condition légale : Art-la-loi
Sous la supervision de MATHIEU BEAUSÉJOUR, à la galerie Articule, trois artistes ont réalisé des ouvres pour mieux transgresser des lois. Quand l’art est résolument subversif.
A l’heure où les associations d’artistes telles que le RAAV n’en finissent plus de débattre du statut légal de l’artiste, la galerie Articule réserve sa petite salle à une tout autre réalité. Idée de Mathieu Beauséjour, lui-même un artiste dont le travail se situe aux limites de la légalité, mais qui se contente ici du rôle de «gendarme/commissaire», condition légale regroupe les travaux de trois artistes qui se mettent sciemment hors la loi.
Avec Reading Canada Backward, le Torontois Steve Topping refait à l’envers, de l’ouest vers l’est, la mythique traversée du Canada en chemin de fer. Un anti-road movie, réalisé la caméra tendue à bout de bras hors du wagon. La part d’illégalité? Procès verbaux à l’appui, Topping a fait effraction sur la propriété du CN. Il est monté clandestinement dans des wagons de marchandises pour tourner son film. L’illégalité est plus évidente dans la triple bande vidéo du Parisien François Yordamian. Artiste en résidence au Studio Cormier, Yordamian a pillé des épisodes d’un soap opera américain, en ne gardant que les soupirs, dont il fait un montage intelligemment rythmé. Irritant et jouissif à la fois. (Ce n’est pas tous les jours que la vidéo réussit aussi bien à moquer la télévision. Sur le même sujet, une Anne Ramsden vous arrachait des soupirs, justement.)
Dernière pièce à conviction, une bande documentant les interventions sauvages du Montréalais César Saez, sur le jardin du CCA (100 panneaux condo à vendre), sur la place à l’entrée du MACM (une toile d’élastiques géants), ou encore sur la place centrale de Mexico (un carré de feu nocturne). On y voit notamment Saez, coat de cuir et tignasse rasta, parlementer comme il peut avec des flics mexicains, en faisant mine d’éteindre les dernières flammes au sol.
Comme l’explique Beauséjour – qui aurait très bien pu s’inclure lui-même dans le groupe, avec son subtilement subversif projet de contamination «virale» des billets de banque: «Les interdits se compliquent, les règlements se multiplient et les forces de l’ordre appliquent la tolérance zéro. L’artiste n’est pas insensible à tout cela. Voici trois artistes […] qui mettent à l’épreuve, subissent ou détournent le Pouvoir afin de nous dévoiler leurs propositions esthétiques.»
Si modestes et discrets que soient les cas sur lesquels elle s’appuie, la proposition de Beauséjour – qui s’est peut-être découvert un avenir de commissaire – soulève de pertinentes questions sur le rôle social de l’artiste, soumis à d’innombrables variations au cours du siècle. Révolutionnaire? Prophète? Professionnel? Délinquant? Elle nous rappelle en tout cas qu’il existe encore aujourd’hui des pratiques risquées, qui vont à contresens de cette «reconnaissance légale» dont nous assomment inlassablement tous les Gaétan Gosselin de la province.
Bien que présentée dans la petite salle, condition légale porte ombrage à la présence du Terre-Neuvien Glenn Gear, dans la grande salle. Son installation sur les thèmes croisés – et quelque peu galvaudés… – de l’appartenance au territoire, de l’autobiographie familiale et de l’érotisme homosexuel apparaît bien bénigne.
Galerie Articule
jusqu’au 14 juin
Mois de la calligraphie chinoise à Montréal
La Chine est à Montréal. Ou disons plutôt, cette part la plus immatérielle de la Chine, qui s’exprime à travers sa calligraphie, un art du reste international, pratiqué à travers le monde entier. Depuis le 1er mai, Montréal abrite le Mois de la calligraphie chinoise, qui réunit trois expositions principales. A la Maison de la culture Frontenac et au Musée d’arts traditionnels chinois Foung Cheung (525, rue Sherbrooke Est) se trouvent réunies plus de 400 ouvres en provenance des pays asiatiques, d’Europe, et d’Amérique du Nord (jusqu’au 14 juin). Certaines sont signées Kong Hong, d’autres Susie Lee, d’autres encore Louise Latraverse ou Louise Forestier…
C’est que Montréal bénéficie, depuis 1988, de la présence inspirée de Ngan Siu Mui. Artiste accomplie, Ngan Siu Mui se dévoue au rayonnement de son art, notamment à travers la Société pour la culture chinoise traditionnelle de Montréal et le Musée Foung Chung, dont elle est présidente, et où l’on peut s’initier à cet art complexe et exotique qui réunit la poésie, la peinture, la calligraphie et la gravure de sceaux. Toujours dans le cadre du Mois de la calligraphie, la Maison de la culture Plateau-Mont-Royal abrite d’ailleurs jusqu’au 31 mai les travaux d’une trentaine des élèves de madame Ngan Siu Mui.
En bref
Quelques expositions tirent à leur fin cette semaine. Soulignons tout d’abord celle de l’Américain Michael Singer, à 200 m3 (au 460 Sainte-Catherine Ouest). Montée par Pierre E. Leclerc et Michel Archambault, l’exposition, une première canadienne, regroupe des documents relatifs à l’ensemble de la carrière de cet artiste devenu architecte, et dont les projets manifestent une sensibilité raffinée au site. (Jusqu’au 30 mai). Autre exposition d’intérêt, le duo Julie Boissonneault et Benoît Bourdeau, à la galerie Clark. La première, avec une installation murale délicate, le second avec d’intrigants théâtres miniatures. (Jusqu’au 31 mai.)
Rayon peinture, la galerie Éric Devlin reçoit actuellement Sophie Lanctôt, avec une suite d’un classicisme serein sur le thème de la fin du paysage; et dans la petite salle, trois grandes pièces abstraites de Leopold Plotek, regroupées sous le titre Die Niemandsrose, un hommage au poète allemand Paul Celan. Il s’agit de la première collaboration de Plotek avec la galerie (jusqu’au 30 mai). Notons par ailleurs le regroupement, dans le Vieux-Montréal, de cinq peintres travaillant dans une logique «post-formaliste»: Mario Côté, Stéphane La Rue, Monique Régimbald-Zeiber, Francine Savard et Jean-Émile Verdier (théoricien avant tout). Cela s’intitule… Le Mensonge de la couleur (206, rue de l’Hôpital, jusqu’au 30 mai).
Dernière minute
On vous parlait la semaine passée de l’ouverture de nouvelles galeries à Montréal. Il faut en ajouter une autre à la liste, l’Espace Vidéographe. Situé au 460, rue Sainte-Catherine, Ouest, où se trouve déjà la maison mère, l’Espace Vidéographe, que dirige l’ubiquiste Emmanuel Galland, sera «voué à la présentation de la vidéo et à ses excroissances». Au programme de cette première exposition suavement intitulée Ouverture officielle d’une espace à venir, tout ce que la relève compte d’espoirs: David Altmejd, Yan Chubby, Patrick Coutu, Pascal Grandmaison, et d’autres, ainsi que quelques noms plus établis, dont Charles Guilbert (Jusqu’au 20 juin).