Cela doit bien faire cinq ans que je me fais dire que je devrais aller assister au Festival de Musique Émergente en Abitibi-Témiscamingue (FME) lors de la fin de semaine de la Fête du Travail. À chaque année, le timing ou la possibilité même n’y étaient tout simplement pas. Lorsque ma conjointe m’a mentionné son envie d’y aller, pour cette treizième édition, j’étais d’abord ambivalent. La programmation complète n’était toujours pas dévoilée, ce qui refroidissait légèrement mes ardeurs. Quelques semaines plus tard, la presque totalité des groupes étaient annoncés, les demandes d’accréditation devaient être remplies et on me signifiait, au bureau, l’envie d’y tourner quelques entrevues. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre.
Dès les premiers instants à bord du bus nolisé pour les médias, l’ambiance était à la fête. Des liens se tissaient, les habitués parlaient de leurs expériences aux nouveaux-venus et l’une des organisatrices nous affirmait que l’on reviendrait certainement après cette première fois. La route reliant Montréal à Rouyn-Noranda étant très longue, les néophytes étaient solidement renseignés bien avant l’arrivée en sol abitibien.
Une route longue mais magnifique. Photo : Antoine Bordeleau
Après une dizaine d’heures de route, c’est puissamment ankylosé que je m’extirpai enfin de mon banc pour fouler la chaussée de Rouyn pour la première fois de ma vie. Devant moi, l’immense installation en lettres rouge vif du FME bloquant toute la largeur de la 7e rue n’a pas manqué de m’impressionner. On ne rigole pas avec ça, le FME. Quelques instants plus tard, j’arrivais à l’accueil pour récupérer mon accréditation ainsi que souffler un peu en compagnie de représentants de plusieurs autres médias. Vin rouge et blanc, bière, fromages, pain et pâté de foie nous y attendaient, ce qui était fortement apprécié après les snacks qu’on avait attrapés sur la route. Chapeau très bas à l’organisation du festival pour le traitement aux petits oignons qu’ils offrent, année après année, aux médias sur place.
L’impressionnante installation. Photo : Antoine Bordeleau
Après m’être repu dans ces victuailles et un petit arrêt au chic Motel Mistral, le boulot commençait. Retour donc au centre-ville pour commencer la couverture de cet événement d’une qualité rare. Mon premier concert était celui de Syzzors, qui ont livré une performance tout à fait à la hauteur de leur réputation. Déjà, je voyais des dizaines d’amis et de professionnels du milieu arriver sur les lieux, les accolades étaient franches et l’envie de festoyer dur était signifiée clairement par tout un chacun. Peu après, les charmants Doldrums prenaient place sur la scène pour un autre excellent concert qui, je tiens à le souligner au passage, profita d’une sonorisation exemplaire ainsi que d’un éclairage très réactif aux morceau joués. Les techniciens abitibiens savent définitivement ce qu’ils font. Le temps d’une poutine au Pogo du légendraire Chez Morasse et je me retrouvai ensuite à l’Agora des Arts pour assister à une performance pour le moins étonnante de la formation californienne Deerhoof. Des rythmes décalés, une présence scénique éclatée et une chanteuse énergique ont capturé l’attention de toute l’audience d’un bout à l’autre du concert.
Le batteur de Deerhoof qui m’a « spotté » assez vite. Photo : Antoine Bordeleau
Après ce concert de feu, j’ai décidé de donner un petit repos à mes oreilles pour aller festoyer dans les rues avec mes amis de Ponctuation, avec qui j’ai dégusté quelques gin-tonics pour refaire nos forces avant de nous diriger vers le concert des Marinellis. Tous ceux ayant déjà assisté à une performance de ces joyeux drilles le savent, ça finit très souvent en douche de bière. Leur show du FME n’y fit pas exception, ça se crachait de la bière dessus à tout rompre dans le sous-sol sombre où ils livrèrent leur rock old-school avec brio.
