Entouré d’une pléthore de tableaux tous dédiés à Barbara, bercé par la voix à la fois sombre et lumineuse de la chanteuse qui résonne dans toutes les pièces de sa maison, Benoît Simard, le regard timide mais le sourire engageant, sait créer les ambiances, en entrevue comme en peinture. Si on associe sans peine sa chaleur humaine et sa simplicité à sa terre natale, le Lac Saint-Jean, sa grande disponibilité, elle, il la tient assurément de sa pratique, longue de douze années, de la psychologie. Du cabinet à l’atelier, le pas ne fut guère difficile à franchir lorsqu’il choisit de se consacrer entièrement à la peinture, en 1980: «Dans les deux cas, il est question de la valorisation du monde intérieur, d’un rapport interpersonnel, d’une part avec le monde, d’autre part avec l’ouvre. Je conçois par ailleurs le tableau comme quelque chose de vivant, au même titre que l’être humain. Seulement, la peinture me permet une plus grande liberté, un plus grand espace, une plus grande porte pour entrer dans l’éternité.» Une quête d’éternité qui l’aura mené à la fois sur les sentiers sinueux et mystérieux de l’introspection, à la fois sur ceux plus valorisés de la renommée, dans une société où les grands titres laissent une marque plus profonde et plus impérissable que les qualités humaines.
Heureusement, des qualités humaines, ce n’est pas ce qui fait défaut à Benoît Simard. Les titres et les éloges non plus, d’ailleurs. Des ouvres distribuées dans une cinquantaine de pays et autant d’expositions solos, de Québec à Perth, en Australie, en passant par la France, l’Italie et les États-Unis. Une participation, en tant que représentant du Canada, au 22e Festival international de la peinture à Cagnes-sur-Mer et à la Biennale nationale des Beaux-Arts à Paris. Membre de l’Académie Royale des Arts du Canada, puis honoré par le YMCA-Laurier qui lui a dédié l’une de ses salles, le Salon Benoît-Simard. Et sans doute afin de boucler la boucle, récemment l’Ordre des psychologues du Québec optait pour l’une de ses ouvres comme prix d’excellence décerné à un psychologue émérite. Comme quoi on ne se débarrasse pas comme ça de son passé.
Un parcours étonnant, donc, d’autant plus que l’artiste avoue être envahi par la peur. En fait, nourri serait plus exact, puisque c’est précisément cette peur (celle d’avancer, celle de l’inconnu, celle du risque et même celle du succès) qui devient son propre moteur, histoire de lui montrer qu’elle n’aura pas le dernier mot. «Tous les créateurs ont ce rapport avec la peur. Vous savez, l’histoire de la page blanche, ce n’est pas un mythe, ça fait partie de l’action de créer. Rainer-Maria Rilke disait de laisser entrer en soi l’inconnu. Barbara aussi enseigne des choses à propos de la peur quand elle chante: "J’ai peur, mais j’avance quand même." C’est tout à fait ça: j’ai peur, mais il faut que j’avance», révèle-t-il. Benoît Simard est un être inquiet, oui. Mais il est avant tout passionné. De Rilke et aussi de Schubert et de Nelligan, à qui il a déjà rendu des hommages en peinture. Mais l’une de ses plus grandes passions, c’est sans conteste Barbara, dont il est un fervent admirateur depuis les années 60. «Je l’ai rencontrée à deux reprises, raconte-t-il. La première fois, j’ai été le naïf qui, comme chaque fan après un spectacle, cogne à la porte de sa loge pour demander poliment un autographe. Mais l’idée était d’arriver à jaser avec elle, ce à quoi je suis parvenu. Elle était absolument charmante.» Si bienque, souvent, un souvenir, une émotion qui surgit tout à coup lui fournit le sujet de ses ouvres, comme une façon de «ne pas fermer les yeux sur les nécessités intérieures», dit-il. Et il en va de même pour les chansons ou les textes des artistes à qui il voue une grande admiration. Sa première ouvre, peinte à 15 ans sur le store de sa chambre, sera d’ailleurs inspirée du «plat pays» de Jacques Brel, un plat pays évoquant à bien des égards celui de ce Jeannois. Mais ce n’est pas de façon fortuite que Benoît Simard est fada de musique. Il connaît la chanson, lui qui a aussi été auteur-compositeur-interprète, allant même jusqu’à participer à l’émission radiophonique Fleur d’oreille, diffusée sur les ondes de Radio-Canada. Une carrière qu’il n’a pas poursuivie, parce que l’aventure lui faisait trop peur (tiens donc!), mais qui connaît depuis des échos dans ses productions de toiles, comme celles qu’il a récemment réalisées en hommage à Barbara, présentées jusqu’au 7 mai au YMCA-Laurier. «Je sais ce que c’est, la musique, et ceux qui la font beaucoup mieux que moi m’inspirent, dont Barbara. Son décès m’a beaucoup ébranlé et, comme ça faisait longtemps que je traînais ça, il fallait que je m’en débarrasse. Je me suis dit: "Je vais lui dire que je l’aime", pour être quitte avec ça, à tout jamais. C’est pour ça que ça s’appelle Barbara à jamais», explique-t-il.
