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Petit leçon d’histoire musicale avec Félix B. Desfossés

Parce que la sélection de citations du chercheur et chroniqueur interviewé pour ma chronique a été particulièrement frustrante (prière de la lire afin d’avoir une meilleure idée de ce qui suit… et parce que j’ai passé deux jours dessus, t’sais!), je vous présente ici l’essentiel de notre conversation sur le patrimoine musical québécois. 

Est-ce que le Québec est muni d’une bonne charpente pour son patrimoine musical?

À priori : non. On manque d’intervenants dans tout ça, en fait : des labels, des diffuseurs, etc. Bien qu’il y a déjà des gens qui ont des étiquettes de disques qui font dans la réédition – les Disques Mérite et Mucho Gusto sont pas mal actifs, mais quand la première lancent des trucs, c’est fait avec une naïveté déconcertante, car les chaînes radio et télé sont assez frileuses en générale face à cette musique-là. Bien sûr, on a MusiMax et Musicographie, mais la série ne va pas très, très loin. Même à Radio-Canada, des émissions du genre manquent…

 Mais, pourtant, les émissions d’archives à la Les Enfants de la Télé sont populaires…

Ça relève toujours de cette vision «baby-boomer». La plupart des gens mis en valeur sont des gens qui ont fait carrière dans les 50, 60 et 70, mais qui ont continué par la suite jusque dans les années 80, voire 90. On n’aborde donc pas trop les groupes des années 60 et 70, parce qu’ils ne sont plus assez «frais» dans la mémoire des gens. Il y avait des artistes qui étaient vraiment populaires à l’époque, mais dont on ne parle plus aujourd’hui, car leur carrière a peut-être duré trois ans au cours des années 70.

Pour prendre un exemple courant : va-t-on éradiquer Malajube de notre histoire musicale dans une quarantaine d’années? Non, car c’est un groupe qui aura marqué la décennie 2000. Nous avons un manque de perspective. On mise toujours sur les grosses pointures pour susciter la nostalgie, parce qu’elles sont plus «fraiches» dans la mémoire des gens. On dirait qu’on a «peur» d’aller un peu plus loin dans nos recherches.

En tant que DJ, recherchiste, homme de radio, gars qui a aidé à mettre sur pied le musée du rock n’ roll, comment ça t’affecte? Ça nuit à ton travail ou ça le rend plus grisant quand tu déniches un truc que tu cherchais depuis longtemps?

C’est sûr que retrouver des trésors oubliés de la musique québécoise rend mon travail plus intéressant. Ce que je me dis, c’est que musique québécoise est loin d’être une science finie. On n’a pas terminé de redécouvrir tout ce qui s’est fait chez nous. Des disques manquent toujours à nos collectionneurs. Oui, y’a des trucs de pointe pour une certaine niche de gens, mais je crois qu’il y a aussi des disques qui pourraient aussi plaire au grand public. Après tout, la meilleure musique n’est pas nécessairement la plus populaire et elle peut être oubliée par le temps.

Parmi tes «trouvailles», tu retiens qui? Ces temps-ci, je m’intéresse beaucoup à Nick Ayoub, un jazzman de descendance libanaise de Trois-Rivières. C’est probablement le plus grand saxophoniste de l’histoire du Québec. Vers ‘65, il a lancé The Montreal Scene, un album qui peut se vendre autour de 200 $ aujourd’hui entre collectionneurs. Ça a été réédité sur CD y’a deux ans et c’est complètement passé dans le beurre. Pourtant, c’est sûrement un des meilleurs albums de jazz québécois. Ça, c’est un exemple criant d’artiste recherché un peu partout sur la planète… sauf ici alors qu’il devrait être reconnu comme un album jazz fondamental! C’est le genre de truc qu’on devrait redécouvrir.

L’année passée, on a eu droit à de drôles de rééditions. Autant des trucs introuvables – la compil’ Réssurection qui est un produit pas mal indépendant – que des disques qui ne sont pas si rares – Paul Piché, Michel Rivard, etc. Est-ce que le marché peut nuire au patrimoine? C‘est-à-dire, si ça ne vend pas, on ne fera pas l’effort de le remastériser ou de le conserver?

C’est ça qui arrive! On n’a pas de problème à rééditer Paul Piché et des artistes de sa trempe, mais on hésite à l’idée de se lancer pour d’autres. Pour Réssurection de Mucho Gusto et autres projets du genre, on a toujours les mêmes cinq, six journalistes à la Sylvain Cormier qui sont toujours ouverts à ça, mais effectivement, on dirait que s’il y a peu ou pas d’argent à faire avec ça. Nous sommes dans un petit marché où on a produit énormément de musique per capita au cours des années 60-70 et on n’a pas le marché pour écouler tout ça ou encore la machine médiatique pour la «vendre» comme il le faut au public intéressé parce qu’il y a un intérêt pour cette musique dite rétro, mais j’ai aussi l’impression qu’on a tendance à prendre le monde pour des caves. On croit qu’ils ne s’intéresseront pas à des artistes s’ils n’en ont pas entendu parler alors que j’ai l’impression que l’appétit du public québécois pour son patrimoine musical est très, très grand – la popularité des émissions d’archive en témoigne – et je crois qu’on pourrait aller beaucoup plus loin que les grandes vedettes.

