pas se demander pourquoi les jeunes perdent foi en leurs élus et en ces gens qui sont censés les représenter et les écouter. Depuis le début du conflit, le gouvernement du Québec n’est pas de bonne foi. Le gouvernement a attendu que le mouvement devienne violent et que les tensions apparaissent pour faire en sorte que le mouvement se décrédibilise lui-même. Ce sont des milliers de jeunes qui l’auront en travers de la gorge longtemps.»

Même la confiance envers les médias en est ébranlée chez certains étudiants. Pourtant, «sur le terrain», comme on dit, ce sont des reporters. Ils font simplement leur travail. Ils rapportent la nouvelle, ce qu’ils voient. C’est un boulot crucial dans tout conflit. Et il serait sage de le leur laisser faire en paix et en sécurité. Incluant du côté des forces policières elles-mêmes! C’est important pour tout le monde. Incluant les étudiants.

Côté interlocuteurs, ceux qui pensaient trouver en Michelle Courchesne une ministre plus conciliante que la précédente viennent de réaliser qu’il n’en est rien. En fait, elle sert essentiellement la cassette de sa prédécesseure. Normal, puisque la commande du premier ministre n’a pas changé…

Alors, sans surprise, ce matin, le premier ministre a réitéré son refus de rencontrer les leaders étudiants. Quand on pense que le gouvernement Bourassa avait négocié avec des warriors masqués, le refus de Jean Charest de rencontrer des leaders étudiants légitimes et mandatés démocratiquement par leurs membres, prend toute sa dimension…

Et en fin de journée, voilà que le gouvernement souffle le chaud et le froid avec Michelle Courchesne qui créée l’impression de vouloir ouvrir au dialogue, mais avec la FECQ et la FEUQ… Encore une tentative de diviser…

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Addendum:

Selon un sondage Harris-Decima pour la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, une forte majorité de Canadiens – et même de Québécois -, seraient favorables à une réduction ou un gel des frais de scolarité… Eh bien…

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Corruption, collusion, Catania, Zampino & Charbonneau

 

Parce que non réglé et majeur, le conflit étudiant monopolise l’attention. Presque toute.

Or, pendant ce temps, la commission Charbonneau sur la corruption, la collusion, la construction, le crime organisé, le copinage, le financement des partis, etc., enclenche ses travaux publics la semaine prochaine.

Ce matin, coup de filet majeur: l’escouade Marteau mettait sous arrestation nul autre que Frank Zampino, l’ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal et bras droit du maire Gérald Tremblay; l’entrepreneur en construction et membre des Fabulous Fourteen, Paolo Catania; Bernard Trépanier, l’ex-responsable des finances du parti du maire Tremblay, «connu sous le nom de «monsieur 3%»»; de même que Martial Fillion, ex-directeur général de la Société d’habitation et de développement de Montréal.

Ça fait pas mal de monde qui, lorsqu’ils étaient à la Ville, n’étaient qu’à un seul petit degré de séparation du maire.

Bref, ce sujet – qui colle également à la peau du gouvernement Charest depuis plus de trois ans – finit toujours par se repointer le bout du nez dans l’actualité… et par commander l’attention de l’électorat…

En d’autres termes, le mauvais vaudeville se poursuit sans volonté réelle de la régler dans la conciliation.

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 @ Photo: source, Radio-Canada