Arts visuels

Stéphane Gilot : Le théâtre de l’espace

L’automne débute là où le printemps avait cessé, en peinture. La rentrée dans les centres d’artistes et les galeries est l’occasion de se familiariser avec le travail de plusieurs jeunes peintres de talent. Tournée des galeries.

Stéphane Gilot est un architecte manqué. D’abord, c’est lui qui le dit. En entrevue récemment, ce jeune peintre d’origine belge avouait avoir souhaité, petit, devenir architecte. Mais tout ce qu’il fait l’atteste également. En fait, tout ce qu’on a pu voir de lui, Gilot n’étant installé à Montréal que depuis peu. A Dare-Dare, en 1997, il avait construit un pan de mur courbe, allant du plancher au plafond, comme s’il s’agissait du fragment d’une immense tour circulaire qui se poursuivait bien au-delà de la galerie. A Peinture Peinture, ce printemps, Gilot s’était fait également remarquer en modifiant une petite salle d’une structure de couleur extraodinairement lumineuse.

Cet automne, c’est le centre d’artistes Skol qui fait les frais de ses ravageuses ambitions manquées. La spatieuse galerie est devenue une forêt de colonnes. Au lieu des deux grandes colonnes octogonales qui entravent habituellement l’espace, il y en a maintenant vingt-cinq. Réparties irrégulièrement. Et peintes dans des teintes très parentes de gris et de mauves, style plasticisme soft, un peu comme les tableaux de Charles Gagnon ou de Louis Comtois des années soixante-dix.

Gilot sait doser ses effets. Il vous en met plein la vue. Et puis il vous apaise le regard, avec un jeu subtil de nuances chromatiques, et des colonnades qui sont presque régulières. Vous rigolez un peu du truc, puis vous vous surprenez à penser que ce serait bien si nos architectes se dégourdissaient. Et puis que ce serait sans doute plus simple si Stéphane Gilot lui-même se mettait à faire des projets de 1 %… Ou encore de la mise en scène. Il y a quelque chose d’éminemment théâtral dans cette installation, qui fait jouer l’espace et le vide comme s’il s’agissait d’un texte lyrique. (Par contraste avec cette installation – qui s’intitule Le Déambulatoire – la petite tranchée qu’il a construite dans le petite salle – Le Défilé – se révèle prévisible et de moins grand intérêt.)

Peu de jeunes artistes ont autant d’assurance dans l’occupation de l’espace (le seul ici qui me vient à l’esprit et qui soutient la comparaison avec Gilot, à ce chapitre, est Jean-Pierre Gauthier). Peu, également, savent aussi bien jouer sur autant de plans différents. Avec son idée apparemment toute simple, Gilot se trouve en fait à activer une série de manettes théoriques (les adeptes de la théorie de la peinture se délecteront de sa relecture du minimalisme ou de Buren). Tout comme il réussit au très difficile jeu du débordement poétique. Reste maintenant à lui souhaiter encore plus d’espace. Un nom à retenir, sans faute.

jusqu’au 26 septembre
A la galerie Skol

Robbin Deyo et Mark Mullin

Au Belgo, c’est un autre jeune peintre qui s’était fait remarquer à Peinture Peinture, Mark Mullin, qui expose ses pièces, cette fois-ci en tandem avec Robin Deyo (qui avait présenté une exposition fort sympathique à la galerie B-312 plus tôt cette année). Et ça marche très bien. Bien que d’inspirations différentes, leurs deux ouvres se complètent, et entretiennent une série de correspondances qui – si l’on y ajoute le nom d’autres peintres vus au cours de l’année passée, dont David Blatherwick, notamment – finissent par composer une sorte de tendance.

Tous deux de Concordia – le premier y étudie toujours – Mullin et Deyo pratiquent une peinture vive, tonique, très agréable, qui a pour points d’appui le jeu avec les grilles («the Grid… »), les motifs, et l’espace, paysagiste chez Mullin, domestique chez Deyo. Mais tandis que Mullin monte à la toile de façon relativement conventionnelle, Deyo, elle, découpe sa «peinture» dans l’encaustique à l’aide de petits moules de cuisine (en forme d’avions, d’oiseaux, de carrés).

