La pelouse en Amérique : Tour d’horizon
Le Centre Canadien d’Architecture (CCA) a entrepris, il y a trois ans, la présentation d’un ambitieux cycle d’expositions sur le Siècle de l’Amérique. Les quatre premières expositions ont porté, dans l’ordre, sur la fascination qu’a exercée le modèle américain sur l’architecture européenne; sur certains projets inédits de Frank Lloyd Wright; sur les parcs urbains de Frederick Law Olmsted; et sur les parcs thématiques de Walt Disney. Un programme qui a permis de couvrir des aspects aussi divers de l’architecture américaine du XXe siècle que sa futuromanie métropolitaine, sa fantasmatique du site, sa nostalgie du bucolique, sa complaisance dans l’utopie.
Pour compléter cet extraordinaire tour d’horizon, le CCA se penche actuellement, dans la cinquième et dernière exposition de la série, sur… la pelouse. L’exposition Surface du quotidien: La pelouse en Amérique examine cette surface verte uniforme, naturelle ou artificielle, qui occupe pas moins de 40 000 milles carrés en Amérique du Nord. «Le paysage est le principal élément unificateur des États-Unis et la pelouse est la forme la plus ambiguë de paysage», expliquait en conférence de presse Nicholas Olsberg, conservateur en chef du CCA, soulignant par ailleurs l’universalité, sa transcendance des classes sociales.
Servi par un design limpide et ingénieux, qui tranche avec la masse habituelle de documents dont nous inonde le CCA, le parcours est d’une transparence peu commune. D’abord, à tout seigneur tout honneur, les banlieues, symbole par excellence, aux côtés du gratte-ciel, de la ville américaine. La première salle esquisse le développement historique de la banlieue, avec plans illustrant la portion de superficie occupée par la pelouse. La seconde salle est réservée à certaines controverses légales entourant la pelouse banlieusarde, dont le texte se déroule au sol en projection continue. C’est que le gazon sert de champ de bataille à des conflits de principes qui engagent rien de moins que les fondements de la philosophie sociale américaine: le conformisme contre l’individualisme, le respect d’autrui face au droit à la dissidence.
Suivent, avec une égale clarté et une égale inventivité dans la présentation des objets, les sports (les stades, les terrains de golf, les souliers à crampons); l’industrie de la pelouse (la recherche, les brevets, échantillons de pelouse à l’appui); le pouvoir (le rôle de la pelouse dans l’architecture de domination commerciale et politique, dont celle de la Maison-Blanche), et enfin, l’imaginaire de la pelouse (symbole de réussite et lieu de tous les cauchemars à la Blue Velvet, dont on projette certains extraits).
Certains points restent en suspens, dans les salles tout au moins (le catalogue n’est pas encore sorti). La dimension historique, par exemple, n’est qu’effleurée. Et qu’en est-il du rapport entre pelouse et prairie, ou entre pelouse et forêt (une réalité dont la campagne québécoise fournit pourtant nombre d’illustrations fort éloquentes)? Aussi, le design semble à l’occasion vouloir prendre le pas sur le contenu.
Ces petits bémols mis à part, au total, c’est à une vision neuve et rafraîchissante d’un phénomène qu’on croit pourtant bien connaître, que nous initie le CCA, qui a su par ailleurs, encore une fois, mettre à contribution, dans ses plans, savants, designers et artistes. Pas moins de six commissaires, sous la direction de Georges Teyssot, de Princeton, ont réfléchi au concept de l’exposition. Le design a été confié à la firme d’architectes new-yorkaise Diller & Scofidio. Les photographies originales sont signées Gregory Crewdson, Robert Sansone, Alex McLean, David Mellor, auxquelles s’ajoutent des pièces tirées de l’extraordinairement riche collection du CCA. On a par ailleurs prévu toute une batterie de programmes éducatifs, de conférences et de projections de films, tels que Lawn Dogs, (John Duigan, 1997), ou encore Les Voisins (John G. Avildsen, 1981).
Mais le clou de tout cela, c’est la pelouse même du CCA. S’y trouvent découpés, en relief, les chiffres 325 293 680, soit le nombre très scientifiquement estimé de brins d’herbe que compte cette pelouse. Une métaphore de l’obsession du Nombre qui anime les musées aujourd’hui, nombre de dollars, de pièces, de visiteurs… L’installation est l’ouvre de l’artiste américain Mel Ziegler, que Phyllis Lambert, avec un sens de l’à-propos et une largesse d’esprit tout à son honneur, a invité à intervenir sur cette pelouse qu’elle affectionne tant, en Montréalaise pur gazon…
Surface du quotidien: La pelouse en Amérique
Centre Canadien d’Architecture
jusqu’au 8 novembre
Eleanor Bond
Décidément, l’été montréalais aura rarement été aussi riche en expositions d’intérêt: La pelouse en Amérique, Giacometti, Kuramata, Artifice, qui vient de débuter, Peinture peinture, Martha Fleming et Lyne Lapointe… A tout cela il faut ajouter l’exposition d’Eleanor Bond au Musée d’art contemporain, inaugurée en même temps que celle du tandem Fleming / Lapointe, dont elle a subi quelque peu l’ombre médiatique.
Dommage, car il s’agit d’une exposition remarquable, et remarquablement déstabilisante. Il fallait voir les journalistes se tâter dubitativement le pouls appréciatif, le jour de l’ouverture, pour mesurer le décalage esthétique de cette ouvre qui ne ressemble à rien de ce qu’on est habitué à voir à Montréal. Peinture peinture, c’est formidable. Mais ça, c’est autre chose.
Peintes en partie lors d’un séjour au Centre Witte de With de Rotterdam, les onze immenses toiles de Bond – une petite dame de Winnipeg toute frêle – semblent tout droit sorties du carnet d’un urbaniste futurologue qui aurait pris de l’acide. A moins que ce soit du carnet d’un archiviste des utopies futuristes. Certaines images rappellent les visions passées de l’avenir, des villes en forme de champignons, des décors à la Blade Runner, des parkings pyramidaux recouverts de forêts.
Dans tous les cas, les visiteurs en ont pour leur argent. Cette peinture est d’une saturation et d’un souffle hors du commun, et ne se compare à rien, si ce n’est à d’autres expressions de ce renouveau de la peinture de paysage au Canada opéré par des femmes – Landon Mackenzie, Wanda Koop, Carol Wainio – qui n’ont pas peur d’en mettre plein la vue.
Au Musée d’art contemporain
jusqu’au 13 septembre
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