Betty Goodwin : Signe des temps
Arts visuels

Betty Goodwin : Signe des temps

BETTY GOODWIN est une des rares artistes capables, avec leur ouvre, à la fois de nous séduire et de faire sens. Dans sa dernière exposition, la meilleure depuis des années, l’artiste semble plus réceptive que jamais à la fragilité des choses.

C’est bien connu, la modernité, artistique à tout le moins, a un âge, et cet âge est celui de la jeunesse. C’est une sorte d’idéal de jeunesse qui dicte sa nécessité aux régimes de rupture, de rénovation, de transgression, sur lesquels s’est échafaudé l’art moderne. Picasso a cherché à peindre comme un enfant, les générations se sont succédé sur un air trop connu de rébellion, encore aujourd’hui on n’en a plus que pour la relève, en paroles tout au moins (on sait que la réalité institutionnelle est tout autre).

Aussi faut-il justement aller voir l’exposition de Betty Goodwin à la galerie René Blouin. Parce que Goodwin a soixante-quinze ans, qu’elle n’est plus jeune – quoi qu’on essaie de faire dire aux mots – et que son ouvre en porte plus que jamais la trace. Et que c’est cela qui la rend plus riche et plus émouvante que jamais, cet «admirable tremblement du temps» qui la traverse, dont parlait Gaëtan Picon. Il y a dans ce dernier cru de Goodwin, le meilleur depuis des années, le signe du temps qui fait son ouvre, qui a imprimé ses vérités à l’esprit et à la main, plus réceptifs que jamais à la fragilité des choses.

C’est la leçon que semblent vouloir nous donner ces pièces, même s’il est bien étranger à l’esprit de Goodwin que de vouloir donner des leçons. Les peintures nous montrent des corps flottant délicatement sur des ciels mouvementés, repeints sur des photographies prises par Goodwin elle-même. De sous-marine et de souterraine qu’elle a déjà été, la vision de Goodwin s’est transposée vers le ciel, donnant à voir ce que l’on ne peut pas ne pas lire comme étant de touchantes et sereines préfigurations de l’élévation posthume des âmes. Il n’y a plus, comme auparavant, de traces de sang dans ces dessins.

Même si, comme nous l’expliquait le galeriste René Blouin, ce n’est pas cela que madame Goodwin avait en tête, ce sentiment d’une libération de l’existence terrestre est omniprésent dans ces ouvres, au point que l’on se demande si l’artiste n’en est pas rendue, en toute sérénité, à cette étape cruciale de la considération des fins dernières. Deux petits dessins, par exemple, nous montrent un homme et une femme, apparemment vieux, étendus au sol. Devant eux, sur une petite plaquette, des pierres. Des pièces qui ne sont pas sans rappeler les petites figurines du regretté Marcel Lemyre, l’ami de Betty Goodwin, exposées au même endroit il y a quelques années.

Les trois sculptures que contient également l’exposition – des pièces beaucoup moins statiques que ses productions précédentes, mais tout de même moins personnelles que ses dessins peuvent l’être – renforcent cette lecture. L’une montre une longue barre de cuivre tenant en équilibre sur le fil d’un triangle, avec à ses extrémités un pommeau et une lame. Une autre exhibe, posée sur le rebord d’une grosse scie de métal, la petite carcasse décharnée d’un oiseau. La dernière montre deux mains retenant un pied, le reste du corps étant déjà disparu.

Betty Goodwin est une des rares artistes capables à la fois de nous séduire, sur le plan esthétique, et de nous amener au-delà. Ses images ne sont pas que belles – ce qu’elles sont, d’ailleurs, pour un public apparemment très vaste -, elles semblent avoir un sens. Et elles savent nous rassurer. Elles nous renvoient une image de ce que nous sommes, et elles nous aident du coup à vivre, et à mourir. On a l’impression, devant ces dessins, que les drames qui nous attendent sont finalement peu de chose. Un fil qui se rompt. Une vitre qui se fendille. D’infimes tremblements sur la surface du ciel.

