Serge Murphy : Dans le désordre
Avec sa dernière exposition, l’inénarrable Serge Murphy, nous livre encore une ouvre inclassable et indescriptible. Et tente d’ordonner le chaos.
Après une année d’activité souterraine, interrompue uniquement par Blaast, à l’église Saint-Pierre-Apôtre, l’an passé, la galerie Jean-Claude Rochefort refait surface. Le galeriste, qui s’est toujours montré réfractaire au grégarisme du milieu, s’est loué un local au 55, avenue du Mont-Royal Ouest, dans un immeuble où il est le seul de sa race (mais à deux pas tout de même de la galerie Simon Blais). Un local qui n’est d’ailleurs qu’un espace d’exposition, sans réserve ni bureau, dans lequel il compte présenter, cette année, certains de ses noms les plus fidèles. Dans l’ordre: Raymond Gervais, Carol Wainio, François Lacasse.
Pour marquer ce retour sur la scène visible des galeries, toutefois, c’est Serge Murphy que Rochefort a choisi. L’inénarrable Serge Murphy, qui nous livre une ouvre inclassable et indescriptible: Le Jardin de mon curé. Occupant le fond de la galerie, se dresse une délirante procession, vaguement totémique, de choses dont seul Murphy a le secret. Des constructions d’objets et de trucs coulants, collés, rapiécés, agglutinés, accumulés, comme sous l’effet d’une compulsive manie de mettre en ordre ce qui ne peut pas l’être. Au début, on fait le tour en essayant juste de prendre la mesure de cette folie. Puis, à un certain moment, le déclic se produit. On s’esclaffe. Trop fou.
«Je me suis forcé», explique l’artiste, dont la dernière présence en galerie remonte à 1996. «Ça fait au moins deux ans que je suis là-dessus. Je voulais faire une sorte de mise en forme du chaos, quelque chose comme l’apparition baroque. Le baroque dévoile un désordre que notre intelligence remet en ordre.»
«Beaucoup de choses dans cette installation sont seulement déposées l’un sur l’autre. Il s’agit de matériaux banals: un bout de corde, un morceau de tissu, une boule de papier. Je voudrais qu’il n’y ait pas cette idée de la composition, de la stylisation. Je fais des boules de papier, mais ça pourrait être "n’importe quoi".»
Murphy a sans doute raison, et sans doute tort. C’est peut-être n’importe quoi, tout ça, mais un n’importe quoi qui a un sens. Tout ce tissu et ce papier nous parlent de la vie domestique, toutes ces opérations apparemment absurdes nous renvoient une image de l’absurdité de notre propre labeur. Et puis il y a toutes les références, très subtiles, dont Murphy a toujours chargé ses pièces. Au fleuve, par exemple, avec ses cordes à anguilles; à l’atelier d’artiste, avec ses pots de pigments de céramique; à l’intimité, qu’emblématise la photographie de son ami Charles Guilbert; à l’art populaire, témoins ces hideux macramés orange tout droit sortis d’une époque qui nous apparaît préhistorique. Et ainsi de suite.
«J’ai pris tout ce qui était dans ma tête et autour de moi, pour faire un ensemble, mais il n’y a rien qui va ensemble, tout est un peu laid ou sale. C’est un cliché de dire ça, mais il reste beaucoup d’espace dans la tête pour finir le travail. Ce n’est pas un travail dogmatique. A l’avenir, je vais continuer de faire ces choses que j’ai de la misère à situer moi-même. Ça aussi, c’est un cliché. Mais je voudrais encore plus défaire les choses. J’ai envie de composer un paysage de petites choses de papier ou de plasticine. C’est dur de ne pas faire aboutir les choses dans des formes précises. Le défi est de rester en deçà de la forme précise ou aboutie.»
Malgré tout, Le Jardin de mon curé est l’ouvre la plus aboutie de Serge Murphy, du même niveau d’intensité que celle qu’il présentait lors de l’exposition L’Origine des choses au Musée d’art contemporain en 1994. A voir, sans faute.
Jusqu’au 7 novembre
Galerie Rochefort
Espace Verre
Le Centre des métiers du verre du Québec, mieux connu sous son appellation d’Espace Verre, fête cette année son quinzième anniversaire. Fondé en 1983 par François Houdé, maintenant décédé, et Ronald Labelle, Espace Verre est à la fois un lieu de création, de recherche, de formation et de diffusion des métiers du verre. En 1996, le Centre a été l’organisateur, au Marché Bonsecours, de la Biennale canadienne du verre.
Question de souligner comme il se doit le franchissement de ce cap, la directrice d’Espace Verre, Gisèle Beauchemin, a piloté deux expositions. La première, présentée jusqu’au 25 octobre, à la Maison de la culture Marie-Uguay, est une exposition collective regroupant les travaux des professeurs et des finissants du cru 1996-1998. Ce qui fait, au total, une vingtaine de noms, incluant ceux du fondateur Ronald Labelle, et d’artistes éminents tels que Susan Edgerley et Donald Robertson. Tenue parallèlement à l’exposition Tondo Tondi, L’Or du feu a pour thème le cercle.
La seconde exposition, qui a lieu jusqu’au 30 octobre dans les locaux mêmes d’Espace Verre, rue Mill, dans le Vieux-Montréal, s’intitule Les fruits de la passion. Elle réunit, cette fois-ci, plus d’une cinquantaine d’artistes, parmi les «tout premiers semeurs d’Espace Verre, qui ont follement et passionnément joué avec le feu». Ce qui veut dire, en d’autres mots, la plupart des artistes qui ont transité par le Centre à un moment ou l’autre – c’est-à-dire à peu près tout ce que le Québec compte d’artistes verriers.
Gazon maudit
Le Centre Canadien d’Architecture a connu cet été, avec l’exposition Surface du quotidien: La pelouse en Amérique, un succès critique inégalé – pleines pages dans Le Nouvel Observateur, le New York Times, The Economist. Question de poursuivre la réflexion sur le rôle de la pelouse dans l’imaginaire nord-américain, le CCA présente encore deux activités: le jeudi 8 octobre, à 19 h, les anthropologues Bernard Arcand et Serge Bouchard donneront une conférence sur le gazon comme source d’information (Bavard, le gazon). Le Jeudi 15 octobre, à 18 h, une table ronde permettra de faire le point sur la pelouse nouvelle (L’herbe est toujours plus verte chez le voisin). On s’informe au 939-7000.