BloguesHannibal Lecteur

La Première ministre et les Premières Nations

Bien que mes réticences à l’égard des récentes initiatives du PQ soient nettes et évidentes (je fais référence ici surtout à la charte et à la présence de PKP à l’Assemblée Nationale, en gros), je dois avouer avoir trouvé le spectacle de la passation des pouvoirs assez obscène hier lorsque les trois prétendants au trône de Marois se sont présentés devant les militants du parti. L’empressement explicite et évident de Lisée, Drainville et Péladeau de s’afficher comme le potentiel successeur de Marois ne rend pas hommage à ce que l’on doit tous considérer comme une femme d’État d’une rare importance dans l’Histoire du Québec.

Je dis ceci avec les bémols qu’imposent des décisions récentes avec lesquelles j’ai un profond désaccord. Mais on ne peut pas nier l’importance de cette chef qui a littéralement changé la donne pour les femmes au Québec, servi la cause souverainiste pendant des années et nettement amélioré le sort de nombreux québécois pendant les trente années d’une présence politique à peu près sans égal au Québec. Bien que les scores fussent terribles, Pauline Marois méritait un hommage qu’elle n’a jamais reçu sur scène. Elle méritait qu’on la traite avec le respect et la révérence qu’on réserve à nos plus grands, et elle ne l’a pas reçu, de ses plus proches conseillers et alliés politiques. Triste spectacle.

Ceci dit, je me questionne sur ce que je perçois comme un certain attachement féministe envers Pauline Marois. Dans un contexte où c’est la seule femme à la tête d’un parti, je pourrai comprendre l’engouement envers sa personne. Et ici, je dois admettre mes propres biais personnels assez évidents : à mon avis, si une jeune électrice féministe et potentiellement progressiste souhaite être représentée par une chef d’un parti qui défendra certains principes féministes, souverainistes et écologistes, disons, son soutien électoral et moral ne devrait-il pas se diriger vers Françoise David, chef de Québec Solidaire qui a été présidente du FFQ pendant de nombreuses années? Il me semble que le Parti Québécois a abandonné toute prétention à des politiques réellement progressistes au nom d’une politique identitaire assez explicite depuis quelque temps, je me demande donc pourquoi on se rallie à Marois quand David est dans la même arène?

C’est peut-être un questionnement simpliste de ma part, et je ne tiens aucunement à dire que les deux femmes s’équivalent et sont interchangeables simplement parce que ce sont des femmes en politique.

En parlant de progressisme, je trouve que les élections ont ceci de déplorable qu’environ 90 sièges sont désormais occupés par deux partis qui se préoccupent principalement de la croissance économique tandis que trente autres seront occupés par un parti encore bien préoccupé par l’identité alors qu’un consensus scientifique mondial appelle à l’action urgente pour protéger notre environnement pour réduire nos chances désormais assez grandes d’autodestruction dans un avenir rapproché, amené en grande partie par cet entêtement à contribuer à la croissance économique. À mon avis il devrait s’agir d’une cause commune, non-partisane, qui pousse à l’action collective, mais les mots clés d’un environnementalisme même modéré se retrouvent sur si peu de lèvres d’élus.

À propos des Premières Nations

Pour ce qui est des grands absents des discours des partis, je dois avouer que je me dissocierai à tout jamais de quelconque parti souverainiste qui ne fait pas de rapprochement explicite entre la cause de l’Indépendance et la situation des Premières Nations.

Si un parti est incapable de voir le rapprochement à faire entre les Québécois qui veulent préserver leur langue et leur identité et la déplorable situation démographique des Premières Nations, il est soit profondément imbécile, soit il s’adonne à une hiérarchisation et une instrumentalisation des oppressions historiques, ce qui est relativement injustifiable.

Si on se concentre sur l’identité pour faire la promotion de la souveraineté, on doit s’appuyer sur l’Histoire, non? Et nier nos partenaires historiques que sont les membres des Premières Nations fait preuve d’une abstraction volontaire absolument rebutante. Comment peut-on dire que l’on craint la dilution de notre identité via l’arrivée massive de cultures étrangères sans réaliser que nous réservons le même sort à des communautés présentes ici bien avant nous?

Je comprends que ce n’est pas sexy, comme message. Mais j’ai l’impression qu’on exclut systématiquement des discours et des causes s’ils ne servent pas explicitement à augmenter les chances d’une potentielle indépendance, et que la nuance complexe de l’inclusion des Premières Nations dans un discours politique s’avère trop risqué ou peu rentable sur l’échiquier politique actuel.

Mais l’exclusion systématique de l’existence même de peuples qui, au final, nous illustrent peut-être le caractère déprimant de la réalisation de nos plus grandes peurs identitaires (c’est-à-dire l’isolement et la marginalisation politique et même sociale) relève de l’inacceptable à mon avis, et tout discours souverainiste qui n’en fait pas mention explicitement me paraîtra indigne de piloter un projet d’indépendance.

L’absence de sens

Sinon, aussi, ce que je constate en ce moment sur les réseaux sociaux, c’est une relative incapacité à comprendre les événements qui nous entourent, et c’est à mon avis tout à fait normal. Le Québec reste une société diversifiée et les priorités politiques et sociales varient grandement. C’est pour cela qu’il est possible d’avoir, en une même soirée, une défaite écrasante du PQ, l’élection de Manon Massé et de Pierre-Karl Péladeau, la défaite de Léo-Bureau Blouin et de Martine Desjardins et la fin de carrière de Pauline Marois, pour ne nommer que ceux-ci. Toute une soirée!

C’est dans nos réflexes naturels de chercher sens à ce qui se produit. Or, une certaine part de chaos et d’imprévisibilité règneront toujours, d’incertitude et d’insatisfaction aussi, et il sera donc toujours difficile de prendre une réalité chaude et brute et de la transformer en constat clair sur un statut Facebook ou sur une analyse politique qu’on peut facilement citer. Il n’y a pas toujours sens, il n’y a pas toujours cohérence, et si la politique s’affaire à se présenter techniquement comme créatrice de sens, elle n’échappe pas au côté aléatoire et imprévisible de la vie.

Nous avons tendance à vouloir ouvrir les yeux avant que la poussière ne retombe, et, sans le savoir, il s’agit souvent d’un aveuglement volontaire, faute de trop vouloir voir.