De plus, en ce qui concerne la musique des années 60, y’a une autre difficulté : 70 % des masters ont été achetés au fil du temps par Denis Pantis des Disques Mérite et ce dernier demande de gros montants pour, ce qui rend certaines rééditions difficiles. De plus, son étiquette vise surtout un public avide de nostalgie et non pas d’un nouveau regard historique qui ferait en sorte qu’on apprécierait ces artistes à leur juste valeur aujourd’hui.

Pour les années 70, y’a eu un phénomène assez étrange au Québec :  le baby-boom a fait en sorte qu’il y avait un grand public acheteur de musique, ce qui a fait en sorte que plusieurs majors sont débarqués au Québec. Donc plusieurs artistes – même les plus obscurs – se sont retrouvés sur RCA, Sony, etc. Aujourd’hui, ces majors possèdent toujours les droits, les masters et ils n’ont aucun intérêt à rééditer tout ça, car le bassin de population pour acheter n’y est plus. Prends pas exemple Melchior Alias, qui est un bijou de rock psychédélique hyper rare… qui a été lancé sur Capitol, la même étiquette que les Beatles. Ça n’a pas de sens! Mais le problème de base demeure le manque d’intérêt des médias.

On compte de plus en plus de blogues sur de vieilles raretés québécoises. On y retrouve aussi des extraits des fois où la «légalité» en ce qui concerne les droits d’auteur est floue. Est-ce un mal pour un bien ou le «piratage» est à éviter pour «légitimiser» la démarche?

C’est une excellente chose. Je suis moi-même auteur d’un blogue du genre – Vente de garage – et il m’a permis, dans les cas les plus positifs, de rééditer de la musique tout d’abord mise en mp3 sur mon site. Prends Donald Seward par exemple qui s’est retrouvé sur les Disques Pluton. Je l’ai tout d’abord mis en MP3… puis je les ai enlevés pour vendre sa musique! À l’aide du blogue, j’ai pu le retrouver, entrer en contact avec lui, l’aider à reprendre ses droits d’auteur perdus avec le temps.

Y’a des artistes qui ont tellement été dénigrés après leur carrière, comme Donald Seward qui était associé à César et les Romains qui croyait qu’on voulait rire de lui quand on lui a demandé de rééditer sa musique, qu’ils hésitent à l’idée d’assumer leur musique, de se garder à la lumière du jour, parce qu’ils ont été catégorisés dans le «kétaine». Je crois qu’il faut faire la différence entre ce qui «kétaine», ce qui est rose nanane ou vert pastel, et ce qui est «kitsch», ce qui peut avoir bien vieilli, ce qui peut revêtir un intérêt de culture populaire ou d’intérêt psychotronique. Faut pas dénigrer la culture populaire, ce que le peuple a écouté.

Finalement, qu’est-ce qui devrait être fait selon toi pour améliorer la situation?

Si on pouvait avoir davantage d’émissions de radio consacrée à ça. Si on pouvait ne pas avoir peur d’aborder notre patrimoine musical avec sérieux, ça serait déjà une bonne chose. Ça nous prend une nouvelle perspective sur notre patrimoine musical. L’histoire de la musique au Québec ayant été essentiellement écrite par des boomers, donc avec leur vision où on dénigre la musique des années 60 pour miser sur celle des années 70, où on a assisté à l’arrivée d’une véritable identité musicale. On dirait que nous sommes le seul endroit au monde où nous dénigrons tant les années 60.

Oui, en Angleterre, il y avait des groupes révolutionnaires, mais ceux du Québec n’étaient pas plus mauvais qu’ailleurs! Là-bas, il arrive que des magazines comme Mojo redonnent les lettres de noblesse à des groupes, alors qu’ici, ça serait très minime ou encore mettre l’accent que sur les grandes pointures. Au-delà des Ferland et Charlebois, on avait aussi des groupes rock progressifs qui faisaient des trucs révolutionnaires jamais vus ailleurs dans le monde et on en entend à peine parler. Il faudrait s’ouvrir l’esprit davantage là-dessus et, lorsqu’il est question d’émissions comme Musicographie par exemple, ne pas se contenter que ressasser moins de choses déjà connues. Tout n’a pas déjà été dit sur notre patrimoine musical. Il faut y insérer de nouveaux points de vue.

(photo: Étienne Parent-Rocheleau)