Gu Xiong : Le regard de l’autre
La vision, la perception, le regard… Depuis toujours, plusieurs artistes explorent ces thèmes. Une tournée de nouvelles expositions nous donnent l’occasion de renouer avec ces thèmes. Alons voir…
Le travail de l’artiste d’origine chinoise Gu Xiong, arrivé à Vancouver en 1989, traite de l’expérience de la différence culturelle. De nos jours, avec la prolifération des discours sur les minorités, les ethnies – et j’en passe – , cela semble presque banal. Néanmoins, comme en témoigne son exposition à l’affiche de la galerie Articule, le travail de Gu Xiong nous réserve bien des surprises.
Cette exposition se compose essentiellement de dessins (au fusain sur toile) d’objets de la vie quotidienne: un téléphone, des clés de voiture, une plaque d’immatriculation, une casserole (pour faire cuire du riz), une fontaine, un séchoir à mains de toilettes publiques… L’artiste nous demande donc de regarder, à nouveau, avec plus d’attention, des objets familiers et parfois d’une extrême banalité.
Au premier coup d’oil, cela fait penser au travail, trop souvent cité, de Marcel Duchamp. Celui-ci, avec son urinoir intitulé Fontaine (1917), avait choqué le spectateur en lui présentant un objet qu’il utilise couramment mais sans jamais vraiment le regarder.
Mais le travail de Gu Xiong dépasse heureusement cela. En dessous de chaque dessin, un court texte explique d’une manière souvent très personnelle, et parfois incisive pour notre société, sa vision de ces objets. On a le sentiment de renouer avec certains récits littéraires du XVIIIe siècle (comme les Lettres persanes de Montesquieu) qui se servaient du regard d’étrangers (fictifs) pour porter un jugement (malgré tout divertissant) sur la société.
Certaines des phrases écrites par Gu Xiong sont amusantes et percutantes. En dessous du dessin d’un ordinateur, on peut lire: «The computer is like a modern antique, it becomes old very quickly». Il nous explique aussi que lorsque son ordinateur fut malencontreusement brisé, la seule image qui apparaissait à l’écran était celle d’un dinosaure. A propos de produits laitiers et d’une vache (Milk), l’artiste nous explique que si la culture chinoise a comme base la production du riz, la culture traditionnelle occidentale trouve ses fondements (économiques?) dans la production laitière. Nous devrions, peut-être, ne plus manger nos céréales matinales de la même manière. Il nous décrit également la conduite automobile comme une expérience taoïste qui exige de savoir être patient, de se contrôler, d’avoir une bonne maîtrise de soi… Il conclut alors par une morale un peu trop innocente et que l’on espère railleuse: «La meilleure manière de conduire est d’être détendu; c’est aussi la meilleure manière de vivre.»
Là réside, peut-être, le seul défaut de cette exposition. La limite est parfois bien fragile entre le désir d’être ironique et le piège de se prendre au sérieux…
Avant de sortir de la galerie Articule, ne ratez pas, dans la petite salle, l’excellent vidéo (intégrant performance et sculpture) des artistes anglais Paul Harrison et John Wood qui ont participé à l’exposition New British Video au MOMA, à New York, en 1997. Dans le programme de la Quinzaine de la vidéo, qui s’achevait le 15 octobre à la Cinémathèque québécoise, on présentait leurs anciens et plus récents vidéos comme étant une évocation du «ton pince-sans-rire du jeu corporel de Buster Keaton».
Il y a en effet quelque chose d’un peu loufoque dans ce travail. On peut, par exemple, y voir un personnage ayant une corde attachée dans le dos. Au fur et à mesure que ce personnage s’avance pour quitter l’espace dans lequel il se trouve, la corde (grâce à un mécanisme caché) tire sur la porte, allant jusqu’à fermer complètement cette seule issue possible. On y voit aussi un personnage en train d’essayer de se hisser au sommet d’une colonne. Malheureusement, celle-ci ne lui servira pas de socle monumental mais, finalement, l’avalera et le fera disparaître. Cela reprend le travail de Robert Morris, dont ses performances de 1961, où une simple colonne érigée s’abattait sur le sol. Cela énonce un désir de déboulonner l’art du haut de sa colonne.
Jusqu’au 15 novembre
Galerie Articule
La vision déroutante
Juste à l’étage au-dessus, la galerie Dazibao présente l’exposition multimédia Les Incubateurs de David Tomas. Il s’agit presque d’une histoire des diverses inventions modernes mises au point pour nous permettre de voir encore plus précisément le monde qui nous entoure (et parfois même d’en conserver une trace).
Cela débute par l’invention de la photographie présentée par un dessin, un peu évanescent, intitulé Joseph Nicéphore Niepce 1826. Cela continue par d’autres dessins, accompagnés de textes écrits, faisant référence à Röntgen (découvreur des rayons X) et à Marie Curie (découvreuse du radium). Ces dessins nous font comprendre que le simple regard ne suffit pas pour voir l’intérieur des êtres. L’artiste semble analyser cette quête obsessionnelle, présente depuis au moins deux siècles, des inventions promettant une plus grande acuité de vision et un plus grand savoir grâce à des prothèses visuelles. La présence, très forte dans cette exposition, de dessins et de courts textes explicatifs met certainement l’accent sur le fait que la technologie n’est pas la solution absolue pour enregistrer et décoder la réalité.
Finalement, en plein milieu de la galerie, s’impose une ouvre intitulée Incubator (elle donne son nom à l’exposition). Cette installation met en scène de nouvelles technologies (qu’on espère, encore une fois, plus efficaces?) pour capter et décortiquer le réel. Elle est composée d’une bien étrange table en miroir, d’un hologramme, de plusieurs lentilles et d’écrans vidéo. Ceux-ci nous montrent des photos anciennes avec des gros plans, de plus en plus rapprochés et flous, sur les yeux des êtres photographiés. Comme si, à travers le regard des gens, on essayait de percer le secret de leur intériorité ou de leur âme. Cela fait penser à ces agrandissements d’images dans Blade Runner (de Ridley Scott) ou dans Blow-Up (d’Antonioni). Sauf qu’ici l’image agrandie ne dévoile pas son mystère. David Tomas viendra à la galerie, le samedi 7 novembre, à 15 heures, présenter une performance (il n’en a pas fait à Montréal depuis 1986) en se servant de cette ouvre. A voir.
Jusqu’au 15 novembre
Galerie Dazibao
Chambre noire
Vous avez jusqu’à samedi pour aller voir les dernières ouvres d’Angela Grauerholz présentées dans l’espace Montréal Télégraphe dans le Vieux-Montréal. Cette exposition, organisée par la galerie Art 45 inc., présente dix photographies, parfois très sombres, parfois légèrement (et volontairement) floues, toujours épurées à l’extrême. D’assez grand format, encadrées strictement de noir, elles font l’effet de documents anciens et évoquent le fantomatique. On y voit des lieux apparemment désertés par leurs habitants. D’une simplicité déconcertante, mais d’une grande efficacité. Jusqu’au 31 octobre. Montréal Télégraphe (206, rue de l’Hôpital).
Culture populaire
L’artiste James Carl, qui vit maintenant à New York, revient à la galerie Clark après six années d’absence et plusieurs expositions à Toronto. Il nous présente des images hantées par la culture populaire, la société de consommation mais aussi par un imaginaire provenant de l’enfance. Dans cette expo, vous pourrez voir des références au briquet Bic, au cornet à frites de McDonald’s, et à la coupe Stanley. Pour les amateurs de pop art. Jusqu’au 8 novembre, galerie Clark.