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Testament d’un chroniqueur

Salut à toi lecteur ou lectrice,

Tout d’abord, tu remarqueras que je me permets de te tutoyer car, vois-tu, pendant près de deux ans, je me suis déjà permis d’entrer dans ton char, dans ton restaurant préféré, dans ta maison, dans ton sac d’épicerie et même parfois dans ta tête. J’aime croire que je t’ai aussi accompagné quelques fois pendant ton heure de lunch ou tard dans le silence de la nuit. Je me dis donc qu’après tant d’impolitesse de ma part, de te tutoyer n’est pas si pire que ça. Enfin, pour être franc avec toi, c’est qu’avec le temps, j’ai appris à te connaître par l’entremise de tes commentaires, de mes chroniques que tu partageais sur Twitter ou Facebook, des discussions autour d’une cigarette le vendredi soir au bar et, pardonne-moi cette sensiblerie, mais j’ai fini par te considérer comme un ami.

Comme tu le sais probablement, je suis désormais un sans-papier. Le journal pour lequel j’ai consacré une grande partie de mon temps et de mes réflexions depuis 2010 est disparu. Je ne te le cacherai pas, j’en ai braillé. Même que, humiliation ultime, j’ai même craqué en entrevue à la télé de Radio-Canada. Je ne peux trouver un mot assez fort pour qualifier mon désarroi quant à l’immense vide que la disparition de Voir Saguenay/Alma provoquera. Je pense à tous les bands obscurs qui avaient enfin la chance de briller, aux créateurs en arts visuels qui voyaient leur travail analysé par des journalistes familiers avec le genre, à tous ceux qui oeuvrent en théâtre et qui étaient considérés à leur juste valeur, bref, la liste est longue en ciboulette…

Tu t’en douteras, j’ai été aussi pris de panique. En fait, je le suis encore. À la différence de tous mes autres collègues qui étaient à temps plein, je n’ai jamais pu avoir le statut d’employé permanent. Ce qui fait dire que j’ai toujours oeuvré en tant que « super-pigiste ». Voilà donc qu’après ma prochaine paie, je me retrouverai sans aucune entrée d’argent. Je n’aurai pas droit à l’assurance-chômage et je commence vraiment à capoter. Mais bon, sans vouloir être condescendant, je suis convaincu de me distinguer avec brio par ma plume et j’ai encore foi que quelqu’un quelque part m’offrira quelque chose dans les prochains jours. Je ne suis pas encore complètement entré dans ma phase de désillusion et de déprime.

D’ailleurs, je tiens à remercier tous les gens qui m’ont témoigné leur support. Vous avez été très nombreux. Je me doutais qu’il y avait une majorité silencieuse de lecteurs et de lectrices mais je l’avoue, vous avez été bien au-delà de mes attentes. Sachez que je suis énormément touché par vos propositions de « projets pas très payants » que vous m’avez offert au cours des dernières heures. Tout ça m’intéresse mais dans l’immédiat, c’est d’une job que j’ai besoin. Parce que malgré tout le bonheur immense que me procurait mon poste de rédacteur en chef, et particulièrement celui de chroniqueur, tout ça restait un emploi. Une vraie job.

Aussi, je tiens à vous remercier pour la pétition que vous avez signé en grand nombre afin de demander le retour de Voir Saguenay/Alma. J’ignore de qui est née cette initiative, mais j’en suis grandement ému. Évidemment, je doute fort bien qu’un tel mouvement populaire convaincra mes anciens patrons à revenir sur leur décision mais je vous invite à persévérer car au moins, cela démontre aux autres médias et/ou investisseurs de la région qu’il y a un réel intérêt pour le journalisme culturel. J’ai sincèrement confiance qu’il y aura très bientôt une suite à tout ça. À savoir quelle forme elle prendra, je n’ose pas m’avancer mais bon…

À cet effet, je tiens à saluer la témérité de Voir Communications d’avoir osé réaliser un rêve de société aussi fou que celui de faire paraître un hebdomadaire gratuit dans plusieurs régions du Québec. Disons-le franchement, il fallait des couilles grosses comme ça pour le faire. Malheureusement, ce projet se sera révélé beaucoup plus demandant qu’il ne semblait l’être.

