Duane Michals : La beauté du cliché
Parallèlement à l’exposition Haring, le Musée des beaux-arts de Montréal présente une importante rétrospective de l’exceptionnel photographe américain Duane Michals. Pour ce faire, le MBAM a décidé de travailler à nouveau avec l’historien d’art Marco Livingston, déjà commissaire invité pour les expositions George Segal (1997), Duane Hanson (1994) et sur le Pop Art (1992). Cette exposition, réunissant cent trente-deux ouvres, s’intitule Duane Michals: mots et images.
Et, en effet, comme l’indique le titre, cette expo traite des liens magiques que Michals a tissés, tout au long de son ouvre, entre le texte écrit et la photographie. Il s’inspire à l’évidence du travail de Magritte (de Ceci n’est pas une pipe ou de La Clef des songes), où texte et image entraient en lutte. Dans la série Salut, Walt Whitman, Michals cherche dans les textes de ce poète du XIXe siècle un nouveau sens et ainsi une nouvelle manière de travailler, d’une façon plus poétique, la représentation du monde.
A travers ses «photos-écritures», Michals interroge les rapports que les êtres entretiennent avec la mort, la vie, la sensualité et la sexualité (plus spécifiquement homosexuelle). Parfois, il écrit ses propres textes qui sonnent comme une confession, et ont une force allant jusqu’à éclipser l’image. Cela va jusqu’à ce cas d’Une tentative ratée de photographier la réalité, où il ne reste plus qu’un texte écrit à la main sur une épreuve argentique. On peut y lire le commentaire suivant:«Photographier la réalité, c’est ne rien photographier.»
Placée en dessous des images, cette écriture manuelle, parfois légèrement raturée, donne tout de suite un ton très intime à ces ouvres. On a le sentiment d’avoir accès à un journal ou à une correspondance montée en parallèle avec ces photos pour les besoins d’une exposition. Le format plutôt réduit de ces tirages participe à ce ton particulier. La série Tête en bas, à l’envers et à reculons, avec son atmosphère magique, convoque parfaitement le souvenir et l’ambiance d’émerveillement intérieur du monde de l’enfance. On peut y voir un exemple de photos peintes (à la gouache). Cela nous montre l’intérêt de Michals pour une photographie tissant des liens presque illimités avec d’autres formes d’art. On pourrait d’ailleurs reprocher à cette exposition de ne pas avoir montré ces travaux de Michals où il mélange peinture et photographie.
Les recherches visuelles de Michals produisent parfois des ouvres fabuleuses comme Quelque chose d’étrange se produit ou encore Il n’y a pas de Chine. Dans cette dernière, le propos est simple mais la mise en scène visuelle réussit à faire comprendre ce qu’est un émerveillement. Le texte décrit un homme se promenant dans la nature, le regard soudainement absorbé par un coléoptère. Michals nous explique cet état de fascination en concluant par la disparition du reste du monde: «Paris is gone. There is no China». La photo juxtaposée, où l’on voit un paysage dans lequel papillonnent des formes plus ou moins reconnaissables, est époustouflante.
Mais l’art de Duane Michals pose aussi problème. Souvent transparaît dans son ouvre une grande fascination, un peu trop appuyée, pour la jeunesse, la beauté et la nudité. Parfois ce sont des femmes, comme dans La plus belle partie du corps d’une femme, où l’on voit des seins en gros plan. Fréquemment il s’agit de la représentation d’un homme jeune, très souvent le même (John Painter), blond, musclé à la peau mordorée par le soleil. A voir ces ouvres on ne sait plus, parfois, ce que l’on regarde. Est-ce la beauté de la photo ou celle de ce garçon? Certes, celui-ci est bien excitant, mais… On peut comprendre la nécessité de créer (ou de se réapproprier avec les poètes Walt Whitman et Constantin Cavafy) un imaginaire gai plus magique, plus poétique, parfois plus heureux aussi. Et surtout plus beau que l’image habituelle et malsaine que la société a souvent offerte de l’homosexualité.
Mais, du coup, cette ouvre n’est pas à l’abri du kitsch. Une photographie, faisant partie de la série en hommage à Walt Whitman, montre un fringant jeune homme, torse nu et musclé, en train de caresser un cheval. Le titre? Un étalon d’une grande beauté… Même la référence au lyrisme poétique de Walt Whitman, ou même à un ton humoristique, ne saurait tout à fait sauver du ridicule une telle juxtaposition.
Il y a, dans certaines de ces photos, une nostalgie de la jeunesse et de la blondeur bouclée digne de l’amour sublimé d’Aschenbach pour le jeune Tadzio dans Mort à Venise.
La première «photo-écriture» réalisée en 1972 par Michals est à cet égard révélatrice. Intitulée Lance Cook , elle montre un jeune homme, encore à moitié nu, assis devant une table. En dessous de cette image on peut lire le texte suivant: «C’est un menuisier qui a travaillé pour nous un été, à la campagne. Son père était notre électricien. Lance est marié depuis trois ans et il a trois enfants. Au moment de son mariage, il est devenu témoin de Jéhovah, comme sa femme. Dieu est très important pour lui d’une manière qui me semble démodée. Je pense qu’il y a chez lui une véritable innocence. […] Il y a encore chez lui un aspect petit garçon, qui est charmant.»
Cet amour de l’ouvrier innocent et pur n’est pas anodin. Il y a souvent dans ce travail un homoérotisme de bon ton et un peu bourgeois. Jamais vraiment pornographique, jamais tout à fait consommé, cet amour se donne l’amitié platonique comme prétexte et comme vraie valeur. Au risque de tomber, parfois, dans une imagerie à la David Hamilton pour avant-garde.
Au Musée des beaux-arts
Jusqu’au 10 janvier