J’étais donc conquis en une première journée. Je savais dès lors que je serais de retour l’année prochaine et, si possible, à l’édition d’hiver. Direction Mistral donc, pour recharger les piles pour le lendemain, où j’avais quelques tournages avec ma collègue Valérie.
Difficile d’imaginer plus joli emplacement pour un festival. Photo : Antoine Bordeleau
Le vendredi était donc jour de boulot, suivi d’une des soirées du festival qui me parlait le plus. Un coup la job et le souper terminés, direction Petit-Théâtre pour aller me faire brasser la cage. Malgré mon esprit bien embrumé rendu à 20h, les souvenirs de cette soirée restent extrêmement vifs dans ma tête. C’est PONI qui ouvrait la soirée, et les gars étaient en pleine forme. Ils ont réchauffé la salle à merveille, préparant le terrain pour la suite avec une fougue solide. Quelques instants après, c’était l’heure des enfants terribles de la brasse-ville de Québec, Ponctuation. Ça me gosse d’avoir des amis aussi talentueux, car j’ai l’impression de sombrer dans le favoritisme, mais ce serait injuste de ne pas leur rendre ce qui leur est dû. Les deux frères Chiasson et leur nouvelle acolyte Laurence ont donné un concert exemplaire. Tout y était, autant musicalement qu’en termes de présence scénique.
C’est Duchess Says qui clôturait cette solide soirée de rock n’ roll, et ils n’ont pas laissé le public sur leur faim. La chanteuse Annie-Claude Deschênes a réaffirmé sa place comme l’une des frontwomen les plus intenses de la scène québécoise actuelle en partageant un brin de folie avec l’audience. À genoux, à quatre pattes et même en bodysurfing de face, sa voix n’a faibli à aucun moment du concert et les musiciens étaient tous très solides derrière leurs instruments respectifs.
Duchess Says en a mis plein la vue. Photo : Antoine Bordeleau
Le reste de cette soirée passera ici sous silence, mes capacités de souvenance post vodka-Clamatos étant malheureusement limitées. Je me réveillai donc samedi, frais comme une rose, prêt à affronter une journée encore plus chargée en entrevues et capsules vidéo, en plus des concerts inévitables. Nous avons donc passé bon nombre d’heures à la salle de presse à rencontrer de nombreux artistes locaux et internationaux, entourés de nos amis journalistes avec la mine tout aussi resplendissante que les nôtres. Un coup les derniers tournages terminés, nous filâmes vers la 7e rue, où Hologramme s’installait pour une performance d’après-midi qui fut très appréciée des festivaliers de tous âges. Je les aurais personnellement placés plus tard dans la programmation, mais bon. Qui suis-je pour me plaindre?
J’ai ensuite opté pour un petit tour chez le disquaire du coin, histoire de zieuter ce qu’il y avait comme offre en termes de vinyles d’artistes du coin. Surprise : Barricade y faisait simultanément une performance surprise, qui s’est avérée être un beau gros moment de rock bien sale. Dès qu’ils ont eu fini, je remarquai un barbier tout ce qu’il y avait de plus traditionnel installé dans le coin du magasin. L’approchant pour me faire rafraîchir le toupet, le pittoresque Franz Le Barbier m’annonça que j’étais son 100e client du FME, et que j’aurais donc un traitement tout spécial. En plus d’une coupe de cheveux et d’un trim de moustache qui étaient bien nécessaires, j’eut donc droit à plusieurs onces de gin Ungava ainsi qu’à de nombreuses accolades franches et quelques produits d’hygiène de qualité supérieure. Un moment inoubliable.
Mon bureau abitibien (pas de Wi-Fi dans la chambre). Photo : Antoine Bordeleau
Après être allé me nourrir de bouffe beaucoup trop calorique encore une fois, je me rendis au concert de Prieur & Landry, duo très lourd découvert quelques semaines auparavant. Clairement influencés par Black Sabbath et autres groupes du genre, c’était un show excellent qui m’attendait. J’ai toutefois dû manquer les toutes dernières chansons pour courir jusqu’à l’Agora, où se présentait alors la française Jeanne Added. Son album m’ayant beaucoup plu, j’avais bien hâte de la voir livrer ses compositions en live. Légère déception; elle habitait bien la scène mais les morceaux que j’ai entendu étaient presque trop fidèles au versions studio. Ça manquait de surprise.
