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Le gosier de la masse silencieuse s’ouvre

Par ce temps qui voit rouge, les paroles se dévoilent. J’apprends à connaître mes voisins, que je ne voisinais pas. Comment pouvais-je les connaître, ils se taisaient, pendant que je me taisais aussi. La masse dormante ne se réveillait pas. Fred Pellerin, poète de la parole parlée s’en désespérait. Même en tendant l’oreille, il n’entendait qu’une rumeur de murmures. Il a compté sur les contes pour nous conter des histoires.

Depuis quelques semaines, la parole se lève et s’élève. On s’entend penser, on s’entend parler, on s’entend discuter sur la place publique plus vaste qu’un perron d’église. Les mouvements de parole arrivent par vagues, traversant les réseaux sociaux, les journaux. Même si on ne s’entend pas sur la couleur à voir (Parenthèse : pendant ma rédaction, les Lucien Bouchard et compagnie prennent la parole), on écrit, on se lit, on se parle.

À tous les jours, les tribunes offertes aux citoyens éclatent de prises de parole. Seulement aujourd’hui, voici ce que j’y ai lu :

Au courrier des lecteurs @ Voir : Une chorale d’artistes, plusieurs écrivains, dont la parole est habituellement couchée entre les pages d’un roman ont donné leur appui à la vague contestatrice. En exergue, ces mots enlevés de la bouche de Miron « Je suis sur la place publique avec les miens, la poésie n’a pas à rougir de moi, j’ai su qu’une espérance soulevait ce monde jusqu’ici. » Sur l’espace « citoyens » de La Presse s’y trouve une leçon d’histoire universelle. Ce texte, de Marie-Christine Bernard bat la mesure de la Grande Histoire, mais j’ai bien peur, que ces temps-ci, notre ministre de l’éducation est trop « pantoite » (sic) pour s’y rendre, tellement son nez est collé à la petite Histoire. Au Point de vue du Soleil, un professeur de philosophie signe un texte sur la honte ressentie, la fin de semaine dernière, dans les rues de Québec où il dénonce « au risque de se faire complice d’un État qui musèle ses citoyens pour délit d’opinion »

On le sait, les manifestations chez les étudiants reviennent à tous les jours, mais combien poussent, comme des champignons à corolle large, d’un endroit à l’autre, pour sortir d’un silence qui minait l’espoir et grugeait la vitalité du « nous ». La dernière manifestation en liste profitera de la fête des patriotes pour ouvrir le gosier de la masse silencieuse. Gageons qu’il y aura plus de personnes que jamais. Quand on prend la parole, après un jeûne compté en mois et en années, s’ouvre une course pour rattraper le temps qui, lui, est allé de l’avant.

Une insatisfaction longtemps ignorée prend de l’ampleur, gonfle, se réveille et, curieusement, le déclencheur est un cri lancé par la jeunesse étudiante à la face de sourds. Ces sourds qui gouvernent en répétant des recettes gagnantes qui ne gagnent plus, qui rient bêtement, qui tremblent, et qui finissent de rager parce qu’ils tremblent.

Un peuple en dormance n’hiverne plus après un printemps vivifiant. Le silence devient trop puant de consentements non désirés.

Malgré le risque d’illusions qui s’éteignent, rien ne vaut de se sentir vivants, et vivant ensemble, malgré nos dissensions. Est-ce qu’une famille s’aime moins parce qu’elle ne partage pas la même opinion ?

Les pires familles sont celles qui ne se parlent plus.