Et c’est bien fait, et c’est intelligent. Sa grande «nappe» en carrés bleus et blancs est un subtil clin d’oil à la toute-puissante et masculine grille moderniste. Ailleurs, elle joue avec la couleur de l’encaustique de manière à donner l’impression d’une mer mouvante, sur laquelle se promènent des alignements décoratifs de petits voiliers. Pour l’artiste, ces encaustiques sont une métaphore du labeur domestique, personnel et solitaire. Et en même temps, quelle fraîcheur. On en redemande. Une très heureuse association.

Jusqu’au 26 septembre
Au Belgo, espace 526

Art aborigène australien
Dans un tout autre registre, mais toujours rayon peinture, il faut absolument aller voir la fascinante exposition d’art aborigène australien au Centre Saydie-Bronfman. Extraordinaire. Tirées de la collection de l’Allemand Donald Kahn, les quelque 36 peintures retenues par David Liss vous plongent au cour d’un monde si éloigné du nôtre, par l’esprit et la culture, et en même temps si proche, par le temps et par les formes. Ces contemporains d’un autre âge que sont les aborigènes sont également des peintres inspirés et terriblement talentueux, dont la peinture rythmique et colorée est d’une surprenante actualité.

Collectionnées vers la fin des années quatre-vingt, avant que la mode et la demande occidentale ne viennent corrompre la production locale, ces peintures sont, aux dires de Liss, ce qu’il y a de plus proche des peintures sur sable traditionnelles. C’est en effet à la demande de Kahn lui-même que les peintres ont accepté de travailler sur la toile plutôt que sur le sable (comme en témoignent les bords irréguliers et souvent sales de ces peintures). En revanche, de peur de trahir le code sacré de leurs compositions par principe éphémères – souvent dictées par un «rêveur», et souvent animées de considérations topologiques – ils ont recouvert l’espace d’une myriade de petits points.

D’une richesse visuelle hors du commun – vraiment, courez voir ça – ces peintures ont par ailleurs le don de nous plonger dans un abîme de réflexions sur le relativisme du sens de l’art, mais aussi sur le choc des cultures. Le problème reste toujours le même: comment accueillir cet Autre non occidental sans le folkloriser dans sa différence ou le réduire à notre dimension? Quoi qu’il en soit, il faut saluer l’ouverture d’esprit de David Liss – l’organisateur d’Artifice – et sa décision d’accueillir dans sa galerie ces artistes qui sont nos contemporains. Vaille que vaille.

Jusqu’au 11 octobre
Galerie du Centre Saydie-Bronfman

Et aussi…
Plusieurs autres expositions d’intérêt ont déjà pris l’affiche. Moments entrelacés, à la galerie La Centrale, regroupe huit femmes peintres. Éric Devlin présente Marcel Saint-Pierre. Lilian Rodriguez, Françoise Sullivan. En face de chez René Blouin, dans l’Espace 502, la conservatrice Anne-Marie Ninacs propose un judicieux regroupement de deux pièces monumentales de Bertrad R. Pitt et Martin Boisseau. Dans l’Espace 506, le marchand torontois Paul Petro présente ses artistes, dont l’inimitable Julie Voyce. Dans l’Espace 328 du Belgo a lieu Da Bomb, un regroupement de dix jeunes artistes. Et à tout cela s’ajoute, le 10 ou le 12, selon, toute une autre série de vernissages, à Oboro (Gisele Amantea), à Optica (Janet Werner), à Graff (Cozic). On y reviendra.

Big City
Ce sont des Montréalais qui ont remporté le dernier Prix de Rome en architecture, remis le 8 septembre dernier par le Conseil des arts du Canada. Randall Cohen, Anne Cormier et Howard Davies – alias l’Atelier Big City – se partageront les 34 000 $ de bourse et l’appartement dans le Trastevere pour y poursuivre leurs recherches. Le trio compte en profiter pour participer à des concours européens, tout en planchant sur celui de la Grande Bibliothèque qui aura lieu prochainement.