Le Temps des Nabis : L'âge d'art
Arts visuels

Le Temps des Nabis : L’âge d’art

Coincés entre les Impressionnistes et les Fauves, les Nabis ont signé certaines des toiles les plus éclatantes de la fin du XIXe siècle en Europe. Le Musée des beaux-arts nous les fait découvrir avec une exposition complexe, riche, et incontournable.

Tout le monde connaît les Impressionnistes. Dans le panthéon des célébrités artistiques, toutes époques confondues, Renoir, Monet et Degas doivent figurer non loin aux côtés de Michel-Ange, de Beethoven et de… Céline Dion. Tout le monde connaît Van Gogh également, ainsi que Gauguin. En fait, pour le commun des mortels, l1histoire de l1art, c1est une courte période qui se situe quelque part à la fin du XIXe siècle. Avant cela, c1est plate. Après, on ne comprend plus rien.
Eh bien! le Musée des beaux-arts réserve d1agréables surprises à ces gens-là, ainsi qu1à tous les autres, avec une exposition consacrée à un mouvement moins connu – mais non moins important ni non moins typique de la fin du XIXe siècle -, les Nabis. Nabis comme dans «prophète», en hébreu. Coincés entre les Impressionnistes et les Fauves, s1étant développés quelque peu dans l1ombre du symbolisme qui recouvre toute l1Europe à la fin du siècle, et duquel ils participent du reste à certains égards, les Nabis ont néanmoins signé certaines des pages – ou des toiles – les plus vibrantes de l1époque.

Leurs noms? Paul Sérusier, tout d1abord, le collègue de Gauguin à Pont-Aven, autour de qui on retrouve d1abord Pierre Bonnard, Maurice Denis, Paul-Élie Ranson; auxquels se joignent ensuite Kerr-Xavier Roussel, Édouard Vuillard, Artistide Maillol, Georges Lacombe, ainsi que quelques étrangers, Jozef Rippl-Ronai, Jan Verkade et Félix Vallotton. Chacun porte un surnom le singularisant, ce qui dit bien combien les Nabis furent plus un regroupement d1individus aux intérêts propres qu1un groupe homogène avec un programme fixe. Bonnard, par exemple, est le «Nabi Japonais», à cause de l1influence du japonisme sur son ¦uvre, tandis que Vallotton est tout simplement le «Nabi Étranger».

Toute première réalisation du nouveau directeur du MBAM, Guy Cogeval, qui a su habilement profiter d1un rare trou dans la programmation, l1exposition est une version augmentée de celle qu1il avait organisée plus tôt cette année pour le compte du Palazzo Corsini à Florence. Sans être encyclopédique, Le Temps des Nabis est bien plus qu1un banal accrochage de quelques pièces fortes. Dans son introduction au catalogue, Cogeval, un spécialiste de la période, dit vouloir démontrer trois points. Un, que les Nabis furent en 1890, en leur moment initial, à la pointe de l1avant-garde, héritiers du symbolisme et précurseurs de la peinture abstraite. Deux, que loin de se confiner dans leur tour d1ivoire, «ils se sont engagés dans les combats de leur temps, politiques ou culturels». Enfin, trois, que leur «génie créateur» s1étend bien au-delà de la date convenue de 1900, et qu1ils «marquent de leur humanisme profond l1art français de la première moitié de notre siècle».

D1où une exposition complexe, riche et richement articulée, qui fait le tour de son sujet sous plusieurs angles, certains chronologiques, d1autres thématiques: les années 90, l1importance de la couleur, le symbolisme, l1intimité, le rôle des arts décoratifs, l1engagement dans l1époque, le néo-classicisme, l1après-guerre, enfin, l1illustration, où les Nabis se sont tout spécialement illustrés. Les ¦uvres sont admirablement bien choisies, certaines sont tout simplement magnifiques – l1autoportrait octogonal de Vuillard, peint vers 1890, vaut à lui seul le coût d1entrée. De même que les petits intérieurs cloisonnés du même Vuillard, du début des années 1890, les Ranson, les Denis, ou encore les Vallotton, un artiste connu des amateurs, et qu1on a l1occasion de mieux découvrir ici.

Et pour l1essentiel, la démonstration recherchée par Cogeval est réussie. Oui, à leurs débuts, les Nabis furent à la pointe de l1avant-garde, sous diverses formes: Denis préfigure l1abstraction décorative d1un Matisse; Vuillard est le prophète des Fauves; Vallotton anticipe le réalisme de combat; Ranson se ressource auprès du bouddhisme. Oui, ils se sont mêlés à leur siècle, Vuillard en témoignant de la sclérose d1une certaine bourgeoisie, mais peut-être surtout Vallotton, engagé dans le combat anarchiste.

Quant à la troisième partie de la thèse, la survivance de leur génie créateur après 1900, et le côté art français, là, ça se négocie plus délicatement. D1abord, et c1est un bon point, l1exposition met bien en relief la prégnance du néo-classicisme chez plusieurs des Nabis, surtout Maillol et Denis, dès le départ mais également au moment de la grande réaction néo-classique qui caractérise l1art français dans les années vingt, et qui puise en partie ses racines dans un nationalisme d1après-guerre teinté de la nostalgie du «génie français». Très intéressant…

Mais on ne peut tout de même pas oublier que c1est contre ce genre de peinture que se battait André Breton, et à laquelle Mondrian, par exemple, alors à Paris, a toujours refusé de céder. D1accord, le recul historique a ceci de bien, qu1il permet de mettre en sourdine les diktats idéologiques qui nous ont empêchés, à une époque ou l1autre, d1apprécier à leur juste valeur certaines productions. Mais, de toute façon, toutes considérations politiques nonobstant, il y a valeur et valeur, et celle-ci est variable et inégalement convaincante, si on la compare à ce qui se fait au même moment en France, pour ne rien dire de l1étranger. Et si on la compare à ce que faisaient les premiers Nabis.

Et puis ce recul historique en est-il vraiment un? En fait, cela nous touche beaucoup moins à Montréal, mais toute cette partie de l1exposition s1apparente quelque peu à cette histoire de l1art très franco-chauvine, que défend, dans la crise de l1art contemporain qui sévit actuellement en France, un Jean Clair. Un petit bémol, donc, à ce chapitre. Cela dit, toutes réserves mises à part, Le Temps des Nabis demeure une exposition riche, captivante, et pour tout dire, incontournable. Un très bon départ pour le nouveau directeur du MBAM.

Jusqu1au 22 novembre
Au Musée des beaux-arts de Montréal
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