Gisele Amantea : Images de marque
Sous le couvert de l’humour et de l’éclectisme culturel, GISELE AMANTEA touche à des choses essentielles avec sa première exposition montréalaise, chez Oboro. Une parade postmoderne qui oscille entre l’enchantement et la dérision.
Que peut-il y avoir de commun entre Popeye, Valerie Solanas – celle qui a tiré sur Andy Warhol – Marguerite de Roberval, et Juliette des esprits? Aussi étrangers qu’ils puissent être l’un à l’autre, ces personnages se côtoient comme si de rien n’était, comme s’ils avaient toujours coexisté, dans l’exposition de Gisele Amantea, à la galerie Oboro. D’ailleurs la première exposition à Montréal de cette native de Calgary, bien qu’elle y vive, et bien que le Canada anglais la célèbre depuis des années déjà.
En entrant, vous êtes accueilli par une murale multicolore représentant Popeye vainqueur, à la boxe, d’une Olive souriante, un bouquet de roses à la main (Knockout). Sur l’autre mur, en jaune et blanc, parsemée de mains pointant le majeur, la reproduction de la lettre envoyée par Valerie Solanas à Warhol, lui présentant son manifeste S.C.U.M (Dear Andy). En face, le mot Dearest, dans un lettrage d’un style passé (Dearest). Sur un autre mur, la reproduction d’une image du 16e siècle représentant Marguerite de Roberval se défendant au fusil sur son île des Démons, sur le Saint-Laurent, où elle avait été abandonnée avec son amant, leur enfant, et sa servante (île des Démons). Tout cela reproduit dans des couleurs vives avec du tissu de velours. Et puis, dans la petite pièce, sans doute l’ouvre la plus magique du groupe, deux rangées de globes de verre, avec, dans chacun, un petit écran diffusant des extraits de films des années soixante, dont Juliette des esprits, et Betty Boop (In Your Dreams).
D’accord, on n’en est plus à une parade postmoderne près. L’obsession contemporaine avec l’éclectisme culturel et le kitsch, cela fait un bout de temps qu’on s’en tape. Et Amantea elle-même n’en est pas à ses premières frasques dans le genre, où elle sévit depuis une quinzaine d’années. Peut-être est-ce le fait que ce type de production soit rare de ce côté-ci de l’Outaouais, peut-être est-ce l’espace aéré de la galerie Oboro, peut-être est-ce tout simplement la maturité de cette artiste, mais ici, quel plaisir!
C’est qu’Amantea, sous le couvert de l’humour, touche à des choses essentielles. D’abord, que ces images populaires dont on veut bien rire nous attendrissent pourtant, au point même de nous tromper. Il est tout de même question de violence entre les sexes dans au moins trois de ces pièces. Et puis, qu’en art, tout est affaire de distance. Sur ce plan, Amantea est d’une finesse désarmante. Avec un art consommé, mystérieusement, elle parvient à se tenir quelque part entre le premier et le second degré. Entre la reprise candide de ces images populaires et leur contamination rhétorique. Entre l’enchantement et la dérision.
Le temps de la Grande Ironie postmoderne serait-il fini? Fini, les saccages et les appropriations terroristes entre les différents niveaux de culture, le «high» et le «low»? La culture n’a-t-elle vraiment plus de classes? On peut en douter, mais ici, chez Amantea, une trêve est marquée, le temps de quelques ouvres, et aucun camp n’y perd, ni celui du plaisir complaisant ni celui de l’intelligence critique. Un tel équilibre est rare. Il faut le savourer.
Jusqu’au 18 octobre
Galerie Oboro
Paméla Landry/Corrine Corry
A la galerie de l’UQAM, on appréciera la présence simultanée, sous le signe de la vie domestique, de Paméla Landry (dans la petite salle) et de Corrine Corry. La première s’ingénie, avec une installation en trois volets, à disséquer les objets du quotidien, dont elle exhibe avec humour la prévisible uniformité. Dans la grande salle, Corry, une artiste montréalaise pourtant affiliée à Concordia, déploie les trois actes des Lettres à mon père, vaste projet auquel elle a travaillé de 1993 à 1997. S’y mêlent, dans un dédale de mises en scène, de documents et de programmes informatiques, le théâtre, la fiction narrative, l’autobiographie. Au cour du projet complexe et touffu, d’un nombrilisme qui serait franchement agaçant si ce n’était de sa mise en abyme, le déboulonnage de la mémoire d’une relation fille-père.
La galerie de l’UQAM s’est considérablement dégourdie depuis que Louise Déry en a pris la direction l’an passé. Une exposition comme celle-ci, bien conçue, bien montée, et pas partisane (sur le plan des allégeances institutionnelles, s’entend) en est la preuve. La galerie, par ailleurs, vient de publier L’Art inquiet. Motifs d’engagement. Ce volume réunit tout à la fois le catalogue de l’exposition du même titre organisée par Déry l’an passé, les actes du colloque tenu sur le thème de l’engagement qui a réuni des noms tels que Nathalie Heinich, François Dion et Olivier Asselin, et des projets d’artistes, signés notamment Nicole Jolicour, Michèle Waquant, Cynthia Girard. Galerie de l’UQAM, jusqu’au 3 octobre.
Cozic
Yvon Cozic et Monique Brassard, alias Cozic, ont eu leurs heures de gloire dans les années soixante-dix, mais n’ont jamais cessé d’explorer le monde des objets, avec la même reconnaissable singularité. L’actualité les met en valeur, avec une brève rétrospective, à la galerie Plein Sud de Longueuil, et une exposition de leurs derniers travaux, à la galerie Graff. Dans ceux-ci, Cozic explore le phénomène de la succession du jour et de la nuit, avec différents jeux de formes, d’ombres et de lumières, où la série joue un rôle prépondérant. A la galerie Plein Sud, jusqu’au 27 septembre; et à la galerie Graff, jusqu’au 10 octobre.