La bête lumineuse
Barbara à jamais, ce n’est pas qu’une exposition, ça se veut une sorte d’événement qui s’offrirait à tous les passionnés de la célèbre chanteuse. Un événement en couleurs, mais aussi en musique, puisque les 23 et 24 avril, Micheline Bouzigon interprétera les chansons de Barbara, accompagnée au piano par Monique Désy-Proulx (qui a, par le passé, offert un spectacle dédié à Barbara) et à la contrebasse par Étienne Lépine-Lafrance (qui s’apprête à suivre un stage auprès de François Rabbatt, ex-contrebassiste de Barbara). De son côté, l’exposition propose 21 tableaux, comme autant de chansons qui en ont été l’inspiration: L’Aigle noir, Nantes, Dis, quand reviendras-tu, La Solitude, etc. C’est en baignant totalement dans chacune d’elle, en lisant attentivement le texte, en la chantant du matin au soir, bref, en la possédant jusqu’à en être possédé, que Benoît Simard arrive à traduire en peinture le thème et l’ambiance qui l’habitent. Ainsi, une phrase lui dicte un élément dans la composition du tableau, un thème, les couleurs. Du coup, dans un mariage de formes à tendance figurative et de masses et de lignes plutôt abstraites, dans des coloris allant du très sombre au très lumineux, le peintre nous plonge dans la tristesse, la folie, l’amour et le désarroi que chantait Barbara. Prenez Nantes. Sur un fond noir, un amas de formes rondes et claires évoquent le jardin de roses, alors qu’une silhouette sombre, presque fantomatique, reprend l’idée de l’être disparu. Une ambiance à la fois légère et fraîche, à la fois lourde et tragique.
Il n’y a d’ailleurs pas que dans les formes ou les couleurs que le peintre s’offre toutes les libertés. Celui qui se vouait par le passé à l’huile ou à l’acrylique a vite compris qu’il ne doit s’imposer aucune limite pour arriver à bien faire passer ce qu’il entend exprimer. Un panneau de bois ou une toile montée, une peinture appliquée uniformément ou en gros empâtements, une ligne agitée tracée au plomb ou incisivement grattée sur une plage de couleur, rien ne doit faire obstacle à l’émotion qui passe. Dans L’Aigle noir, par exemple, il est même allé jusqu’à vider un oreiller de sa garniture afin de doter l’oiseau majestueux d’un véritable plumage.
Quand on demande à Benoît Simard s’il est satisfait de cette récente production, il avoue être exténué. Il faut dire qu’il a réalisé cette longue série consacrée à Barbara (comptant au surplus un bon nombre de grands formats) en l’espace de trois mois. «Je mets du temps à penser une ouvre, mais quand je suis prêt, il faut que ça se fasse rapidement. Si je pouvais la réaliser en deux secondes, je le ferais. Parce que pour moi la vérité de l’ouvre réside dans la courte distance entre l’émotion qui monte et l’action de peindre».y
Jusqu’au 7 mai
Au YMCA-Laurier
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