Shiro Kuramata : La philosophie dans l’espace
La rétrospective SHIRO KURAMATA, l’un des plus influents designers japonais de l’après-guerre, marque avec éclat la première année du déménagement du Musée des arts décoratifs au centre-ville. Du grand art.
L’an passé à pareille date, le Musée des arts décoratifs inaugurait avec fracas ses nouveaux locaux, au sein de l’aile sud du Musée des beaux-arts. Un coup médiatique réussi, grâce au design des salles et du mobilier de présentation signé Frank Gehry, et grâce à une exposition ambitieuse, Le Plaisir de l’objet. Depuis, le silence. Pas d’expositions marquantes, pas de coups d’éclat, peu de visiteurs. Bien qu’enfin au centre-ville, le MDAM semblait somnoler d’un sommeil aussi profond que celui du temps où il logeait au Château Dufresne.
L’inauguration, il y a deux semaines, de la rétrospective Shiro Kuramata (1934-1991) a mis un terme à cet état, et d’une brillante façon. Pour tout dire, il s’agit là d’une fabuleuse exposition de design, l’une des plus inspirantes jamais montées par le MDAM. Par l’ouvre de Kuramata elle-même, et par le dialogue si rare et si significatif qu’elle établit avec l’hôte de ces lieux, Frank Gehry, dialogue habilement mis en scène par deux autres designers, Michael Morris et Yoshiko Sata, de New York. Plus qu’une simple exposition monographique, en somme, cette rétrospective se donne à lire comme une conversation entre deux géants du design postmoderne, par ailleurs des amis dans la vraie vie.
Kuramata, d’abord. Né en 1934, mort en 1991 d’une crise cardiaque que rien n’annonçait, Kuramata est considéré comme l’un des plus influents designers japonais de l’après-guerre. Autant dans ses éphémères arrangements des boutiques Issey Miyake que dans ses meubles, il s’est efforcé de trouver, selon ses propres mots, «un espace inorganique comme celui du rêve éveillé, un espace de lumière, mais sans source lumineuse ni ombres». Il voulait que les choses donnent l’impression de flotter, «comme les chaises et les instruments de musique dans les ciels des tableaux de Magritte».
L’exposition, qui retrace l’ensemble de la carrière de Kuramata, illustre admirablement cette recherche de nature presque spirituelle qui se trouve au cour de son travail. Tout cela semble baigner dans une lumière surréelle, accentuée par la glaciale douceur des matériaux, le verre, l’acrylique, la résille d’acier. C’est une ouvre d’une extrême délicatesse, rare comme l’oxygène dans les plus hauts sommets, et ponctuée d’absolus moments de grâce, que celle de Kuramata. Comme cette horloge où pivotent un papillon, un poisson séché et une coccinelle, ou cette petite commode cubique, qui semble un Mondrian noir et blanc tri-dimensionnel, ou encore ces chaises de résine transparente dans lesquelles flottent des roses artificielles. Tout simplement sublime. Miss Blanche, que cela s’appelle, dans un double clin d’oil à Blanche Dubois, héroïne d`Un tramway nommé désir, et à Rose Sélavy, la fictive égérie de Marcel Duchamp, qu’admirait particulièrement Kuramata.
D’accord, à 35 000 $ la chaise, ce n’est pas ce qu’il y a de plus accessible comme design. Les fans du Bauhaus – dont je suis – ont d’ailleurs tout intérêt, ici, à mettre de côté leurs scrupules marxistes. Si Kuramata se sert des matériaux industriels et de la géométrie, c’est pour les transformer en objets de haut luxe. Mais quels objets! Quel lyrisme! Quels trésors d’inspiration! Comme l’explique le directeur du MDAM, Luc D’Iberville Moreau: «Kuramata appartient à cette famille d’artistes qui ouvrent des portes, plutôt que de les fermer derrière eux.» De toute façon, à ce niveau-là, ce ne sont plus des chaises ou des commodes, ce ne sont plus des tiroirs qui grincent, c’est de la Philosophie. C’est le quotidien transcendé, amené au seuil de l’Intelligible.
Organisée et mise en tournée par le Musée Hara d’art contemporain de Tokyo, l’exposition de Kuramata n’aurait pu connaître un meilleur dénouement qu’ici, à Montréal, au sein du décor dessiné par Frank Gehry. Voir se côtoyer ces deux designers si différents et si marqués ±- le Baroque et le Bouddhiste – est une véritable leçon. C’est là que le design apparaît pour ce qu’il est au fond des choses: l’incarnation d’une culture, d’un état intérieur, d’une conception de la vie. Du grand art.
Au Musée des arts décoratifs
jusqu’au 7 septembre
Retour sur Peinture Peinture
Il y a deux semaines, René Blouin nous livrait ses réflexions sur la méga-exposition de peinture qu’il s’affairait à monter, en compagnie de Gaston Saint-Pierre, pour le compte de l’AGAC. Eh bien, l’exposition est maintenant montée, et elle est impressionnante. Le niveau de qualité de l’ensemble, la finesse des regroupements, enfin la vue panoramique qu’elle donne sur l’état actuel de la peinture abstraite à Montréal, toutes générations et tendances confondues, tout cela fait de Peinture Peinture un événement d’exception. Et là, on ne parle que de l’exposition centrale, qui occupe les quatrième et cinquième étages de l’édifice Belgo.
Évidemment, l’espace manque pour permettre la critique détaillée que chacune des quelque soixante-quinze pièces de l’exposition mérite. Quelques observations, bien sommaires et bien rapides, qu’il faudrait nuancer. Les vieux routiers, Tousignant, Gaucher, Molinari, McEwen, tiennent encore la route. La jeune génération est bien de son temps, avec les propositions franches et décontractées de Mark Mullin, Carmen Ruschiensky, Stéphane Gilot. Entre les deux, il semble y avoir crise. Kiopini reprend souffle, mais pas De Heusch, tandis que Michel Daigneault «s’enkitsche», non sans succès.
Certes, on retrouve là encore quelques exemples de cette complaisance auto-référentielle qui est le propre des disciplines très académisées, comme l’est la peinture. Mais la preuve est faite, en tout cas, du dynamisme, à l’échelle locale, de ce langage qui n’en finit toujours pas de se renouveler, contre toute attente. Et, ce qui y est sans doute pour quelque chose, cette démonstration est le fait d’organisateurs – Blouin et Saint-Pierre ±- qui ne sont pas liés au départ à ce médium. Incontournable. Jusqu’au 11 juillet
Artifice et Artichaud
C’est reparti pour Artifice, deuxième mouture. Le premier volet d’Artifice 98 débute le 18 juin, dans les locaux suivants: le 209, Sainte-Catherine Est (l’ancien MusiquePlus), le 1550, Metcalfe (aux Cours Mont-Royal), ainsi que les 2081 et 2089, rue Sainte-Catherine Ouest (en face du Collège LaSalle). Au nombre des recrues, en provenance cette année du Québec et de l’Ontario, Nathalie Bujold, François Daigle, Eliza Griffiths, Eric Glavin. Le second volet, qui aura lieu au Centre Saidye-Bronfman, débutera le 9 juillet.
C’est parti également pour Artichaud (?!). C’est comme ça, en effet, que s’intitule cette année la traditionnelle exposition de la relève qu’organise chaque été la maison de la culture Plateau-Mont-Royal. Dix-sept jeunes artistes du quartier y partagent «leur perception fantaisiste et innovatrice de l’univers de la séduction et de l’intimité». Jusqu’au 28 août.
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