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Chanter des litanies avec Philippe B, Avec Pas D’Casque et le Quatuor Molinari…

Chers lecteurs du Voir, 

Comme moi, vous vous serez sûrement dit «Mautadine! L’entrevue avec Philippe B, Stéphane Lafleur d’Avec Pas D’Casque et Frédéric Lambert du Quatuor Molinari était rudement courte!» à la lecture de l’article en Une du Voir de cette semaine. Ce à quoi je réponds : «Ben… vous savez… on est limité dans l’espace avec le papier…»

… mais pas sur le Web!

Voici donc l’essentiel de notre conversation. On commence tout doucement avec des citations qu’on retrouve aussi dans l’article – agrémenté de confidences supplémentaires -, puis on y va avec un retour sur la création des arrangements classiques des pièces d’Avec Pas D’Casque et j’en passe. C’est fichtrement long, mais sûrement plus agréable qu’une véritable messe. Bonne lecture et amen!

Est-ce que ce spectacle pourrait aussi représenter une «petite victoire» pour les indépendants? Un pied de nez à certains pontifes de la droite à la Nathalie Elgrably-Lévy qui lient culture et rentabilité?

Stéphane : Il faut arrêter avec ça. On nous l’a rentré dans la gorge depuis beaucoup trop longtemps. Ce n’est pas parce que c’est gros et que ça vient de l’extérieur que c’est nécessairement meilleur. Il faut être plus fier de notre propre culture.

Frédéric : T’as raison. On l’a vécu avec ce spectacle. C’était sold-out deux mois à l’avance et, depuis, plusieurs personnes me disent. «Ah? Il n’y a plus de billets? Je prévoyais en acheter à la porte!» Je crois qu’il faut arrêter de penser ainsi. De penser que comme c’est un concert local, y’aura toujours de la place.

Stéphane : Quand Madonna annonce un concert ici, on se garroche à la première heure, on engorge les lignes et on s’y met à quatre laptops en même temps pour commander des billets. Quand c’est un spectacle d’un artiste local? «Bah. On va attendre!» D’un côté, je suis triste pour ceux qui voulaient y venir et qui n’ont pas mis la main sur des billets, mais je suis aussi très content pour ceux qui y seront, car ils auront pris le temps de s’en procurer dès la première heure.

Frédéric (qui porte un t-shirt «J’aime Nathalie Elgrably-Lévy (not)» : Ce spectacle représente ce qui est à l’opposé de ce qu’elle a écrit et à quel point notre projet peut fonctionner. Se limiter à la rentabilité n’a aucun sens. Si on n’écoutait que des gens comme elle, il n’y aurait pas de projets comme le nôtre.

Philippe : Mon affaire ne se serait pas rendue à un niveau où ça devient «rentable» sans les étapes avant qui ne l’étaient pas!

Frédéric : De toute façon, ce n’est pas un projet qui a été monté en vue de faire de l’argent. C’est loin d’être un trip de cash! Si on avait été «by the book» avec ce show là, il n’aurait jamais été monté. Ça a marché parce que les musiciens se connaissent, parce que les arrangeurs se sont prêtés au jeu de collaborer à un beau spectacle. On demeure dans la loi de la Guilde, mais c’est minimum! Sinon, on ne monterait jamais de shows de même et ça serait ennuyant!

Et c’est quoi la petite histoire derrière cet événement, en fait?

Stéphane : Ça a commencé avec vous deux, non?

Frédéric : À la base, il y avait notre spectacle des Variations Fantômes avec Philippe et le Quatuor Molinari.

Philippe : Et Fred étant un peu plus optimiste que moi dans la vie, il était convaincu qu’on pourrait remplir une salle comme le Conservatoire et que ça serait viable d’y jouer avec 12-13 musiciens!

