La Biennale de Montréal 98 : Quitte ou double?
Arts visuels

La Biennale de Montréal 98 : Quitte ou double?

En implantant une Biennale de l’art contemporain à Montréal, CLAUDE GOSSELIN avait l’idée d’une grande manifestation pour rehausser l’image de la métropole dans le monde. Malheureusement, cette première édition, sans prestige, ne fera pas événement.

Voilà, les dés sont jetés. La Biennale de Montréal 98, que nous promettait Claude Gosselin en remplacement de ses Cent Jours d’art contemporain, inégaux depuis quelques années, a été enfin officiellement inaugurée, jeudi soir dernier, au Marché Bonsecours. L’événement vaut-il tout le brouhaha dont il a été précédé? Est-il vraiment cette «carte de visite importante pour la promotion de Montréal» que nous vantent les communiqués de presse? Est-il à la hauteur des attentes suscitées de part et d’autre?

Plus ou moins. Force est de constater que malgré tous les efforts de Claude Gosselin, et de sa vaillante équipe, la première édition de la Biennale de Montréal ne lève pas tout à fait. Avec ses quelque 75 artistes, et sa répartition en quatre lieux – le Centre international d’art contemporain, le Marché Bonsecours, le Musée Juste pour rire et le Centre de Design de l’UQAM – certes, il s’agit d’une grande manifestation, mais une manifestation tiède, inégale, sans rythme et sans relief.

Rappelons la structure de l’événement. La Biennale de Montréal 98, en substance, est composée en son centre d’une grande exposition (Les Capteurs de rêve, organisée par Claude Gosselin lui-même) à laquelle se greffent deux autres expositions de moindre envergure (C’est la vie, organisée pare Hilde Teerlinck, du Pavillon Mies Van Der Rohe à Barcelone, et Transarchitectures 02, organisée par le groupe européen Architecture et Prospective pour le compte du Centre de Design de l’UQAM) ainsi que quelques événements satellites (petite programmation de films à la Cinémathèque québécoise, parcours d’ouvres extérieures, concours de critique d’art).

Si chacune de ces expositions mérite d’être examinée en détail, c’est évidemment l’exposition Les Capteurs de rêve qui forme le cour de la Biennale et qui retient le gros de l’attention. Or, ce cour, disons, pourrait battre plus intensément. Il y a certes là des moments forts. Le Musée Juste pour rire constitue une très belle séquence, avec un habile enchaînement d’installations et d’ouvres vidéo, une séquence rehaussée, du reste, par la présence de l’exposition C’est la vie (un petit bijou d’exposition qui ne met que plus en évidence les faiblesses de l’exposition principale). Et il y a également un certain nombre de pièces fortes, à commencer par l’impressionnant Chen Zhen, dans les eaux du Vieux-Port.

Mais, dans l’ensemble, cela reste en deçà du seuil de conviction normal pour un événement qui se prétend d’envergure internationale. Problèmes de présentation, tout d’abord. Le Marché Bonsecours, par exemple, a des allures de festival des cloisons, chacun s’étant vu attribuer un petit box, suivant une conception du montage de l’exposition collective qui n’a plus cours depuis belle lurette. Le courant ne passe pas. L’espace du CIAC, rue Sherbrooke, est correctement occupé, mais par un contingent strictement local (à l’exception des Torontois Fastwürms).

Le choix des artistes pose également problème. Malgré un appel d’offres qui a amené près de cinq cents candidatures au CIAC – triées par un comité artistique de recommandation composé, outre Gosselin et Martin Baenninger, du conseil d’administration, de Sylvie Parent, Sylvie Gilbert et Jennifer Couëlle -, ce sont pour plusieurs les noms habituels des Cent Jours de jadis que l’on retrouve: Serge Lemoyne, John Heward, Stephen Schofield, Jocelyne Alloucherie, Gilles Mihalcean, Chen Zhen, Fastwürms… La «Galerie Claude Gosselin», en somme, additionnée de quelques nouveaux noms, et ornée d’une devanture de biennale. Les habitués de la scène montréalaise ne s’y tromperont pas, même s’ils trouveront un évident plaisir à évaluer les dernières productions de certains de ces artistes.