Jusqu’au 31 octobre
A la galerie René Blouin

Janet Werner
Janet Werner sait peindre. Mais ça ne paraît pas. Ses portraits, dont on peut voir une importante sélection à la galerie Optica, sont tracés à la grosse brosse, avec des volumes amputés, des expressions statiques, et des couleurs décalées, comme si les modèles se tenaient sous des néons de couleur. Et pourtant, quelle présence, et quelle personnalité! On a l’impression qu’on pourrait tous les nommer. Bien qu’il s’agisse de personnages inventés! Tous ces individus sont inexistants. Ces portraits n’en sont pas réellement, ce sont des fictions. Werner, qui vit à Saskatoon, et qui jouit d’une bonne réputation dans le ROC, signe là une impressionnante et intelligente exposition, qui séduit et laisse perplexe tout à la fois. Bien.

Jusqu’au 17 octobre
A la galerie Optica

Richard Roblin
Située au 90, avenue Laurier Ouest, la galerie Bernard, qui a ouvert ses portes en avril dernier, réserve ses espaces au peintre montréalais Richard Roblin, qui dans le passé a exposé notamment à Dominion, Elka London, Madeleine Lacerte à Québec et Bau-xi à Toronto. Aux commandes de la nouvelle galerie, Michel Bernard, Gisèle Bernard et Gianguido Fucito, qui avait animé, dans les années 80, la défunte galerie Esperanza. Galerie Bernard, jusqu’au 17 octobre.

Expositions hors-galerie
Le «Centre d’art Belgo», comme cela s’appellerait maintenant, fourmille actuellement d’expositions hors galerie, suivant une pratique exceptionnelle encore il y a quelques années à peine. Parmi les noms à surveiller, mentionnons, en rafale, Fabrizio Perozzi (espace 522, du 3 au 31 octobre), Jean-Louis Émond (espace 524, du 2 au 15 octobre), Denis Lévesque-Huberdeau (espace 312, du 3 au 31 octobre), Christiane Ainsley (porte 410, du 3 au 31 octobre), Michel Leclair (espace 410, du 3 au 31 octobre). Ailleurs qu’au Belgo, notons qu’il reste quelques jours à l’exposition de Christian Barré, au Montréal Télégraphe (206, rue de l’Hopital, jusqu’au 3 octobre).

La Quinzaine de la vidéo
C’est le jeudi 1er octobre que débute la Quinzaine de la vidéo à la Cinémathèque québécoise. Pour sa deuxième édition (la première a eu lieu en 1989), la Quinzaine rendra un hommage particulier au Vidéographe, qui fête cette année ses vingt-cinq ans d’existence, ce qui en fait le troisième plus vieux centre de production vidéographique au monde. Mais la quinzaine, c’est aussi l’actualité, d’ici et d’ailleurs. Bruxelles, Hong-Kong et Québec seront ainsi à l’honneur. Au total, c’est 25 programmes et une centaine d’ouvres qu’auront droit les vidéophiles. Et comme si ce n’était pas assez, l’Événement Interuniversitaire de Création Vidéo, qui en est à sa neuvième édition, cohabitera avec la Quinzaine, du 2 au 4 octobre. On s’informe au 866-4720. Du 1er au 15 octobre.

Les revues d’art
«L’art est un vaste catalogue de nos pulsions érotiques et de nos pulsions de mort», affirme Yvan Moreau, dans la dernière édition d’ETC Montréal, qui consacre un dossier à la question des rapports entre l’art et la sexualité, vus sous l’angle de l’identité. Toujours au rayon dossiers, la revue Espace en réserve un, dans sa dernière livraison, au phénomène du «duo en art», autrement dit de la création en tandem, qui a connu une fortune considérable au cours des trente dernières années. On appréciera particulièrement les entrevues avec quelques duos: Sylvie Ungauer et Susanne Stövhase, Louis Couturier et Jacky Lafargue, Wilmès et Macaux. ETC Montréal, no 43, sept.-nov. 1998; Espace, no 45, automne 1998.