Frédéric : Et on l’a fait deux, trois fois au Conservatoire, puis aux Francos au Club Soda, puis on s’est dit que ça serait cool de le faire dans un endroit comme une église. J’y ai vu un concert de Timber Timbre et c’était hallucinant. En fait, j’ai vu plusieurs spectacles d’artistes anglophones dans des églises, mais pas beaucoup d’artistes francophones et avec le caractère de la musique classique, des extraits de Tchaïkovski et compagnie qu’on retrouve sur le disque de Philippe, on s’est dit que ça serait l’fun d’utiliser un endroit sacré et d’y adhérer. Ce qui veut dire : un concert sans alcool, où les gens seront assis un peu inconfortablement et où ils devront écouter. Puis on s’est dit qu’Avec Pas D’Casque feraient des collaborateurs idéals!

Stéphane : Je connaissais déjà Fred et j’avais vu un des spectacles au Conservatoire. En fait, Fred m’avait déjà approché auparavant. Il m’avait dit qu’à chaque année, le Quatuor Molinari collabore avec un band et il m’avait glissé qu’éventuellement, il aimerait faire de quoi avec nous…

Frédéric : Hey! Au spectacle avec Philippe B, tu m’avais dit que t’avais tripé puis «C’est sûr que je t’appelle»!

(les compères rigolent. Stéphane reprend son sérieux)

Stéphane : Oui. Puis on a sorti Astronomie et on a finalement parlé de ça en avril, j’crois.

Vous vous attendiez à un tel engouement?

(Philippe et Stéphane hésitent)

Frédéric : Moi oui!

Philippe : Je lui dois 20$ d’ailleurs.

Comment ça?

Frédéric : J’ai gagé que ça serait sold-out avant Noel.

Stéphane : À un moment donné, il était question d’organiser le spectacle en décembre, mais, comme il y avait déjà plusieurs spectacles qui s’organisent pendant ce mois, on s’est dit qu’on pourrait repousser jusqu’au début de l’année suivante. Ça serait plus calme et ça permettrait aussi d’écouler des billets qui seraient offerts en cadeaux de Noel! Mais bon, on ne veut pas jouer aux fanfarons non plus. On ne veut pas faire chier le monde en refusant d’organiser un deuxième concert. Il y a plein d’autres considérations à prendre en compte aussi.

Frédéric : Comme le fait que c’est un concert dans une église, qui peut accueillir 1 500 personnes, que le spectacle implique une trentaine de personnes, etc.

Est-ce que le concert va être enregistré ou filmé?

Stéphane : Peut-être, mais ce n’est pas une priorité. On ne voulait pas qu’il y ait des cameramen partout et que ça brise l’expérience.

Frédéric : Puis comme se retrouve sur le Web maintenant, pourquoi ne pas y aller avec un événement où il fallait être là. À force de penser à filmer tout le temps, on a l’impression d’oublier le moment. Là, faudra y être!

À propos des arrangements classiques pour la prestation d’Avec Pas D’Casque…

Frédéric (montrant les feuilles de musique d’Avec Pas D’Casque qu’il vient tout juste de recevoir) : C’est que du nouveau!

Philippe : Ça tient de l’invention pure, parce qu’il n’y avait pas, par exemple, d’arrangements de cordes prévus dans les tounes alors il fallait en inventer.

Frédéric : Avec le recul, l’esthétique des tounes jouées avec toi fait partie de la forme. J’veux dire, la toune est là avec les extraits de classiques et on a besoin du tout pour que ça se tienne ensemble alors qu’Avec Pas D’Casque, c’est plus du coloriage. Le contour est déjà fait et on ajoute de la couleur ici et là alors que, dans ton spectacle, ça fait partie de ton matériel.

Philippe : C’est ça. Ce n’est pas la même recette du tout.

Est-ce que le fait que les nouveaux arrangements d’Avec Pas D’Casque seront joués dans une église ont influencés la composition de ceux-ci? 