Je crois qu’il est essentiel de mettre la lumière sur un certain point. Certes, j’ai appris à la toute dernière heure que l’édition qui paraîtrait le lendemain serait la dernière. Je me permets encore de qualifier cette méthode de cavalière. Or, il ne faudrait pas démoniser Voir Communications pour autant. Ce n’est que mon humble opinion (et que vaut-elle maintenant que je n’ai plus aucun titre?) mais j’ai vu davantage de maladresse dans cette façon de procéder que de la mauvaise foi. Sans vouloir offenser qui que ce soit, et ce, le moindrement du monde, les personnes qui ont conseillé d’agir ainsi ont manqué de vision. On m’a expliqué qu’à notre époque actuelle, où les médias sociaux peuvent mettre en circulation la moindre nouvelle en si peu de temps, il a donc été jugé préférable de laisser une faible marge de temps entre le moment où les employés apprendraient la triste information et celui où un communiqué serait adressé au grand public.

Ici, on a voulu bien faire mais on a tellement emmitouflé le bébé qu’on l’a mortellement étouffé.

Toujours à mon humble avis, Voir Communications aurait dû tout simplement annoncé la disparition de Voir Saguenay/Alma, Voir Mauricie et Hour avec fierté. Car je le répète, ce fut un projet inspirant et risqué. Chaque année de publication fut une victoire. Il n’y avait pas de honte à baisser les armes après une telle épopée. Le passage de Voir au Saguenay et à Alma aura éveillé la population à la nécessité d’un médium hebdomadaire jetant un regard allumé sur la culture et proposant une vision moins édulcorée de la société. Ce n’est pas rien.

Je tiens à remercier de tout mon coeur les pigistes avec qui j’ai eu la chance de travailler pendant cette belle aventure. Dario Larouche, tu pourras désormais hausser le niveau de langue et ta verve en rédaction car je ne serai plus là pour te rappeler sans cesse que peut-être que ma mère aura envie de lire tes articles et qu’il ne faudrait pas trop la brusquer.

Stéfanie Tremblay, je suis extrêmement fier de t’avoir engagé. Je suis certain que dans quelques années, c’est encore avec plaisir que je te lirai.

Boran Richard, tes idées de front page me manqueront énormément. Encore bravo pour cette photo surréaliste des Gouroux du Rock.

Marielle Couture, continue d’écrire pour l’amour du ciel. J’aime tes idéaux et sache que tu m’as énormément inspiré à croire en un meilleur avenir pour tous. Ça n’a pas de prix si tu savais…

À tous les précédents rédacteurs en chef du Voir Saguenay/Alma, merci d’avoir donné de votre amour dans ce journal et de l’avoir mené jusqu’à moi. J’aurais aimé qu’un jour, je puisse lire cela de la plume d’un de mes successeurs mais la vie est ainsi. Ici, je tiens à remercier particulièrement Jean-François Caron pour toute la confiance qu’il m’a accordée. Ce fut un énorme privilège.

David Desjardins, je ne m’ennuierai jamais de tes appels téléphoniques qui m’angoissaient à chaque fois. Toutefois, j’ai un pincement au coeur à l’idée de ces conclusions d’appels où j’éprouvais généralement une certaine fierté.

Manon Dumais et Olivier Robillard Laveaux, je tiens à vous dire qu’en vous connaissant, lors des rares fois où nous avons u nous côtoyer, j’ai découvert des personnes à la hauteur de ce que j’avais précédemment admiré dans leur plume.

Tristan Malavoy Racine, tu demeureras pour longtemps la personne la plus insaisissable que j’ai connu. Tu es comme les trois premières saisons de Lost. Venant de moi, c’est un sacré compliment.

À ce Simon Jodoin, merci de m’avoir supporté pendant toute cette aventure. Tu m’as toujours fait chier avec tes 4K de recommandations Facebook. Prends bien garde à toi, un jour, je jouerai dans ta ligue. Et je t’aime l’ami. Bromance oblige. Aussi, ne m’oublie pas trop vite car j’ai la ferme intention de continuer à mettre un peu de vie sur ce blogue.

Enfin, à toi lecteur ou lectrice, merci encore d’avoir été là tout ce temps. Ce qui arrive présentement n’est qu’un tournant. L’avenir est bien plus radieux qu’on ne puisse l’imaginer.