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Tirelire, Rockfest et “pay to play”

Le quotidien Le Droit a fait détonner une petite bombe aujourd’hui : le Rockfest de Montebello – qui aura lieu ce week-end – se mettrait en mode “pay to play” pour certains artistes de l’underground ou encore de la relève. On y rapporte que certains contrats stipulent que les artistes recrutés ne recevront aucun cachet, ni repas, boisson ou victuailles, la visibilité qu’offre l’événement étant suffisante. De plus, certains groupes doivent également vendre un certain nombre de laissez-passer avant de finalement monter sur scène. On indique aussi que le nombre de billets vendus déterminera également le créneau horaire de la prestation.

Et ce n’est pas tout…

Le journaliste Yves Bergeras rapporte aussi que “(s)elon ce qui est prévu dans le contrat, tous les billets invendus doivent être payés à même la poche des artistes, afin de combler le manque à gagner. Si le groupe manque à ses obligations, le producteur se réserve le droit d’interdire aux membres de jouer et de les poursuivre en justice.”

 En entrevue avec Le Droit, Alex Martel – fondateur de l’événement – se défend en indiquant que «personne ne nous oblige à programmer des bands locaux. Et si je peux me permettre de parler au nom des promoteurs, notre job, c’est de vendre des billets, pas de faire du développement d’artistes. On en fait tous un peu, mais c’est uniquement par bonne volonté».

Pourtant, lors d’un entretien pour un article à paraître dans le Voir de demain, les producteurs des Francofolies – qui, tout comme M. Martel, sont des promoteurs – m’ont confiés qu’ils ont fait le pari de miser sur la relève dès leur première édition, car – avec des artistes méconnus de la trempe de Jean Leloup et Noir Désir (les invités du concert “rock nouveau” de la première édition de l’événement) – vient un public… nouveau. “C’est une de mes plus grandes fierté”, note même le président-fondateur Alain Simard. “25 ans plus tard, l’objectif de rejoindre les jeunes et les communautés culturelles est réalisé. (…) Dès qu’on a commencé à tenir des spectacles extérieurs, j’étais ébahi de voir ces bandes de jeunes où, par exemple une ado  haitienne traine ses amis à un spectacle d’artiste haitien, toute fière de sa culture, et les autres de l’amener voir, je sais pas, Jean Leloup par exemple. Pour moi, c’est ça les Francos!”

Là où le bat blesse, par contre, c’est lorsque que M. Martel mentionne au Droit qu’il ne veut pas parler des clauses de son contrat, car ce sont “des informations […] qui ne concernent pas le grand public ». Or, l’événement profite d’aides financières et de subventions versées par Patrimoine Canada et la Conférence régionale des élus de l’Outaouais, notamment. Bref, ce fameux  “grand public” finance en partie le Rockfest.

Mais bon, pour revenir à la démarche de M. Martel, celle-ci s’apparente au fameux “pay to play” décrié par de nombreux musiciens underground. Même que la première version de Stay Away – alors nommée Pay to Play – de Nirvana se voulait une dénonciation de la méthode…

Aux États-Unis, le phénomène est fortement décrié.

Rose Cora Perry, l’ex chanteuse de la formation rock Anti-Hero (à ne vraiment, mais vraiment pas confondre avec la formation oi! Anti-Heros) a notamment lancé un pavé dans la marre sur son blogue So You Wanna Be A Rockstar où elle invite ses congénères à se méfier de promoteurs montant des vitrines aussi douteuses que méconnues et où on promet la présence de médias et/ou gens de l’industrie en échange d’une prestation (“payée” par le groupe, car celui-ci doit démontrer son pouvoir d’attraction sur la foule en remplissant la salle de ses fans, souvent des amis, voire des membres de la famille).

Un membre du groupe Girl Trouble (d’où l’illustration) a même été jusqu’à monter neverpaytoplay.com, un site entièrement consacré aux combines du genre et où il répertorie les festivals, promoteurs et autres grosses huiles s’adonnant à la pratique, dont Emergenza et Gorilla Productions (encore une fois, d’où l’illustration).

