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Mais quel génocide, Claude Péloquin?

Une réflexion probablement trop longue à propos de l’identité québécoise et de la place de l’immigrant dans celle-ci. 

Je suis régulièrement estomaqué par l’argumentaire identitaire qui souhaite limiter l’immigration. On ne parle jamais vraiment de racisme, de cette peur intrinsèque et naturelle qui habite l’être humain et qui le pousse à la crainte de l’Autre. Intuitivement, historiquement, on sait qu’il est plutôt mal vu de pointer l’autre du doigt, celui dont la couleur nous effraie, celui dont la langue nous est étrangère, celui dont les coutumes varient terriblement des nôtres (et nous dé-centrent de l’expérience humaine), et de dire que c’est sa différence ethnique, religieuse ou culturelle qui nous irrite. C’est mal vu.

Le Québec meurt, selon le dude qui a dit « Vous êtes pas tannés de mourir, bande de caves? »

Enfin, c’est mal vu, mais certains le font plus explicitement, comme le poète Claude Péloquin à l’émission Plus on est de fous, plus on lit, testant les capacités de l’animatrice Marie-Louise Arseneault qui a, avouons-le, brillamment relevé le défi du malaise radiophonique imposé par notre poète national.

L’argument généralement utilisé, c’est la menace du nombre. C’est toujours une question d’invasion tranquille. Péloquin fait même une référence au génocide amérindien, comme si l’arrivée massive de musulmans d’Afrique du Nord, dans une politique contrôlée par l’État, pouvait réellement se comparer à l’invasion territoriale explicite et sans droit de regard des peuples autochtones effectuée par les pouvoirs européens.

Bref, on aura toujours le même refrain. Ils volent nos jobs. Ils sont trop nombreux. Ils diluent notre société. À force d’arriver en grand nombre et de faire des bébés tandis que nos familles rétrécissent, ils vont finir par être plus nombreux que nous, et nous aurons disparu, tranquillement enterrés sous l’immigrant comme l’arbre est enseveli sous la neige. Une mort moins blanche, par exemple.

Je pose cette question très sérieusement aux quelques historiens qui pourraient lire ces lignes: quand est-ce que c’est arrivé, de façon documentée, dans l’histoire de l’humanité, qu’une force immigrante extérieure contrôlée ait fini par réellement envahir un pays, par en changer drastiquement la démographie? Bon, on dit que les Blancs seront minoritaires dans quelques décennies aux États-Unis, puisqu’il existe une croissance démographique chez les Latinos et les Noirs inégalée par les Caucasiens de nos voisins du Sud, mais là, il s’agit d’un futur hypothétique, pas d’un passé documenté.

J’aimerais donc savoir: c’est quand au juste que l’immigration a effectivement contribué à la disparition graduelle d’une société? J’ai plutôt l’impression qu’on assiste plus souvent dans l’Histoire à deux phénomènes différents: d’abord, l’arrivée massive et militarisée d’une société dominante qui tue ou assimile complètement la première. Le Canada est un exemple, les États-Unis également. Ensuite, je vois effectivement ce discours de la peur de l’autre, ce discours de la crainte de l’invasion ou de la corruption de la fabrique sociale, mais suivi uniquement d’une répression d’une minorité soudainement visée par cette majorité, généralement manipulée médiatiquement et politiquement par des élites malveillantes. Je pourrai noter certains exemples probants, mais bon, loi Godwin oblige, je vais vous laisser faire le décompte mental de ces périodes sombres de l’Histoire pendant lesquelles on tentait de trouver une solution à cette invasion sournoise de l’Autre.

Éternellement apatride

Bien que j’habite au Québec depuis plus de vingt ans, bien que j’ai habité à Rouyn-Noranda pendant cinq ans, bien que je sois allé au Saguenay, à Québec, un peu partout en Abitibi, je ne me suis jamais senti complètement intégré, totalement assimilé. C’est en partie à cause de moi: j’accepte avec joie une certaine culture apatride, je me vois comme un mélange intentionnel de mon héritage américain, juif, français, montréalais, geek, cinéphile, lecteur assidu. Je vois mon identité comme un puzzle sans fin que je construis moi-même avec des pièces universellement compatibles et enrichissantes. Je ne me vois pas issu d’un endroit spécifique, mais plus dirigé vers un non-lieu accueillant.

Mais je me vois, toujours, partout, comme un immigrant.