Quoiqu’à ce chapitre, là aussi, ce soit inégal. Mihalcean signe une pièce maîtresse. Charles Guilbert emprunte une voie qu’on ne l’avait jamais vu prendre. Kim Adams fait du Kim Adams. Claude Lévêque, qui nous avait éblouis l’an passé à Panique au Faubourg, laisse perplexe. Sylvie Laliberté semble en voie de s’autocaricaturer. Les autres jeunes locaux – Emmanuel Galland, Jérôme Fortin et Karilee Fuglem – se sont d’ailleurs contentés de recycler des pièces déjà montrées. Au rayon des découvertes étrangères – de locales, il n’y en a pas vraiment – c’est plutôt maigre; et ce, en regard des critères d’attentes auxquels Claude Gosselin lui-même nous a habitués, avec ses glorieuses éditions des Cent Jours de jadis. Nommons Tracey Emin, Anya Gallacio et Charles Ledray, le seul qui se démarque véritablement au Marché Bonsecours, avec un délirant théâtre de velours fait de présentoirs de bijoux.

Mais, en fait, le plus gros problème de cette exposition, c’est encore le motif de ce regroupement, ou son absence, paresseusement maquillée sous ce thème généralissime «de la poésie, de l’humour et du quotidien». Oublions les incongruités – que fait Chen Zen, un artiste de la migration, là-dedans? – et les omissions – Serge Murphy, le héraut de ces notions au Québec. Oublions même l’opportunisme d’un tel thème, déjà surutilisé, ces dernières années, au Québec et ailleurs. On tenait tout de même là un filon, un courant, un sens. Mais on l’a laissé filer. On aurait pu nous convaincre – s’il en était encore besoin – de l’urgence de l’idée du quotidien, par exemple, dans notre représentation du monde. Au contraire, on en étale l’insipidité intellectuelle. Quel dommage.

Si la tendance se maintient…
Le monde des biennales n’est régi par aucune prescription, aucun code, aucun petit manuel, sinon de revenir aux deux ans. Pour le reste, c’est carte blanche. Certaines biennales, celles de Venise et de Sao Paulo, sont comme des jeux olympiques de l’art, avec des pavillons nationaux, et un grand prix. D’autres visent à poser un regard sur la création contemporaine, le plus souvent sous la loupe d’un ou de plusieurs grands commissaires. Comme c’est le cas à Lyon, ou au Whitney Museum, à New York, où l’on se penche exclusivement sur l’art américain. Libre à Gosselin, donc, d’avoir adopté, pour sa Biennale, la formule qui lui plaisait le plus. Elle en vaut bien d’autres.

Mais s’il n’y a pas de loi, il y a tout de même une sorte de jurisprudence internationale de la biennale, dont le caractère distinctif est de faire l’événement, que ce soit en donnant à voir les dernières tendances, en produisant une lecture neuve et radicale de l’art – le plus souvent sous une signature de prestige – ou tout simplement en faisant choc. Pour sa première édition, la Biennale de Montréal 98 ne semble en voie de satisfaire à aucun de ces critères.

Et la presse, qui s’est montrée jusqu’à présent bien peu enthousiaste, ne s’y est pas trompée. Le critique du Globe and Mail est allé jusqu’à dire que si l’on était à l’école, Claude Gosselin n’obtiendrait pas la note de passage… Au vernissage, le public, bien que curieux, semblait également peu emballé. Les gens réservaient prudemment leur jugement, soucieux de ne pas démolir le louable effort de Gosselin, l’un des rares joueurs encore peut-être capables d’entraîner l’énergie du fragile milieu des arts visuels. Ces quinze dernières années, le CIAC formait la seule alternative institutionnelle valable à un Musée d’art contemporain qui ne se comporte pas comme le chef de file qu’il a le mandat et les moyens d’être. Mais l’est-il encore?

L’an 2000 arrive vite, aussi vite que la seconde édition de la Biennale de Montréal. A défaut de plus de temps, il faudra à Gosselin plus d’argent, s’il veut que sa biennale soit l’événement majeur qu’elle peut être – pour autant que l’on accepte l’idée, déjà très discutable, de la nécessité d’une biennale à Montréal… De l’argent, donc. Mais à la condition que Claude Gosselin se contente de faire ce qu’il fait le mieux, négocier et organiser. Et qu’il envisage de confier la direction artistique à un commissaire plus inspiré. Une Chantal Pontbriand, un Didier Ottinger, un Georges Didi-Huberman. Les noms ne manquent pas.

A défaut de quoi, la Biennale de Montréal, au lieu de favoriser l’image de la métropole, risque au contraire de la ternir davantage.

Jusqu’au 18 octobre
Au Centre International d’Art Contemporain et autres lieux
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