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Les régions éloignées n’ont pas besoin de vie culturelle

J’ai vécu six ans en région éloignée. Éloignée pour vrai. À huit ou dix heures de route de Québec et Montréal pendant quatre ans, onze et treize heures de route de la Capitale et de la Métropole pendant deux ans. Pour vivre autre chose, comprendre mon pays autrement que par ces deux villes où j’ai vécu.

Revenu à Québec en juillet dernier, je me sens encore Nord-Côtier dans mon coeur. En fait, je me sens «régional» en général, je me sens proche des gens de la Côte-Nord, évidemment, mais aussi de la Gaspésie ou de l’Abitibi. Un peu comme deux motards qui se saluent sur la route, j’ai l’impression de partager une fraternité impalpable avec ces Gaulois du Québec.

Vivre en région éloignée, ça peut devenir un acte de foi, un acte politique, un choix de vie. J’ai eu la chance d’être accueilli et de discuter longtemps chez l’habitant de Havre-Saint-Pierre, de Natashquan, de Fermont, de Longue-Pointe-de-Mingan, de Gros-Mécatina. Chaque fois, dans le discours, il vient un peu cette impression que derrière les défis d’occuper ce magnifique territoire se cache une mission inconsciente: habiter ce lieu qui nous appartient est essentiel. C’est un peu ça, aussi, que veut montrer Stephen Harper quand il va dans l’Arctique chaque année, cet immense bout de terre et de glace-là, non seulement le Canada le revendique, mais il l’habite.

Rester à Natashquan, c’est profiter d’un lieu féérique. La plage, les galets, les rivières… Mais c’est d’accepter de vivre loin d’une offre culturelle, loin d’une diversité culturelle. Pourtant, des artistes dans ce village, il y en a! Gilles Vigneault n’était pas une bibitte à part. Ses racines n’étaient pas seulement plongées dans la mer, mais aussi dans cette particularité qu’ont ces villages où tout le monde chante, où tout le monde swigne la bacaisse.

En même temps, si Gilles n’était pas parti ailleurs, découvrir d’autres courants musicaux, échanger avec d’autres artistes, son oeuvre n’aurait pas été aussi porteuse.

Les Macacains et les Macacaines peuvent compter depuis quelques années sur le travail de Guillaume Hubermont, un Belge qui a décidé d’aider le développement culturel de Natashquan. Rockeur dans l’âme, il a mis sur pied plusieurs activités, il aide à consolider l’énergie des artistes du coin, à faciliter la paperasse administrative des subventions, à créer des festivals. Par exemple, depuis deux ans, il a mis sur pied une résidence d’artistes. Des photographes, des auteurs, des illustratrices, des musiciens, des inclassables. Ils viennent une semaine à Natashquan pour créer. Ces oeuvres sont léguées au village.

Cette semaine est non seulement un échange entre les artistes eux-mêmes, qui souvent ne se connaissent pas avant d’aboutir dans ce presque bout du monde, mais aussi entre les artistes locaux et ceux provenant de Montréal, des Iles-de-la-Madeleine et même de la Belgique, parfois! C’est un échange entre des artisans, des artistes professionnels, des visions, des façons de faire qu’il serait impossible à faire sans cette semaine de résidence. C’est une richesse culturelle majeure pour un lieu comme Natashquan, inconcevable il y a quelques années!

Est-ce que le Festival de la chanson de Tadoussac était rentable à ses débuts, il y a trois décennies? Est-ce que le Symposium international de peinture de Baie-Comeau a des retombées économiques majeures pour la Manicouagan? Est-ce que le Festival de cinéma Ciné7 remplit à rebord les hôtels de Sept-Îles? Est-ce que le Festival du Bout du monde de Gaspé crée deux dollars pour chaque piasse reçue en subvention? Je ne le sais pas, mais leur portée va bien au-delà.

Je m’exprime peut-être rapidement. Tous ces événements ne sont peut-être pas en danger, mais le principe me fait peur. La ministre du Tourisme, Dominique Vien, a annoncé que son ministère va réévaluer les retombées économiques des festivals du Québec. Dans La Presse, nous pouvions lire ceci:

«Il peut y avoir un festival qui peut être bien sympathique et bien intéressant pour des communautés, mais est-ce que ce festival produit des retombées en termes de nuitées [à l’hôtel], par exemple? illustre-t-elle. Est-ce que l’argent qu’on donne se traduit en retombées touristiques? Je ne suis pas tout le temps certaine. C’est ça qu’il faut revoir.»

Dans Le Nord-Côtier, hebdomadaire de la Côte-Nord, nous lisions que le poste «d’agent culturel» de Natashquan pourrait disparaître, puisque le fonds qui le finance, Programme villes et villages d’art et patrimoine (VVAP), passe sous le bistouri des Libéraux. Est-ce le cas pour tous les agents culturels des villages? Je ne sais pas, mais je ne serais pas surpris.

Je n’ai aucune idée, présentement, des retombées économiques du festival Innu Nikamu, de Malioténam, près de Sept-Îles. Je ne doute pas qu’il en ait pour la région, mais je n’ai aucune donnée avec moi. Je sais toutefois qu’il est vital pour les autochtones, non seulement de la Côte-Nord, mais au Québec. Son importance culturelle dépasse ce qu’il peut apporter en dollars concrets.

Permettre à des artistes de demeurer dans une région comme Baie-Johan-Beetz et Natashquan, des villages de 100 et 400 personnes, s’assurer que la région de Gaspé puisse avoir un vrai festival de musique, pour que ces gens puissent une fois dans l’année avoir une diversité musicale similaire à celle des grands centres, permettre à des gens de l’Abitibi de mettre sur pied un projet un peu débile, celui d’un festival de faux documentaires… J’imagine qu’au début, tout ça, ce n’était pas très rentable…

Comment le ministère va faire le pour et le contre? En ne regardant que les retombées financières, peut-être que Regard sur le court de Saguenay n’aurait pas eu la chance de devenir le plus gros événement du genre au Canada, l’étouffant dès le début dans une absence de soutien financier.

Peut-être que je m’alarme un peu vite, mais j’ai peur pour tous ces événements culturels, pour tous ces artistes qui font rayonner leurs petits coins de pays, pour toutes ces personnes qui se battent pour occuper notre vaste territoire et qui se feront peut-être dire qu’ils sont vertueux, mais pas très rentables et donc inutiles…