Frédéric : Fallait considérer qu’on allait utiliser des voix d’opéra et aussi faire en sorte que ça ne soit pas trop chargé rythmiquement (versus écho de l’endroit, achalander les oreilles), mais à la base, on dirait que c’est des albums qui sont faits pour être interprétés dans une église.

Qu’est-ce qui interpelle tant les mélomanes dans ces oeuvres, d’après vous?

Stéphane : D’après moi, c’est les résidus de tripes laissés sur la table. Moi, en tout cas, j’aime sentir qu’une chanson est «vraie», qu’on ne fait pas «semblant» dessus et c’est ce que j’entends sur Variations Fantômes. En ce qui nous concerne, je ne sais pas trop. Y’a peut-être l’affaire d’honnêteté dont je te parlais, mais aussi le timing. Le disque est sorti à l’époque du Printemps Érable et y a été associé même si les textes dataient d’avant. C’est les années aussi…

Frédéric : C’est ce que j’allais dire. Vos albums précédents ont aussi attiré l’attention.

Et, finalement, quelle est votre réaction face à l’engouement entourant vos projets musicaux?

Stéphane : Ben nous, on se sort d’une année grand V. D’album en album, on constate que le public s’élargit. On le voit dans les ventes d’albums, mais aussi par la distance qu’on parcourt en tournée, mais on a monté toute une marche en 2012! Heureusement, ça demeure gérable, agréable et à hauteur d’homme. La réaction des gens donne surtout confiance en ce qu’on fait. Tu sais, Variations Fantômes et Astronomie, ce ne sont pas des disques «faciles» à la base, ce n’est pas très «pop».

Philippe : Et ce ne sont pas des blueprints pour des disques commerciaux à la «Si tu fais ça comme ça, c’est clair que ça va marcher!»

Frédéric : Ce n’est pas vraiment des albums que tu mets dans des partys, disons…

Stéphane : Puis quand on sort des albums comme ça et que la réaction est bonne. On se dit «OK! On s’est donné le droit de faire comme ça et ça marche. On peut pousser un peu plus loin!» Et ça va de même avec Philippe, qui a livré un album hyper personnel. De voir que des projets comme ça peuvent fonctionner, ça me donne confiance. C’est niaiseux, mais j’ai hâte d’entendre la suite de mon band! J’ai hâte de savoir où on s’en va avec ça.

Philippe : J’ai eu la même réaction qu’eux, mais de façon décalée, bien sûr. Faut aussi laisser du temps. À mon lancement à Québec, y’avait qu’une quinzaine de personnes… et c’était un événement gratuit! Huit mois plus tard, l’album a fait son chemin, je retourne à Québec et c’était salle comble.  On a même refusé une trentaine de personnes à la porte du Cercle!

Frédéric : Et on a fait le Petit Champlain avec le Quatuor Molinari et, encore là, on a refusé du monde à la porte.

Philippe:De façon nominale, au niveau des ventes, j’ai vu aussi que ça prenait de l’ampleur, mais ça a aussi été une question de temps. Il fallait laisser le temps à l’album.

Stéphane : Et ça prend aussi du temps à le voir quand t’es en d’dans du projet. On m’accuse souvent de fausse humilité, mais, des fois, je ne m’en rends pas toujours compte. Je me suis dit «OK! Je vois. On est vraiment rendus là» l’automne dernier, quand les billets pour notre concert à la Sala se sont écoulés en moins de deux semaines. Mais avant, ce n’était toujours pas clair pour moi.

Philippe : De mon côté, toute cette attention ne me pèse pas. La pression artistique, c’est moi qui me l’a mets déjà. Je m’attends déjà à ce que le prochain soit moins bien reçu, parce que les attentes seront différentes. J’ai lu des critiques de Variations Fantômes où moi-même je me disais «Ben là. Relaxe, man!» Moi, je me suis trouvé un challenge et je suis passé au travers. Là, j’en cherche un nouveau qui pourrait avoir moins complexe pour certains auditeurs, mais qui demeure un challenge pour moi.