Au Québec, toutefois, on en parle surtout à couvert…

Ainsi, on m’invite – avec raison – à établir une distinction nette entre le “pay to play” de bas étage et le cirque des vitrines en vue où l’industrie est vraiment présente. “Il y a des conférences musicales très connues qui présentent des showcases. Ces showcases sont payés par des artistes ou des maisons de disques la majeure partie du temps; les groupes qui se produisent au showcase, eh bien, ils ne sont pas toujours rémunérés. Le festival ou la conférence peut se défendre en disant qu’ils ne vendent qu’un showcase, mais le principe demeure : le band n’est parfois pas payé. Parfois, c’est un commanditaire qui paie le showcase et afin d’attirer du monde, le commanditaire paie un nom connu pour jouer à son showcase. Il y a certains festivals qui mêlent les deux. Le festival paie certains artistes afin de faire mousser la popularité de l’événement et complète sa programmation avec des showcases”, me confie un contact anonyme (pincez-moi quelqu’un, je me sens comme dans All The President’s Men!) avant de glisser que “demander à un band de vendre des billets, de faire de la promo et de payer la différence afin d’avoir une meilleure place dans l’horaire, c’est du jamais vu pour moi.”

Dan Seligman, grand manitou de Pop Montréal, un autre festival favorisant les musiques alternatives, n’est pas un grand fan du “pay to play”. “Je n’y crois pas. Même si c’est peu, on croit que chaque artiste doit être payé”, clame-t-il avant d’affirmer que Pop Montréal offre un forfait minimum de 100$ par groupe participant à sa foire. Pratique quand même en vogue dans le domaine “Je crois que d’autres vitrines plus grandes – comme NXNE ou SXSW – offrent ce montant ou des bracelets donnant accès au festival entier, mais nous, on préfère offrir les deux.”

Le même informateur anonyme apporte toutefois un bémol : “Peut-être y a-t-il une distinction entre conférences et festivals, mais parfois il semble y avoir un mélange qui se produit entre ce qui pourrait les différencier. À savoir, une conférence, c’est payant, ça fonctionne par showcases et elle est présentée dans le cadre de rencontres de professionnels de l’industrie… et à un festival, on paye les artistes et on présente les spectacles au grand public. Toutefois, il y a souvent, dans le cadre de conférences, des soirées grand public où sont présentées des spectacles d’artistes rémunérés, et c’est fait dans le but de rendre la conférence populaire (obtention de subventions, capacité à attirer des commanditaires, etc.). Ça demeure du showbizz où plus souvent qu’autrement le band en bas de l’échelle n’est pas payé, sert à remplir la grille horaire et pire… paye pour jouer.” Puis, il reviendra au cas du Rockfest : “C’est plutôt inusité, mais sur le principe du « pay to play » ou le principe du « tu n’es pas payé pour jouer », je ne crois pas qu’il soit le seul événement musical à agir ainsi…”

Seligman, de son côté, fait plutôt valoir que “chaque événement a maintenant son modèle d’affaire. Eh oui, une prestation – payée ou non – au bon moment, au bon endroit avec le bon matériel et devant les bonnes personnes peut être bon pour la visibilité, mais c’est à l’artiste de prendre ce risque. Personne ne les force, bien sûr, mais je crois tout de même que ça mène à un parcours de carrière particulièrement ardu.” En ce qui concerne la démarche du Rockfest, le directeur de Pop Montréal demeure de glace, mais remet en doute l’impact potentiel d’un concert dans un festival du genre sur une carrière, car “c’est un événement qui demeure très public. J’veux dire, ce n’est pas comme la Bourse Rideau ou M Pour Montréal où on met un point d’honneur sur l’industrie.” Plus tard, il notera qu’une prestation mémorable à Pop Montréal peut bel et bien faire jaser (parlez en à Shortpants Romance!), mais celui-ci ne fait jamais miroiter ce potentiel aux artistes.

Ainsi, le cas du Rockfest qui se retrouve aujourd’hui exposé au grand jour, est loin d’être unique et n’est, en fait, que la pointe d’un iceberg. Reste à savoir qui d’autre trahira l’omertà entourant certains événements du genre et – surtout – quelle décision les artistes concernés prendront par la suite.

Aussi à lire :

Rockfest: un contrat qui est loin d’être la norme via Le Droit

Paying to Play: Tough Times for Local Montreal Bands via montrealites.ca

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