Le Musée des arts décoratifs présente une très bonne rétrospective du travail de GAETANO PESCE. Entre Cosmos 1999 et la gauche caviar, le designer italien a développé une création à l’opposé du confort B.C.B.G. Étrange et fascinant.
Si vous trouvez que bien souvent le design produit des objets froids, lisses, proprets, au point d’apparaître aseptisés, précipitez-vous pour voir l’exposition La Présence des objets: Gaetano Pesce, qui vient de prendre l’affiche du Musée des arts décoratifs de Montréal. A travers la soixantaine d’ouvres présentées, Le Musée nous fait découvrir une autre approche du design.
Depuis les années 60, cet architecte et designer italien a développé une création à l’opposé du bon ton conventionnel. Ne vous attendez pas à y voir des formes arrondies ressemblant à des jouets pour enfants. On est en effet bien loin du «Bon Design» aux formes léchées et rassurantes. Et même pour ses projets architecturaux, Pesce a su s’éloigner du beau style international moderne, conformiste et propre.
Les ouvres de Gaetano Pesce ont un petit côté menaçant. Il règne dans son travail une atmosphère digne de la série télévisée Cosmos 1999. Mais cela ne ressemble pas au design et à l’architecture de la base lunaire occupée d’une manière austère par Martin Landau et Barbara Bain. Ce style-là c’est plutôt celui auquel Pesce s’oppose. Ses ouvres sont plus proches des civilisations étranges et parfois monstrueuses auxquelles la moderne base lunaire va devoir se confronter: sociétés post-industrielles, post-nucléaires prêtes à tout recycler.
Pesce utilise des textures rugueuses, des formes dentelées (comme des grilles métalliques), des matériaux effilochés et hybrides (comme ces «peaux industrielles» faites de résine de polyuréthane souple). Cela produit un futurisme «inquiétant». La lampe Angel en est un bon exemple. Faite de papier recyclé, de résine, de métal et de plomb, elle ressemble à la fois à une apparition, à un cosmonaute et à un extraterrestre. Quant à sa chaise Rag Chair, elle est composée de tissus colorés (et récupérés?) enduits de latex. Cela évoque un amoncellement arrangé de vêtements sales dans l’appartement d’un célibataire. Inventif.
La présentation de cette exposition (à laquelle Pesce a lui-même participé sous la direction de la commissaire France Vanlaethem) appuie l’esprit des ouvres. Cartons et papiers d’emballage présents ici et là viennent eux aussi troubler l’ordre conventionnel de l’espace muséal.
Mais n’allez pas croire que le design de Pesce soit totalement à l’abri d’une certaine résonance bourgeoise. Il y aussi dans Pesce un air «gauche caviar». L’esthétique d’une société qui se meuble avec des objets à l’aspect brut pour se faire croire qu’elle échappe malgré tout aux goûts de sa classe. Allez voir le «Projet de monument commémoratif pour Diana». En guise d’obélisque, Pesce veut prolonger hors de terre, sur la place de l’Alma, la treizième colonne en béton contre laquelle la princesse s’est fracassée. C’est là tout l’intérêt et le piège de son travail: utiliser les matériaux industriels pour les élever à un certain niveau de noblesse.
Le Musée des arts décoratifs manifeste depuis longtemps un grand intérêt pour Pesce. En 1987 il lui avait déjà consacré une exposition. En 1984, comme l’explique Luc D’Iberville-Moreau, directeur du Musée, «notre institution a été le premier musée canadien à faire connaître l’ouvre de Gaetano Pesce». Ce désir de suivre de près la carrière de Pesce est de la part du Musée et de ses conservateurs une entreprise des plus louables.
Jusqu’au 3 janvier 1999
Au Musée des arts décoratifs
Au poil!
La galerie Skol propose une représentation acide de notre monde. Dans la petite salle, Corine Lemieux a aménagé un salon de coiffure: murs et plancher roses, coquille nacrée emplie d’un gel bleu et de plusieurs brosses à cheveux dont certaines décorées avec des dauphins, des licornes, des oursons… Au premier regard cela ressemble à une vision enfantine, à une version Barbie du monde des adultes. Mais se cache là-dessous tout autre chose.
Ces brosses sont bien sûr de l’ordre du sexuel. On dirait des poils tapissant une membrane en continuelle invagination. Mouvantes, car branchées sur un système électrique, elles font penser à des godemichés et autres vibrateurs vendus dans les sex-shops. Comme si Lemieux nous montrait la face cachée ou le «back-room» de l’esthétique. Ce Centre de la retouche montre que la vision féministe de l’art peut amener à l’humour et à un plaisir extrêmement efficace. Je ne sais pas si «Girls just want to have fun», mais avec le travail de Lemieux, on peut espérer que de plus en plus «Sisters are doing it for themselves».
Dans la salle principale, Gayle Hermick expose Red Shoes. Ici le spectateur se trouve visuellement écrasé par deux grandes chaussures à talons hauts fabriquées avec des enjoliveurs de roues et autres pièces d’automobiles clairement identifiées (Ranger, Dakota…). L’identité masculine autant que l’identité féminine s’en trouvent démontées. Comme quoi, s’il est devenu idiot de parler de la belle carrosserie d’une femme, les hommes n’ont plus besoin de rouler des mécaniques. Mais le travail d’Hermick ne se résume pas à ça. Il évoque aussi l’art du Nigeria (l’artiste y a passé deux années), où l’on utilise des canettes de coke et autres déchets de la société industrielle pour fabriquer des jouets pour enfants, et des objets à vendre aux touristes. Fascinant prolongement d’une vision féministe. Jusqu’au 1er novembre. A la Galerie Skol
Peinture gestuelle
Fabrizio Perozzi n’a pas exposé en solo depuis 1994, alors qu’il présentait Qui a peur du rouge? Il y montrait des peintures de corps, d’un rouge presque sang, un peu trop simplement allongés et qui contrastaient avec le titre de l’expo. Où était le danger? Le sida était-il venu teinter toute nos relations (et pas seulement) sexuelles? Les corps recèlent-ils des vérités impénétrables pour notre regard?
Ces jours-ci, Perozzi présente son travail dans l’exposition de groupe Tondo Tondi, à la maison de la culture Marie-Uguay, mais, surtout, il nous revient au 5e étage du Belgo avec une exposition intitulée Aut aut. Le peintre continue à montrer des corps énigmatiques. Notre regard est impuissant à comprendre toute l’intériorité des êtres qu’il nous dépeint. Dans des tableaux aux formats horizontaux, on peut voir un homme, torse nu, dans des gestuelles obscures. Gestes de tai-chi, mouvements de danseur, ou poses académiques? Quelle est l’identité de cet être mis à nu? La peinture abstraite a souvent été, pour le spectateur, le lieu d’un décryptage. Perozzi nous montre combien la figure humaine est encore mystérieuse.
Le titre de cette expo est digne de l’énigme des poses. En latin aut aut signifie «ou bien, ou bien». Mais de quelle alternative s’agit-il ? Ce aut évoque aussi la sonorité du mot out en anglais, du coming out, de la sortie du placard. Ce personnage est-il gai ou bien hétéro? Serait-ce son secret? Mais là encore – et heureusement – , notre regard ne nous révèle pas tout. Jusqu’au 31 octobre, Au Belgo, Espace 522