Guillaume Vigneault : C’est le temps de dégeler
Je ne fume que des Gauloises blondes. De la mari, je n’aime ni l’odeur ni l’effet. "Avec ça, t’as super hâte à rien", disait Desjardins, et la stupeur imbécile qu’induit chez moi cette substance n’est pas un état d’esprit que j’affectionne. Mais bon, quand mes amis "stones" rient pour rien et multiplient les tête-à-queue intellectuels, je prends une autre bière et ce n’est pas plus grave.
Je ne fume que des Gauloises blondes. De la mari, je n’aime ni l’odeur ni l’effet. "Avec ça, t’as super hâte à rien", disait Desjardins, et la stupeur imbécile qu’induit chez moi cette substance n’est pas un état d’esprit que j’affectionne. Mais bon, quand mes amis "stones" rient pour rien et multiplient les tête-à-queue intellectuels, je prends une autre bière et ce n’est pas plus grave. À maintenir la cadence, d’ailleurs, je me retrouverai plus mal en point qu’eux, que ce soit demain ou dans 20 ans. Mais le sempiternel parallèle avec l’alcool ne constitue à mes yeux qu’un demi-argument lorsque l’on parle de décriminalisation.
Non, s’il faut décriminaliser la mari, c’est parce que la loi actuelle fait théoriquement de la plupart de mes amis des criminels. Car la loi actuelle, en totale rupture avec les moeurs de facto, fait ainsi de l’État de droit une blague, un concept caduc, ce qui est à mon sens autrement plus grave. Comment s’attendre à ce qu’une société soit solidaire de ses institutions lorsque celles-ci ne lui ressemblent pas, lorsque ces institutions suggèrent tacitement à ses citoyens de choisir, en somme, de ne se conformer qu’aux lois qui les arrangent? Cela n’est pas une société de droit, c’est une polyvalente. Qui plus est, sous prétexte de nous protéger d’une substance à la toxicité bénigne (à peu près nulle lorsqu’elle n’est pas fumée) et à laquelle la dépendance s’avère négligeable, la loi en question engloutit notre argent dans une répression risiblement inefficace et économiquement désastreuse, une guéguerre qui, selon toute évidence, ne peut être ni gagnée ni rationnellement défendue.
S’il faut décriminaliser la mari, c’est aussi pour désengorger les prisons et les palais de justice et pour laisser les flics réprimer la vraie criminalité (celle qui fait de vraies victimes). Et s’il importera, dans un avenir éventuel, de légaliser le pot, ce sera pour priver le crime organisé de sa plus belle vache à lait, ce qui ne serait pas un mince bénéfice. Car en amputant un réseau de distribution de son produit-vedette, c’est le réseau lui-même qu’on ampute, réseau par lequel transitent aussi les vraies saloperies. En dépit de notre méfiance endémique envers nos gouvernements, il m’apparaît encore préférable d’engraisser les coffres de l’État par des taxes sur le pot que les comptes en banque de Mom Boucher. La consommation de pot légal grimperait-elle pour autant, advenant sa légalisation? Peut-être un peu, mais la perspective d’une flambée significative est difficile à défendre, tant l’accès au cannabis est déjà d’une facilité déconcertante. Je connais des gens qui fument tous les jours depuis l’âge de 12 ans et qui n’ont jamais été embêtés. Et rappelez-vous qu’au secondaire, il était plus facile d’acheter un gramme de hasch qu’une caisse de bière ou un paquet de cigarettes. Une prohibition injustifiable, c’est comme un médicament inapproprié: ça fait plus de tort que de bien.
Pourquoi légaliser la mari, au bout du compte? Parce qu’elle fait partie de nos moeurs, parce que la plupart de nos dirigeants y ont sans doute déjà touché – exception faite, peut-être, de Mario Dumont et quelques autres dinosaures – et ils savent très bien que ça ne rend personne cinglé. Peut-être un peu flanc-mou, mais à côté du jeu compulsif, il n’y a pas de quoi fouetter personne. Et en fin de compte, les coûts sociaux – quels qu’ils soient -, on les paie déjà de toute façon; à s’obstiner à ne pas avancer un brin, on les paie simplement en double. Bref, il serait peut-être temps de dégeler.