Ann Hamilton/Claude Simard : Programme double
Le Musée d’art contemporain poursuit dans sa belle lignée d’expositions relevées avec deux nouveaux artistes: l’Américaine ANN HAMILTON; et le Québécois exilé à New York CLAUDE SIMARD. Deux regards étranges et percutants.
Après l’une de ses meilleures programmations estivales depuis son emménagement au centre-ville – Borduas, Martha Fleming et Lyne Lapointe, Eleanor Bond et le duo Louis-Philippe Demers et Bill Vorn – le Musée d’art contemporain poursuit dans la bonne humeur avec deux expositions également relevées: Ann Hamilton et Claude Simard. La première, avec une rétrospective de ses travaux depuis 1984, ainsi qu’une installation-performance récente (Mattering, 1997). Le second, avec des pièces des huit dernières années, toutes disciplines confondues.
Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, Ann Hamilton, qui représentera les États-Unis à la prochaine Biennale de Venise, est l’une des artistes-clés de l’histoire de l’installation, qu’elle a façonnée à sa manière, en la concevant comme un environnement total, et en y incorporant des performances austères et kafkaïennes, toujours stupéfiantes. Par exemple, dans une grande salle recouverte de crin de cheval, elle s’est appliquée silencieusement des jours durant à effacer les lignes d’un livre. Simard, quant à lui, est un artiste d’origine québécoise (il est né à Larouche) installé à New York depuis une vingtaine d’années, et, pour cette raison, pratiquement inconnu ici.
La rétrospective – tout comme l’installation – Ann Hamilton est non seulement agréable à parcourir, elle permet une vue en profondeur du travail complexe mais toujours lisible de cette artiste. Organisée par le Wexner Center for the Arts de l’Université d’Ohio à Columbus, où vit Hamilton, cette exposition contient un imposant corpus d’ouvres et de documents reliés à des performances antérieures. Le visiteur moins averti devra d’ailleurs absolument consulter le CD-ROM mis à sa disposition s’il veut bien saisir toute l’ampleur de ce travail unique en son genre.
Comme la principale intéressée s’en confessait en conférence de presse, «la chose la plus difficile, en ce bas monde, c’est de faire un objet». Il y a mille choses à dire de ce travail, qui s’inscrit à la suite du monde comme un écho austère et absurde, presque métaphysique. L’ouvre d’Hamilton est d’une extraordinaire densité et d’une imperturbable cohérence, et condense certaines des tendances profondes de l’art américain: le puritanisme, le ritualisme au féminin, et le pressentiment du macabre. Imaginez, en somme, un improbable croisement entre Richard Serra, Carolee Schneeman et Kiki Smith.
Forcément, j’attendais la révélation de la part d’Hamilton. A ma grande surprise, elle est venue de Simard. Non pas que l’exposition d’Ann Hamilton, qui occupe trois grandes salles, soit décevante, loin de là. Mais elle est d’un autre monde. Tandis que Simard, avec ses trucs, dont certains semblent empruntés à un catalogue des stratégies artistiques de l’heure, nous parle de lui-même – et de nous-mêmes, Canadiens errants dans notre propre patrie – avec une désarmante sincérité. Depuis leur exil cosmopolitain, ces pièces chargées d’humour et de nostalgie – des bustes de nos premiers ministres, des photographies de bouteilles de bière Molson et de boîtes à lunch, des moutons empaillés ou sculptés, etc. – assument les paradoxes de notre condition de «québécanthrope» comme peu d’ouvres locales l’ont jamais fait, sans manquer aux exigences de la création la plus pointue ni sans rien renier d’une identité partagée.
Comme l’écrit le conservateur Gilles Godmer, en conclusion du catalogue: «Sur cette société qui doute, profondément transformée, en quête constante d’équilibre, sur ce qu’est devenu, sur ce que devient le Québec un peu plus chaque jour, Simard pose son regard qui toujours retrouve une appartenance et des liens affectifs forts et persistants.»
Jusqu’au 17 janvier 1999
Au Musée d’art contemporain
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Renée Lavaillante
Le dépouillement est un risque. Rien n’est plus casse-gueule que de jouer aux limites du presque-rien. Renée Lavaillante a pris ce risque il y a des années, en choisissant d’élaborer son ouvre à l’intérieur de paramètres d’une vertigineuse économie. Le papier ou la toile blanche, le dessin à la craie ou à l’encre noire, le non-recours au motif. Une esthétique d’une extrême réserve. Ceux qui l’ont suivie ont pu constater pourtant la variété des propositions qu’elle a su tirer de ce jeu.
Sa dernière exposition, dans l’espace 502 de l’édifice Belgo, jusqu’au 31 octobre, est frappante. Des dessins tout en mouvances qu’elle a produits auparavant, Lavaillante est passée du côté d’une abstraction presque minimaliste. Les deux séries d’ouvres au mur, Mes faims c’est les bouts d’air noir, montrent des sortes de fenêtres. Grossièrement découpée, la toile est couverte de noir sur les bords, et salie de traces de main en son centre. Fenêtre, écran, miroir, tableau, faites les associations que vous voulez, ces ouvres vibrent d’une rare intensité poétique. Une qualité qui se retrouve dans la troisième ouvre, un «livre», Le Cahier des éclats, fait de quarante-huit pages recouvertes d’encre noire au point de gondoler.
Lavaillante a réalisé les deux premières séries en 1993, à la suite d’un voyage en Cappadoce. Qu’elle ne les montre publiquement qu’aujourd’hui, toutefois, leur donne une signification particulière, et les inscrit comme un tournant décisif dans l’ensemble de son ouvre. Pas de doute que l’artiste en déduira toutes les conséquences en temps opportun. Parallèlement au Belgo, Renée Lavaillante expose d’autres séries de dessins au Musée de la Ville de Lachine (jusqu’au 20 décembre).
Le mot peint
Le journaliste Robert Lamarche s’adonne à la peinture depuis quelques années. Il a déjà participé à des expositions de groupe. Mais il profite d’une année sabbatique à Radio-Canada pour signer, avec Territoires, son premier solo. Dans ses récentes huiles et acryliques, Lamarche a exploré des thèmes reliés aux voyages et aux lieux de passage. A l’Espace 506 du Centre d’art Belgo (372, rue Sainte-Catherine Ouest). Du 21 au 31 octobre.
A propos
Comme vous le savez peut-être, j’ai accepté un poste au Musée des beaux-arts de Montréal. Je dois donc quitter Voir. Aux lecteurs qui ont bien voulu m’accorder leur attention, à mes collègues, pour leur appui sans faille et leur amitié: toute ma gratitude. Ce furent de belles années.