Ne voulant pas rater Galaxie par manque d’espace, j’ai donc quitté un peu avant la fin le concert de Jeanne Added pour retourner sur mes pas. J’ai d’ailleurs eu la chance au passage de capter les deux derniers morceaux de la formation de Québec Sandveiss, qui m’ont montré que leur réputation n’était pas exagérée. Du bon vieux heavy-metal bien exécuté avec des solos stridents et tout ce qu’il faut de pesanteur. Quelques minutes après leur départ de scène, il ne restait plus que l’installation massive de Galaxie sur les planches. Après un court délai vraisemblablement causé par un problème technique, Olivier Langevin et sa bande se sont installés derrière leurs instruments pour livrer une des performances les plus intenses que j’ai eu la chance de voir durant le FME. Une véritable bande de virtuoses, ils ont joué un set très long et puissant. Ça gueulait fort dans la salle, et j’ai même eu droit à de la sueur de rockeur dans la face au moment ou Langevin s’est installé juste devant nous pour faire hurler sa six-cordes.
Langevin sait prendre la foule par les tripes. Photo : Antoine Bordeleau
J’ai ensuite fait la fête un bout de temps avec le percussionniste du groupe, Jonathan Bigras, avant de tomber sur mon ami Marc-Etienne Mongrain (LePetitRusse) et sa copine, que j’ai également suivis quelques minutes avec mon épouse avant de retourner manger de la poutine (oui, je sais, j’ai une alimentation malsaine en période de festival). Nous sommes ensuite repartis vers le Mistral, histoire de fermer l’œil quelques heures.
Le dimanche était beaucoup plus lousse en termes d’horaire. Les principaux objectifs étaient de me faire tatouer, de faire un tour de pédalo et d’assister à la clôture du festival avec Kid Koala. J’avais également une mission d’importance capitale. En effet, lors de mon entrevue du lundi d’avant avec ce dernier, il m’avait confié qu’il était bien désolé de n’avoir aucun vinyle parlant d’Abitibi ou de Rouyn, puisqu’il essayait de passer quelque chose de local à chacun de ses Dj sets. J’avais donc réussi à dénicher via une amie de Trois-Rivières un exemplaire de Alllô Toulmond, de Raôul Duguay, où figure l’emblématique La Bitt à Tibi. J’ai donc rejoint mon contact à CFME dans le début de l’après-midi pour récupérer le précieux bien, avant d’y faire une courte entrevue sur mon expérience au FME jusque là. Plus tard dans la journée, un coup tatoué et ayant passé quelques 30 minutes sur un lac, j’ai retrouvé donc Kid Koala à son test de son pour lui remettre l’antiquité.
Son set a commencé vers minuit environ, et ce serait injuste de dire que c’était une réussite. Je pense qu’il faudrait plutôt parler de haut-fait. La foule était en délire, il a livré un concert digne des plus grands festivals internationaux devant une salle qui était pendue à ses aiguilles de table-tournantes. Lorsqu’il a mis le morceau tant attendu, un sommet intense fut atteint. Tout le monde scandait les paroles de la chanson avec force, et je crois que le Koala lui-même ne s’attendait pas à une telle réaction. Un concert de fermeture qui n’avait rien à envier à quelque festival que ce soit. Un excellent coup (encore un) de l’organisation de ce FME.
Kid Koala à l’oeuvre. Photo : Antoine Bordeleau
C’est donc la tête remplie de souvenirs merveilleux (quoique flous par moments) que je suis revenu dans mon appartement verdunois, lundi, et je ne peux dire qu’une chose : Jenny Thibault avait tout à fait raison de nous dire, sur la route vers Rouyn-Noranda, que cette première édition forcerait les nouveaux à revenir année après année. J’ai aujourd’hui le FME tatoué sur le coeur et je commence déjà à compter les jours nous séparant du prochain.