Ubiquités : L’image et le médium
Avec une exposition intitulée Ubiquités, la galerie VOX a inauguré ses nouveaux locaux. Au menu: des ouvres très différentes et hybrides qui démontrent que la photographie n’est pas simplement un médium.
La galerie Vox a déménagé. Le 3 octobre dernier, ses nouveaux locaux ont été inaugurés au 460, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 320. Elle est venue rejoindre bon nombre de galeries montréalaises, qui depuis plusieurs années, se sont lentement installées à quelques enjambées du Musée d’art contemporain.
Cette galerie, qui se spécialise dans les divers (et presque infinis) usages et possibilités artistiques de la photographie, amorce sa nouvelle saison par une exposition intitulée Ubiquités. Comme on le sait, ce terme définit la faculté d’être présent en plusieurs lieux à la fois. Peut-on y voir une propriété inhérente à la photographie?
Cela pourrait, en effet, très bien décrire la position du spectateur happé par l’effet réaliste de l’image photographique. Il se sent à la fois ici, mais aussi déjà un peu là-bas, dans ce monde capté par la photo. Les limites visuelles et physiques du spectateur s’en trouvent presque éliminées. C’est certainement ce que nous dit l’ouvre Transire d’André Clément. Une immense photo sur laquelle est projetée une image vidéo nous montrant le bâtiment adjacent à celui de la galerie. Comme si son mur était devenu transparent, et qu’on pouvait passer à travers.
Mais peut-être est-ce la photo elle-même qui est ubiquiste? La commissaire, Élène Tremblay, a rassemblé des ouvres très différentes et hybrides. La photographie ne serait donc pas simplement un médium. Il y aurait une approche photographique, un certain type de questions que la photo poserait d’une manière bien particulière au monde et aux différents types de représentations visuelles qui nous entourent. Le photographique s’énonce autant dans le travail sculptural de Danielle Hébert que dans le cédérom de Zoe Beloff, ou même dans l’aspect très théâtral de l’ouvre de Susan Coleen. La photo hante, sous une forme ou sous une autre, tous les systèmes de représentations actuels. Et c’est d’ailleurs l’image comme fantôme qui semble être ici la clé du questionnement photographique. Il y a en effet dans les oeuvres exposées une atmosphère fantasmagorique. Le Transire («aller au delà» en latin) de Clément y fait certainement référence. L’ouvre de Coleen, Alien Pods, boîte lumineuse visible de l’extérieur de la galerie, brille comme une apparition. Cela est particulièrement fort dans Beyond de Zoe Beloff. A la lecture de ce cédérom – voyage interactif dans des espaces désaffectés -, on croit reconnaître de ces photos fabriquées au XIXe siècle montrant des fantômes, spectres, larves et lémures qui viennent tourmenter les vivants.
Et ne rions pas trop de nos ancêtres ayant cru aux pouvoirs occultes de la photo. Cette fantasmatique photographique nous hante toujours. Il y a quelques années, certains clairvoyants ne prétendaient-ils pas pouvoir, grâce aux ondes télévisuelles (c’était avant la prolifération du câble), capter l’image fantomatique des morts? Un médium aurait même vu dans la neige télévisuelle une apparition de Romy Schneider…
A moins que cette ubiquité ne soit encore plus grande. Dans son texte de présentation, Tremblay évoque les «filiations» et «entremêlements» entre «cinéma, sculpture, théâtre, photographie, observation scientifique, informatique». Sommes-nous rendus à l’époque de la victoire totale du multimédia où les différents moyens de représentation s’échangent leurs qualités propres, leurs moyens de dire le réel?
Jusqu’au 8 novembre
A la galerie Vox
Réapprendre à interagir
L’interactivité, le dialogue entre l’être humain et la machine, est à la mode. Mais l’informatique – et surtout les utilisations qu’on nous en propose – est-elle toujours aussi efficace qu’elle semble le promettre? On a de temps en temps des doutes et l’impression que d’autres médiums d’expression, d’autres outils de travail pourraient remplir la même fonction, mieux et plus vite. Dans l’interface humain-machine, on a parfois le sentiment que c’est la machine qui dicte sa loi.
Luc Courchesne, qui en 1996 avait présenté son Salon des ombres, au MAC, expose à la Cinémathèque québécoise, dans la salle Norman-McLaren, Paysage No 1, une installation interactive. On peut y visiter un morceau de paysage virtuel, celui du Mont-Royal. Dans ce panorama, composé de quatre écrans dont les images sont gérées par quatre ordinateurs en réseau, on rencontrera une famille qui vient pique-niquer, un homme qui nous présentera une vue de Montréal et sa place géographique en Amérique, un couple rentrant d’un party aux petites heures du matin, un mélomane écoutant grâce à son ghetto-blaster des musiques tonitruantes… On pourra tenter d’interagir et de créer des liens avec ces personnages en choisissant sur des écrans tactiles des phrases ou des gestes parmi un choix limité d’actions possibles. C’est amusant. C’est même captivant. Comme dans certains jeux vidéo, on tourne parfois en rond avant de trouver un parcours plus intéressant. Mais il y a des surprises dont une petite promenade cahoteuse en bicyclette virtuelle. Cela ressemble parfois à un jeu éducatif tentant de nous apprendre, grâce à la technologie, à renouer avec la nature et les liens humains (déshumanisés par la technologie?). S’agit-il de combattre le feu par le feu? Cette installation nous dit certainement qu’il faut s’approprier au plus vite une technologie qui n’est pas encore marquée définitivement au sceau de la froideur. Paysage No 1 a reçu le Grand Prix de la Biennale de l’ICC (InterCommunication Center) de Tokyo en 1997. Jusqu’au 15 novembre, à la Cinémathèque québécoise.
Le jazz comme attitude de vie
A la maison de la culture Frontenac, il faut aller voir les photographies de Len Dobben, journaliste, animateur de radio et photographe. Son exposition s’intitule Cinq Décennies de jazz. Vous pourrez y voir des images de Miles Davis (en août 1962, à la Comédie-Canadienne), de Duke Ellington (en 1964, au Casa Loma), de Count Basie (en avril 1963, à New York)… Malgré les descriptions systématiques de lieux et de dates, ces ouvres dépassent le simple intérêt documentaire. Certaines photos (dont celle de Sarah Vaughan, dans une pose d’une grande intensité) montrent le jazz comme une manière d’être dans son corps et au monde. Malgré un accrochage inadéquat (dans un hall d’entrée plutôt fouillis) qui rend peu justice à l’intimité conviée par ces clichés, on découvre un photographe passionné par son sujet. Jusqu’au 15 novembre, à la maison de la culture Frontenac.
Evénement Interuniversitaire de création Vidéo
Le Prix de la meilleure installation vidéo lors de l’Événement Interuniversitaire de création Vidéo 1998 a été remis à Nicolas Renaud et Ralph Ghoche pour Articulations. On peut y voir un personnage, harnaché d’une prothèse faciale connectant sa bouche à ses cils, tenter de dire des paroles en anglais et en français. C’est parfois pénible à regarder. Cela ressemble à une torture. Chaque mot semble douloureux pour la bouche, les paupières et tout le visage. Les langues ne sont donc pas un simple apprentissage intellectuel. Renaud et Ghoche soulignent que le langage, c’est aussi une expérience corporelle. Ouvre qui a de la gueule. A voir absolument. Jusqu’au 7 novembre, à l’Espace Vidéographe.