Olivier Choinière : Écran de fumée
N’y a-t-il pas geste plus insignifiant que celui de s’allumer un joint? Comment se fait-il que ce qui est l’équivalent culturel d’acheter, de vendre et de boire de la bière puisse constituer un délit?
N’y a-t-il pas geste plus insignifiant que celui de s’allumer un joint? Comment se fait-il que ce qui est l’équivalent culturel d’acheter, de vendre et de boire de la bière puisse constituer un délit? L’absurdité atteint son paroxysme lorsque des citoyens se voient obligés de former des partis politiques pour défendre une case qui est au fond de l’ordre du banal. N’empêche. Dans l’imaginaire collectif ou, du moins, dans le discours officiel qui s’en fait le fidèle interprète, la mari demeure la drogue-frontière entre les drogues douces et les drogues dites dures. Du joint à l’aiguille dans le bras, il n’y a qu’un pas. Le cliché est persistant, malgré les nombreuses études qui tendent à prouver le contraire, même si une même étude, on le sait, peut servir des discours divergents.
Mais la question est-elle vraiment de savoir si, dans notre société hautement dopée, le pot est une drogue ou non, s’il est dangereux ou non d’en consommer, s’il est ou non socialement acceptable d’en fumer? Si ce n’était pas la mari, ce serait autre chose. Mais la plante aux multiples usages est pour l’heure la ligne de partage de l’interdit, la limite fumante et floue permettant toutes les dérives et les interprétations, ce qui est d’une grande utilité pour ceux qui font l’exercice du pouvoir.
Car si légaliser veut non seulement dire permettre, mais également responsabiliser, et pour nos gouvernements, être responsables des lois qu’ils décrètent, ne pas légaliser la mari, comme d’autres drogues d’ailleurs, c’est encore une fois garder la possibilité de punir et par là, de poursuivre cette campagne d’infantilisation qui touche toutes les sphères d’activité où la question de la sécurité publique touche celle des libertés individuelles, avec cette idée que l’individu est son principal danger, et qu’il faut donc le protéger de lui-même.
Malgré les coûts exorbitants que peut représenter la guerre contre certaines drogues, j’imagine qu’il est plus payant politiquement de préserver dans l’esprit de chacun l’existence de quelques démons, aussi inoffensifs et ridicules soient-ils, surtout lorsqu’ils prennent l’aspect d’une plante à sept feuilles.
Et pourquoi un gouvernement, qui glisse sur la pente dite douce de la privatisation, donnerait un cadre légal à ce qui est au fond une industrie prospère, dirigée par des entrepreneurs peu soucieux de la vie humaine, certes, mais des entrepreneurs qui font tout de même rouler l’économie, à qui l’on fait des procès pour la forme et qui, tout comme notre élite politique, ont compris que la peur et l’ordre font bon ménage? Car légaliser voudrait également dire enlever du pouvoir aux criminels; mais dans la logique où l’ennemi commun est nécessaire au bon fonctionnement de nos démocraties modernes, ce serait alors, pour nos dirigeants, se priver d’un allié fort utile.