Le week-end dernier, après avoir vu l’excellent Skyfall, je tweetais que « Sam Mendes faisait un peu avec Bond, ce que Nolan avait fait avec Batman ». On m’a rapidement signifié un désaccord, pour un avis que je partage également : Skyfall n’est pas le reboot d’une franchise. Même si je crois qu’on peut considérer ce chapitre comme un nouveau départ, ce n’était pas tellement dans cet esprit que j’avançais la comparaison. Puisqu’il est parfois difficile de préciser sa pensée en 140 caractères, j’ai finalement eu envie de dresser ici même quelques parallèles entre ces œuvres, afin de démontrer de quelle manière j’en suis arrivé à cette conclusion.
– Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de voir le 23e film de la série des James Bond, je vous suggère de ne pas vous avancer plus loin dans la lecture de ce billet. Il dévoile des éléments de l’intrigue –
Ce qui m’a d’abord traversé l’esprit en regardant ce Skyfall, c’est à quel point le cinéma de Nolan semble déteindre sur ses pairs. Et ce n’est pas moi qui va s’en plaindre. Un peu de chair dans les productions hollywoodiennes est tout à fait bienvenue. Si Sam Mendes est un cinéaste aussi compétent qu’expérimenté qui n’a plus à faire ses preuves (il a notamment à son actif American Beauty, The Road to Perdition et Jarhead), il demeure difficile de ne pas entrevoir dans ce long-métrage l’influence du réalisateur d’Inception.
La renaissance du personnage illustrée dans un récit plus dense qu’à l’habitude y est certainement pour quelque chose. Tout comme dans la trilogie de Nolan, on assiste à la « mort » d’une légende. On y retrouve ensuite un héros brisé (ses blessures rendent la tâche plus ardue, ses habiletés sont également diminués par l’abus d’alcool) qui doit surmonter une certaine amertume. Confronté à son passé, il devra panser une fois pour toute la plaie encore bien ouverte concernant la mort de ses parents. De fait, bien que le contexte entourant le décès de son père et sa mère soit différent de celui de Batman, James Bond est lui aussi devenu orphelin à un jeune âge, et ce détail a de toute évidence laissé des marques. Ainsi, sa relation avec « M » devient, jusqu’à un certain point, comparable à la dynamique qui s’installe entre Bruce Wayne et Alfred dans The Dark Knight Rises.
Le scénario propose également une psychologie des personnages plus poussée, alors que les auteurs de Skyfall (Robert Wade, Neil et John Logan) se permettent de donner une dimension plus humaine à l’agent 007. On lui accorde même le droit de montrer, un bref instant, des émotions. L’aspect dramatique prend donc une dimension considérable, compte tenu du fait qu’en temps normal, la franchise misait principalement sur un divertissement plus léger.
J’ai trouvé que le traitement cinématographique contribuait aussi à établir un lien avec la trilogie du chevalier noir. À commencer par la trame sonore. Les compositions de Thomas Newman ne sont certes pas similaires à celles d’Hans Zimmer, mais la présence de musique demeure toutefois soutenue presque tout au long du film. Impossible également de ne pas lier la scène de Shanghaï à celle que l’on peut observer dans The Dark Knight.
Les deux séquences possèdent plusieurs points en commun (bagarre dans les hauteurs d’une imposante tour, jeux d’ombres et de lumières, plans vertigineux).
Enfin, le vilain incarné avec panache par Javier Bardem, a ce petit quelque chose des ennemis qu’on retrouve dans la mythologie de Batman. À la fois brillant et désaxé, il prend beaucoup de plaisir à tester les limites de son adversaire. Profondément heurté par des événements qui l’ont visiblement troublé, celui-ci, tout comme le Joker ou Two-Face, est défiguré.
Malgré ces comparaisons et bien que Skyfall semble briller sous le signe du renouveau, il m’apparait important de préciser que c’est aussi avec de nombreux clins d’oeil au passé, ainsi qu’un habile retour aux sources (notamment en ramenant le personnage de Q, tout comme celui de Miss Moneypenny), que la légende se redéfinit.
Je suis entièrement d’accord avec vous M.Duguay. Je suis sorti de Skyfall un peu ébahi et très content de ce que je venais de voir. Quand je vais au cinéma, j’aime me faire raconter une histoire et y croire meme si c’est invraisemblable dans la vie de touts les jours! Me divertir quoi, et si en plus le récit est habilement raconté avec de l’action (après tout c’est un James Bond!),de belles images, du beaux mondes et qui ne me prend pas pour un crétin, là je suis pas loin d’etre aux anges. Skyfall m’a fait cet effet là. En plus d’avoir l’impression de ne pas voir gaspiller mon argent, ce qui est plutot rare avec les blocks buters la plus part du temps!
L’article fait le lien avec l’influence de Nolan sur la réalisation de Skyfall. Mais les éléments de comparaison ne se situent pas dans la réalisation mais dans l’histoire même de James Bond. Il y a dans Skyfall une fidélité avec le personnage des romans d’Ian Fleming. La relation M et 007 est filiale à l’image des romans. Sauf que M est un homme. James Bond est orphelin et retrouve en M un père ou une mère spirituelle (en l’occurence Judi Dench). 007 est un agent dissipé qui s’adonne à l’alcool, aux cigarettes, aux femmes et qui a besoin d’être recadré. Il lui arrive souvent d’être négligé, pas rasé après avoir joué aux cartes toute la nuit. En ce qui concerne, le côté desaxé du « méchant ». Ceux des romans le sont tous. Ils ont tous une particularité physique. Lorsqu’ils ont une apparence normal comme Emilio Largo dans Opération Tonnerre, ils présentent une déviance d’ordre sexuel. Pour ceux qui ont lu l’ensemble des livres avec l’arrivée de Daniel Craig, on tend vers un personnage qui se rapproche de plus en plus du roman. Un personnage tourmenté par son passé, par les disparitions successives des êtres aimés. L’impression de repartir à 0 se fait réellement à partir de Casino Royale qui est en outre le premier livre. Il y a certes des similitudes dans la façon de réaliser mais il y a surtout une volonté de coller à la personnalité du héros dans les romans.
Merci Frédérick Warembourg d’apporter ces précisions. Il est juste que vous fassiez ce rapprochement avec l’oeuvre de Ian Fleming.
J’aimerais toutefois rectifier le tir quant à ce que j’avance dans mon billet. Ce que je voulais faire ressortir, avec cette comparaison entre l’oeuvre de Nolan et celle de Mendes n’est pas tant au niveau de la réalisation à proprement parlé, mais plutôt dans le traitement. Je ne prétends pas non plus affirmer que Mendes « imite » son collègue. J’avais seulement l’impression, que dans le cinéma hollywoodien, à une époque où tous les studios semblent vouloir relancer les franchises, ce Skyfall se rapproche davantage de ce qu’a fait Nolan avec sa trilogie. On y ajoute de la profondeur, on mise davantage sur la psychologie des personnages. Pour le reste, j’y suis allé de quelques observations qui m’avaient frappées.
Si les romans de Ian Fleming proposent un James Bond tourmenté, cet aspect ne se reflétait pas tellement dans la cinématographie du personnage. L’arrivé de Daniel Craig dans Casino Royale a certes changé la donne, mais il me semble que jamais on ne s’était permis d’aller aussi loin avant ce très bon Skyfall.