BloguesLa vie en BD

Je me souviendrai et le printemps érable

Il y a eu un conflit social ce printemps, vous le saviez? Ou plutôt, vous vous en rappeliez?

Jusqu’aux récentes confrontations à l’UQAM autour de l’enjeu de la hausse des frais de scolarité et de la Loi 78 avaient plutôt été escamotées de la campagne électorale actuelle. Pour le meilleur ou pour le pire, selon les analyses et les perspectives. Un choix stratégique? Ou simplement un état de fait, montrant bien la lassitude malheureuse du public et des médias autour de ce « printemps érable » qui a suscité bien des manchettes au cours des derniers mois.

Il y a seulement quelques semaines, le sujet était incontournable.

Même ici, dans un blogue dédié à l’univers de la bande dessinée, il avait été impossible de passer à côté. Les bédéistes et illustrateurs, à l’image de nombreux autres artistes et créateurs, avaient été nombreux à choisir de mettre leur imagination au profit du conflit : d’une manifestation de « bonshommes » réunissant plusieurs dizaines de dessinateurs, jusqu’à des notes de blogues et des fanzines. J’avais même tenté, ici, d’en dresser un bref aperçu, en deux parties (ici pour la première) (ici pour la seconde).

Et voilà.

Qu’on soit en accord ou non avec la hausse des frais de scolarité (ou indépendamment du regard qu’on porte sur les enjeux corollaires à la question qui s’est élargie au fil du conflit), il n’en reste pas moins qu’il faille admettre qu’on a vécu un moment « historique ». Grande histoire? Ou histoire anecdotique? Ça reste à voir. Le temps le dira.

Mais, d’ici là, dans cet univers où l’information « vole », où les actualités et dossiers chauds sont sans cesse mis au rancart, il faut aussi prendre le temps de se rappeler. Sans recul, impossible de mesurer l’impact de ce qu’on a vécu, certes. Sans souvenirs, sans documentation, impossible de le comprendre.

Oui, journaux et médias ont leurs propres archives.

Mais qu’en est-il de ces nombreuses notes de blogue, publiées ici ou ailleurs? Qu’en est-il de ces illustrations, de ces planches, disséminés ça et là sur la toile? De ces vidéos inspirants projetés grâce à YouTube? Qu’en est-il de ces autres témoignages de ce moment collectif? Ils existent toujours. Un peu partout. Disponibles pour celui qui souhaite fouiller, creuser. Ils existent encore, donc, mais en partie.

Sur le Web donc. Mais aussi, depuis le 21 août dernier, sous forme d’ouvrage collectif, à mi-chemin entre recueil d’illustration, recueil BD, chronique éditorial et chronologie de l’histoire récente. Ça s’appelle Je me souviendrai. C’est à La Boîte à bulle, développé à l’initiative (et sous la direction) de Soulman.

Pourquoi? Parce que, lui aussi, voyait cette abondance de contenu poussé par le Web s’étioler peu à peu. « Parce qu’à peine sorties de l’eau, ces petites perles ont déjà disparu dans le courant d’une information continue et intarissable. Parce que les textes réunis ici méritent plus que le temps d’une simple pause café avant une réunion, ces photos, ces illustrations méritent plus d’attention que quelques clics dans un bus, en attendant son arrêt », nous dit-il dans la préface de cet ouvrage. Pour ça donc. Et aussi pour se rappeler de ce mouvement de solidarité, ajoute-t-il : « Je ne me rappellerai non pas la moindre violence, ni la moindre intimidation, mais, au contraire, cette multitude de gestes de solidarité, ces carrés rouges, ces casseroles, ces immenses marches pacifiques où les sourires ont fleuri et où les générations se sont mêlées. »

Choix éditorial? Sans aucun doute.

Mais, de toute évidence, un choix qui s’imposait, tant la présence et la créativité exprimée sur le Web dans le camp des « Rouges » furent imposantes, notamment dans la sphère BD.

Alors oui : un A+ pour les intentions.

Et dans l’exécution, qu’y retrouve-t-on?

En un mot : beaucoup. Construits par ordre chronologique, les éléments choisis, textes ou dessins, nous permettent de bien saisir l’escalade de ce conflit. Des textes à saveur éditoriale, tirés de divers blogues et chroniques (dont quelques-uns ici sur Voir.ca, citons Normand Baillargeon ou Léa Clermont-Dion), qui développent l’argumenter et la réflexion des « Carrés rouges » face aux événements. Des reportages ou de l’autobiographie, qui remettent le côté « humain » au cœur du recueil : Francis Desharnais, Julie Delporte, Antoine Corriveau, et bien d’autres… Des BD humoristiques aussi, comme ce superhéros « Carré rouge » Passionrougeman offert par Philippe Girard. À cela, on ajoute des textes poétiques, des textes pamphlétaires, quelques photos, quelques illustrations. Et aussi le scénario et quelques images de ce Je marche à nous créé par le cinéaste Samuel Matteau.

Bref – un aperçu de ce qui a circulé, de ce qu’on a lu, de ce qui a animé les réflexions de nombre d’Internautes au fil de ce « printemps érable ».

Réussi, ce Je me souviendrai? Oui. Parce qu’il atteint son objectif. Parce qu’à l’image de son titre, il offre une mémoire physique, tangible, au volet Web de cet épisode. Pour plusieurs « Carrés rouges », il permettra de se souvenir, justement, de cet état d’esprit, de cette prise de conscience collective. Et pour les « Carrés verts »? Peut-être de comprendre, un peu plus, par une multitude de procédés, l’état d’esprit d’une part de la population québécoise, ce printemps.