Peinture Peinture : Formule un
Pour une rare fois dans l’histoire des arts visuels au Québec, un grand nombre d’artistes et de galeristes se rassemblent et exposent des ouvres autour d’une même idée: la peinture abstraite, et montréalaise. Entrevue avec RENÉ BLOUIN, organisateur de Peinture Peinture.
L’Association des galeries d’art contemporain n’a pas toujours connu le plus grand des succès, ces dernières années, dans l’art de se promouvoir. La Foire d’art contemporain est morte dans la controverse, pour être remplacée par la Grande Virée. Malgré un succès public et critique appréciable, cette seconde formule n’a pas non plus satisfait les membres de l’AGAC: un effort logistique considérable pour des retombées commerciales d’une extrême minceur. Qu’à cela ne tienne, l’AGAC revient cette année avec une nouvelle formule, celle de la méga-exposition.
Du 6 au 11 juillet, Peinture Peinture tiendra l’affiche des galeries membres de l’AGAC.
L’événement se concentrera par ailleurs aux 4e et 5e étages de l’édifice Belgo, occupant pas moins de 18 espaces d’exposition, en plus des galeries qui s’y trouvent déjà: Yves Le Roux, Lilian Rodriguez, Trois Points et René Blouin. Comme son titre l’indique, il sera question de peinture stricto sensu, à l’exclusion des avancées de la peinture vers d’autres formes d’art. Et pas n’importe quelle peinture: la peinture abstraite, et montréalaise. Ce qui représente, au total, près de quatre-vingts artistes. Retenus, s’entend…
L’idée est de nul autre que René Blouin, sans doute le galeriste le moins peinture en ville. «Ce n’est pas une exposition de musée, c’est une espèce de constat de ce qui se fait sur le territoire de la peinture abstraite. Et ce n’est pas une exposition René Blouin. Il s’agit de bien représenter les galeries de l’AGAC. Pour moi, cette exposition devrait permettre de stimuler le marché en lui donnant accès à une production forte et originale», explique Blouin, qui a organisé l’événement en tandem avec Gaston Saint-Pierre, de la galerie Christiane Chassay, lui aussi pas spécialement réputé pour sa passion de la peinture. Les deux, d’ailleurs, ne se sont jamais affichés comme des membres particulièrement actifs de l’AGAC.
Surtout le très indépendant Blouin, de la part de qui cet engagement «corporatif» étonne. «Sur l’échiquier politique, les arts visuels n’ont pas une position très forte, si on la compare à celle du cinéma ou du théâtre. A cause de la nature solitaire de l’activité. Pour moi, c’était important de se manifester. C’est la première fois dans l’histoire du Québec qu’on va voir autant d’artistes et autant d’ouvres rassemblés autour d’une même idée. J’espère que ce projet va permettre à la communauté de prendre conscience de sa force.»
Mais pourquoi, de toutes les formes d’art disponibles, avoir choisi la peinture abstraite, si l’on oublie le 50e de Refus global? «Montréal est quand même le berceau de la peinture abstraite au Canada. Or, je m’interrogeais. Que sont devenus les pionniers? Plusieurs qui continuent de travailler – Molinari, Gaucher, bien d’autres. Et puis, il me semblait crucial de dresser un portrait des nouvelles figures en compagnie des pionniers. Cela me chicotait de constater qu’on n’avait pas réussi à donner un contexte critique, encore moins un marché, aux nouvelles générations. La plupart des grandes corporations ont leur magnifique Molinari ou leur magnifique Gaucher. Mais on dirait que ça s’est arrêté là. Pourquoi? Est-ce qu’il n’y a pas eu un effort assez soutenu des marchands, je ne sais pas.»
«Tous ces jeunes-là, Stéphane Gilot, Olivier Sorrentino, Stéphane LaRue, pour moi, ce sont de véritables découvertes. Ils sont outillés d’une façon merveilleuse, leurs pratiques contiennent un formidable souffle poétique. On voit vraiment l’impact des écoles d’art et l’influence des artistes importants qui ont enseigné au cours des vingt ou trente dernières années. On est rendu plus loin dans l’histoire de la pensée. Et comme dans tous les domaines, que ce soit les sciences humaines ou la philosophie, on avance à tout petits pas. Les acquis pèsent plus lourd, et les jalons sont plus délicats, plus informés.»
L’exposition Peinture Peinture devrait donc permettre de dresser un bilan de santé de cette forme d’art qui, loin de connaître la mort qu’on lui annonce tous les cinq ans, semble au contraire en pleine santé. A preuve, même la revue Parachute, qui s’est pourtant édifiée sur le courant des pratiques conceptuelles, lui consacre son prochain numéro, dont le lancement aura d’ailleurs lieu lors du vernissage de Peinture Peinture. A y perdre son latin… Pour ce qui est maintenant de réitérer sa nouvelle formule l’an prochain, l’AGAC ne le sait pas encore. «J’en ferais chaque année, des projets comme ça, explique Blouin. Mais il faudra évaluer l’impact de cette formule-là. Moi, j’en ai plein d’idées…» Aucun doute là-dessus.
Édifice Belgo, 4e et 5e étages, et dan les galeries de l’AGAC
Du 6 juin au 11 juillet
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Christian Bonnefoi
Parlant de peinture abstraite, c’est avec ce genre-là que la galerie Christiane Chassay – qui pourtant s’était fait une marque de commerce, à ses débuts, de son engagement envers la sculpture – a choisi d’inaugurer ses nouveaux locaux, au 356 de la rue Sherbrooke. Et qui plus est, avec un représentant du mouvement de l’abstraction analytique, à propos duquel, précisément, l’expression «peinture peinture» a vu le jour, sous la plume du «tel quelliste» Marcellin Pleynet, au tournant des années soixante-dix: Christian Bonnefoi, praticien et théoricien chevronné du signe désincarné, jadis lié au groupe Ja.na.pa (frère d’armes et rival à la fois, sur le territoire de l’abstraction française, de BMPT et de Support-Surfaces).
Tirées de sa production récente, la douzaine de pièces qu’il a choisi de présenter pour sa première exposition en sol canadien illustrent certains aspects fondamentaux de son travail. Dont la référence explicite ou voilée à certains jalons de l’histoire de la peinture – qu’il s’agit bien sûr, théorie française oblige, de déconstruire – ainsi qu’une très nette insistance sur la transparence de la peinture, le nexus théorique et pratique de sa démarche. Servi par une indéniable compétence technique, Bonnefoi joue avec les effets de transparence, donnant à lire la toile comme un voile et les coups de pinceaux comme des signes diaphanes et immatériels.
Les amateurs de théorie picturale – ils sont quelques-uns à Montréal – se réjouiront bien évidemment du spectacle de cette production hautement informée, qui n’en est pas moins très flatteuse pour l’oil. Toute savante qu’elle soit, en effet, la peinture de Bonnefoi présente ce je-ne-sais-quoi de bon chic français, un certain sens de la tradition, une certaine palette à la Matisse, une civilité toute bourgeoise dans la recherche de l’effet. L’éternel écueil de la théorie: le goût. Pire, le bon goût. Presque un peu trop bon, ici.
Galerie Christiane Chassay
Jusqu’au 11 juin
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