Bref, malgré ma compréhension incomplète mais évolutive de cette culture québécoise qui est en partie la mienne, je suis capable d’en saisir les paradoxes. Des paradoxes superficiels, comme celle d’une nation fière d’être québécoise mais dont le sport national est joué par une équipe qui porte le nom de Canadiens. Un genre de paradoxe auquel on s’habitue rapidement, le rangeant dans le placard avec désinvolture parmi ces millions d’ironies plus ou moins impressionnantes de ce monde trop complexe. Je sais aussi que, malgré notre aversion prétendue pour la royauté, résultat inévitable d’un rapport d’opposition historique avec l’Angleterre et ses nombreux souverains, il existe de la royauté au Québec. Des figures marquantes et importantes qui ont fait leur preuve, dans les années 60, 70 ou 80 et qui sont depuis fixées dans une idolâtrie officielle de nos principales figures médiatiques.

C’est ce rapport informel à la royauté du petit star-système québécois qui permet des dérapes comme celles qu’on a vues d’une Jeannette Bertrand vieillissante, instrumentalisée dans son racisme et sa xénophobie par un Parti Québécois prêt à tout pour faire passer une Charte et pour presser le vote. Des propos similaires tenus par une figure avec un C.V. moins impressionnant et sans passe-droit direct dans le coeur de notre identité collective seraient probablement rabroués, critiqués, traités avec plus de ridicule, de verve et d’opposition que ce qu’on a réservé à la vieille dame ou, maintenant, au vieux poète. À Tout le monde en parle ou à Plus on est de fous, plus on lit, on leur donne une petite tape sur la main, mais on rit encore avec eux à table.

Mais bon, le problème est peut-être dans l’érection d’idoles. Celles-ci ont toujours une habile manie de s’auto-détruire, puisqu’elles font partie de l’espèce humaine, éternellement imparfaite, rigoureusement stupide, agressivement capable des pires bêtises. Aucun géant dressé par un peuple n’est à l’abri des bassesses commises par ses plus petits et ses plus anonymes éléments. « You either die a hero or you live long enough to see yourself become the villain. » Ça vient d’un film saint, The Dark Knight.

Je m’égare, mais c’est un sujet qui me frappe.

Trop de tolérance! 

Cette révérence, cette patience, cette tolérance, ce désir d’interpréter de manière docile des propos hostiles, on ne le réserve pas à Sugar Sammy. D’ailleurs, on doit répéter que Sugar Sammy vient d’ici, qu’il est né ici, dans la plupart des articles qui parlent de l’humoriste controversé pas tant pour ses spectacles que pour ses habiles campagnes promotionnelles. C’est un gars d’ici, mais on le traite comme un gars d’ailleurs: t’as le droit de rire avec nous autres beaucoup, t’as le droit de rire de nous autres un peu, mais hey, fais attention, un moment donné, c’est trop, le Québec bashing.

Québec bashing. Un terme que j’ai toujours adoré puisque implicitement il supposait que la critique du Québec devait inévitablement venir de l’extérieur. Que même pratiqué par quelqu’un de chez nous, le geste, la pensée, pouvaient soudainement nous exclure, nous pousser à la sortie, nous obliger à dire de dehors les problèmes d’en dedans.

Bref, bien qu’on se considère comme un peuple hyper accueillant et ouvert (ça fait partie des mythes qu’on se raconte à nous-même depuis longtemps), on assite à des phénomènes inquiétants, dont les conséquences se retrouvent dans nos journaux et nos iPad: Sugar Sammy vient d’ici. Combien d’articles, pendant la période de la Charte, ont tenté de nous prouver que Fatima ou Fadwa ou Ahmed étaient humains? Combien de fois faut-il que Marc Cassivi prenne un café avec un Arabe avant qu’on réalise qu’il est en train d’essayer d’éteindre un feu dont on nie l’existence?

Une conception statique de la nation

Finalement, ce qui me dérange, implicitement, dans cette crainte de l’Autre, dans cette tentative de limiter son accès à nos portes, c’est la conception fantasmée d’un passé parfait, d’une période spécifique dans l’Histoire de notre peuple pendant laquelle on était réellement bien. Comme si les imperfections probantes, aberrantes, multiples, de nos ancêtres, de nos grand-parents et de nos parents étaient soudainement invisibles et que la mémoire fabriquée d’un passé parfait nous obligeait à tenter de protéger violemment quelque chose qui n’a jamais vraiment existé. L’utopie est morte. Inutile d’essayer de progresser de façon complexe vers un avenir meilleur avec ce qu’on a, ici, maintenant, là, plutôt essayer de reconstruire un bâtiment avec les plans déformés d’une mémoire sélective.

Dans le mythe de la nation menacée, il y a toujours cette idée selon laquelle nous avons raté de près la société parfaite, que nous y étions, enfin presque, et que nous nous en éloignons quotidiennement avec l’arrivée massive de l’autre.

Et si l’autre pouvait nous aider à construire non pas un rêve passé, mais un futur imaginé collectivement?