Mara Tremblay : Du chien dans un jeu de quilles
Musique

Mara Tremblay : Du chien dans un jeu de quilles

MARA TREMBLAY débarque avec un album émouvant, détonnant et original. Quelque part entre La Bolduc et Leloup, elle chante ce qui lui plaît avec une dégaine unique. La sienne.

A quoi peut bien ressembler le disque de Mara Tremblay? Pour avoir une idée de sa facture, remontons le fil du temps: une enfance bercée par la musique country, un premier groupe, Les Maringouins, qui reprenait les succès de La Bolduc, un séjour chez Les Colocs suivi d’une incursion plus rock’n’roll au sein des Frères à ch’val. En faisant la somme de ces expériences, on cerne à peine l’univers qu’elle nous propose dans Le Chihuahua, ce premier album solo qui, déjà, fait tourner les têtes et les méninges. On a du mal à lui coller une étiquette, ce qui donne lieu à une amusante surenchère d’épithètes qui, prises séparément, ne veulent pas dire grand-chose. Nommer l’originalité et l’inhabituel n’a jamais été chose facile. Remarquez que la principale intéressée ne s’en plaint guère; Mara répond simplement que «tout lui est venu naturellement» et qu’elle n’a «pas cherché à plaire, ni à trouver un style particulier».

Soit, mais le résultat est bien là, sans doute parce que les musiciennes de sa trempe sont une denrée trop rare. Dans un monde où les hyper-chanteuses ont le haut du pavé, une artiste qui chante par nécessité, de la même façon qu’elle apprend le banjo pour habiller une musique, mérite toute notre attention.

La cohésion de ce disque, ses trouvailles abondantes, seraient-elles le fruit d’un travail long et ardu? Il n’en est rien. «C’est Patrice Duchesne qui m’a proposé de le faire, une fois en poste chez Audiogram. Tout ça sans promesse, juste pour le fun, pour voir ce que ça donnerait. Si le résultat n’avait pas été concluant, on ne serait pas allé plus loin.» Il devait bien y avoir une ambition secrète cachée quelque part, songe-t-on. «Non, répond-elle le plus sérieusement du monde, après les Frères, j’ai décidé de me consacrer à mon fils et j’ai pris un break sans savoir ce que j’allais faire.» Radieuse, Mara ajoute: «Je crois beaucoup au destin. Aujourd’hui, j’ai confiance en la vie sans bon sens. Je n’ai rien demandé et tout m’arrive. Quand un projet ne marche plus, il m’arrive tout de suite autre chose. Lorsque Les Colocs ont pris une orientation avec des cuivres, Nanette m’a demandé de jouer avec elle le jour même.»

L’album vient de paraître et il fait déjà des vagues, ce qui, dans un contexte où sa créatrice n’avait aucune attente, est plutôt stimulant. «Déjà, que certaines personnes aiment le disque me suffit, ça fait mon bonheur. Je ne sais pas encore si ça va jouer à la radio, mais si je peux faire des shows, je vais être heureuse. Regarde Lhasa, elle ne passait pas à la radio, mais elle a fait des shows en tabarnouche!»

Toute la musique que j’aime
Comme Lhasa qui chante les airs traditionnels de son enfance baignée dans la culture latine, Mara accorde une grande place aux musiques qui ont bercé sa jeunesse. Musique traditionnelle à la manière d’Oscar Thiffaut et de La Bolduc et aussi musique country, un vilain mot de sept lettres qui a toujours eu le don de diviser les opinions. «Il y a des gens qui sont vraiment allergiques au country. Plusieurs personnes m’ont récemment dit que, malgré leur aversion, mes chansons plus country sont venues les chercher quand même. Je trouve ça formidable.» On aurait pu croire que la récupération du country par l’intelligentsia québécoise, de Carole Laure à Gildor Roy, aurait eu davantage d’impact. «Il y a un snobisme terrible par rapport au country, je pense que c’est sa simplicité qui fait peur. C’est pas compliqué, le country, c’est le cour qui t’arrache…»

La Bolduc est une autre pièce du puzzle Mara Tremblay, la source de sa poésie franche et directe. «Je tripe sur ses textes, sur la façon dont ils sont construits et sur ce qu’ils racontent. Elle n’avait pas peur de dire ce qu’elle pensait et c’est probablement le gros de l’influence qu’elle a eue sur moi. Ça me touche quand on me compare à elle. La Bolduc ne faisait pas de chansons pour être aimée ou haïe, elle le faisait pour dire ce qu’elle avait à dire, et elle a fait ça jusqu’à sa mort.»

Mara est intarissable sur le sujet et raconte en rafales des anecdotes sur Mary Travers qui feraient pâlir les spécialistes. Quand on lui fait remarquer que les Fred Fortin (complice de taille sur l’album) et autres Mononc’ Serge semblent eux aussi avoir subi cette influence, elle ajoute: «C’est vrai, on a tous été un peu influencés par elle, même ceux qui ne le savent pas!»

Désir, amour brisé, maternité, fragilité, tels sont les thèmes abordés par Mara Tremblay, sur des musiques pop couvrant un large spectre allant du country au rock, en passant par le folk, le world beat et le punk. Au-dessus de tout ça plane sa voix tour à tour fragile et assurée, vulnérable et joyeuse. «Je suis quelqu’un d’assez vulnérable et, tant qu’à faire des chansons, aussi bien se montrer comme on est. Ça doit faire une drôle de carrière quand t’es pas toi-même.» Même le titre de son album est semblable à ses humeurs: «Le chihuahua, c’est l’image parfaite de la vulnérabilité, il est frêle et nerveux tout en ayant du caractère. J’étais consciente que ce que j’écrivais était très personnel et je ne sais pas si j’aurais travaillé de la même façon en ayant à l’esprit que ça sortirait un jour.»

Mara se prépare à aller rencontrer le public avec armes et bagages. «On a déjà joué quelques fois et quelqu’un m’a dit que ça décoifferait Kojak. Je trouve que ça résume bien notre dynamique.»

Le Chihuahua
Mara Tremblay
(Audiogram/Select)