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L’obscénité ne date pas d’hier

En faisant des recherches pour le dossier de Rémy Couture, ce maquilleur d’effets spéciaux accusé d’obscénité pour avoir produit et diffusé des fimages d’horreur, je suis tombée sur deux pages web étranges, l’une chez Wikipédia, l’autre sur le site de Canoe.

Sur Wikipédia, le titre de l’article est «Corruption des mœurs», conformément au titre donné à la section du Code criminel où se trouve le crime d’obscénité.

Dans le Journal de Montréal, l’article de Mathieu Turbide, auquel réfère Wikipedia et qui traitait justement du procès de Rémy Couture, s’intitule «Corruption des mœurs, un article du Code criminel peu connu».

Pourquoi ces textes sont-ils étranges et pourquoi j’en parle ici?  Parce qu’ils sont erronés du début à la fin.

L’accusation d’obscénité n’est pas inusitée

Déjà, le titre donné à l’article du Journal de Montréal est inexact.  «Corruption des moeurs, un article du code criminel peu connu».  D’abord, «Corruption des moeurs n’est pas un article, c’est une section.  L’auteur doit vouloir dire «Obscénité, une article peu connu».  Ah bon?  Peu connu de qui?  Car sans être aussi connue que les crimes de meurtre et de vol, l’obscénité n’est pas ce qu’on peut qualifier d’infraction inusitée, et de nombreuses accusations sont portées au Canada depuis toujours sous ce chef d’accusation.

À preuve, l’arrêt Butler, qui est l’arrêt cardinal de l’a Cour suprême du Canada sur le sujet, a été rendu en 1992, et a été cité par les tribunaux à au moins 161 reprises.  C’est dire qu’au moins 161 décisions ont été rendues au Canada où il a été question d’obscénité depuis 1992.  Peu connu? Vraiment?  (Source:  CanLII )

L’obscénité ne date pas d’hier

Maintenant, sur le fond, les deux articles sont encore erronés puisqu’ils situent en 1949 l’apparition en droit criminel canadien de la notion de corruption des mœurs.  Sérieusement?  A-t-on bien réfléchi avant d’écrire une chose semblable?  Comment penser qu’une infraction de moralité puisse être née en 1949?  La faute à Duplessis?  Quand même!

Il est évident, même pour le profane, que l’obscénité ou autre forme de corruption de la morale a bien dû exister dans le droit français et dans la Common Law avant 1949.  Une recherche très rapide sur le web permet d’ailleurs d’en trouver une trace au Code Napoléon de 1810.

En Common Law, qui est notre système de droit criminel, c’est l’Obscene Publications Act de 1857 en Angleterre qui semble avoir codifié, pour la première fois, le crime d’obscénité déjà existant dans la jurisprudence.

Au Canada, c’est en 1892 que le Code criminel a été modifié pour inclure le crime d’obscénité qui, encore une fois, existait déjà en Common Law, c’est-à-dire en droit jurisprudentiel par opposition au droit écrit, ou codifié.  1892 plutôt que 1949.  Quand même.

Qui s’est inspiré de qui pour situer, dans deux textes différents, l’apparition du crime d’obscénité en 1949?  Je l’ignore, mais c’est tellement farfelu qu’il m’est difficile de croire que le lecteur le moins averti ait pu gober ce qu’il a lu.

Histoire illustrée du crime

Enfin, dans les deux textes saugrenus, une histoire nous est racontée pour expliquer l’apparition du crime d’obscénité.  Cette histoire, dont  je n’ai trouvé aucune trace dans la jurisprudence au pays, est la suivante:

Deux ados de 11 et 13 ans s’étaient installés en bordure d’une route, près de Dawson Creek, au nord de la Colombie-Britannique. Armés d’un fusil de chasse, ils s’amusaient à arrêter les voitures en tirant des coups de feu en l’air, comme des bandits de grand chemin.

La mauvaise farce a tourné au drame quand une voiture a refusé de s’arrêter et qu’un des jeunes a tiré un coup en direction de l’automobile, blessant le conducteur, un homme de 62 ans, qui est décédé trois jours plus tard.

Au cours du procès, il a été démontré que les deux jeunes étaient de grands amateurs de bandes dessinées et de romans policiers illustrés mettant en scène des bandits.

 (Mathieu Turbide, le Journal de Montréal)

C’est donc dire que les deux textes ne nous parlent pas de la corruption des mœurs de manière générale, mais uniquement de la section –qui est effectivement peu usitée- concernant la publication d’histoire illustrée du crime.

On peut lire au paragraphe b) de l’article reproduit au bas de ce billet que quiconque publie, possède ou distribue une «histoire illustrée du crime» commet une infraction.

Or, ce n’est pas de ça dont Rémy Couture est accusé!  Il est accusé en vertu du premier paragraphe, celui sur l’obscénité.  L’article de Journal de Montréal n’a donc vraiment aucun sens.  Il semble traiter des accusations portées contre Rémy Couture mais nous parle d’une toute autre chose.

Et encore, cette section de l’infraction, l’histoire illustrée du crime, elle ne peut pas être apparue à la suite de l’histoire rapportée (et introuvable – une histoire fictive? Une légende urbaine? J’aimerais bien qu’un étudiant en droit arrive à trouver d’où provient ce récit) puisqu’elle était déjà présente au Code criminel en 1892 lors de la rédaction de l’article.

Tout ça pour dire que ce que l’on retrouve sur internet n’a parfois aucune valeur.  On le savait déjà.  J’ai simplement eu envie d’en faire une petite histoire illustrée.