Kiki Smith : Le ciel peut attendre
Arts visuels

Kiki Smith : Le ciel peut attendre

Avec son travail récent, KIKI SMITH a pris un virage moins tourmenté. Plus léger et aérien, bien que toujours source d’angoisse, son art reflète un rapport plus paisible avec la mort. Le calme après la tempête des précédentes expos de l’artiste américaine.

Kiki Smith revient à la galerie René Blouin après quatre années d’absence. Elle avait alors présenté une ouvre impressionnante et extraordinaire qui hante encore nos mémoires: Une Vierge Marie écorchée vive, faite comme un cierge de cire (aux couleurs évoquant l’incandescence). Ce fut un événement artistique comme on en voit rarement. Par la suite, en 1996, le Musée des beaux-arts de Montréal avait organisé une rétrospective de l’artiste montrant le corps dans tous ses états. L’art contemporain a fréquemment utilisé l’organisme d’une façon horrifiante, allant jusqu’à montrer l’insoutenable (pensons à La Morgue d’Andres Serrano présentée au Musée d’art contemporain, en 1994). Smith est une force de ce courant exprimant un corps ardent et à vif, en provoquant, en nous spectateurs, une sensation de brûlure et de mise à nu.

Cette artiste, très en demande sur la scène internationale, fait de nouveau escale à Montréal, avec, cette fois-ci, des ouvres moins impressionnantes et très différentes, mais extrêmement dignes d’intérêt. Son travail semble moins angoissant. Au premier regard, en tout cas. En fait, Kiki Smith poursuit une démarche créatrice toujours en réécriture. Son travail revêt plusieurs facettes en s’appropriant une multitude de matériaux (verre, bronze, bois, acier, plâtre, terre cuite…). Les artistes qui sont continuellement en train de reformuler leur recherche artistique, qui ressurgissent là où on ne les attendait pas, sont, sans aucun doute, plus intéressants que ceux qui toute leur vie durant font la même chose.

Voici donc un moment d’accalmie dans l’art de Kiki Smith. Accalmie ne veut pas, pour autant, dire calme plat. Bien au contraire. On est certes bien loin du corps fragmenté et disséqué que cette artiste nous a souvent montré. A voir ses dernières ouvres, on a, au contraire, le sentiment d’un élan vers une forme d’unité, de plénitude, de complétude même. Dans cette exposition, on a beaucoup de formes circulaires: One, grand «O» formé de deux arcs-en-ciel de néons; Mushrooms – 29, éléments de bronze blanc mis en cercle; Red Moons, de trop simples cercles rouges sur fond vert faits de 105 carrés de verre. Mais cela n’a pas totalement perdu son aspect religieux ou mystique. Il faut penser à toutes ces ouvres ensemble pour comprendre leur cohérence. Red Moons dans la texture du verre est très proche d’un vitrail d’église. One dans sa forme et dans son rayonnement lumineux évoque une unité et une totalité presque divines. Le religieux (au sens large du terme) n’est pas ici évoqué comme salvateur mais plutôt comme force réconciliatrice. Cela semble lié au romantisme et à la grandeur de la nature (l’arc-en-ciel, la lune) comme force et ordre supérieurs. Toutes ces ouvres parlent du ciel et d’un voltigement où l’on perdrait les paramètres terrestres: les arcs-en-ciel sont vus de côté, les champignons sont accrochés au mur et semblent vus d’en haut… Cela évoque le vol des oiseaux (et par là, de l’âme?) qui sont présents, entre autres, sous forme de dessins évanescents de colombes. Ces oiseaux sont morts. Et c’est là toute la clé du travail récent de Smith. C’est plus léger et aérien, mais ça reste anxieux.Quitte à sembler kitsch, on pourrait même ajouter qu’il s’agit d’être en paix avec la vie… Essentiel.

Jusqu’au 19 décembre
Galerie René Blouin.

pour le plaisir
Allez voir l’exposition de Christian Barré, Martin Bourdeau, Stéphane LaRue et Gérald Zhand au local 524 de l’édifice le Belgo, intitulée Muser. Selon le Robert, ce mot signifie «perdre son temps à des bagatelles, à des riens»… ou bien il sert à parler du cerf en rut! Bien que ce soit certainement au premier sens de ce mot que ces artistes ont pensé, la bizarrerie du second sens n’a pas dû leur déplaire. Il y a dans leurs ouvres une sérieuse légèreté, et ces «petits riens» qu’ils exposent sont des plus intéressants.
D’abord, Monochrome démocratique, de Christian Barré, est une toile composée de poivre de Cayenne. Allusion picturale à l’actualité et au Peppergate , mettant en cause Jean Chrétien. C’est simple, direct, et cela démontre comment des artistes croient, heureusement encore, en une fonction politique de l’ouvre d’art. Cela évoque les dadaïstes et, en particulier, Soupault et son miroir, belle surface unifiée, intitulée Portrait d’un imbécile!

Barré a montré son travail à Montréal Télégraphe au mois de septembre dernier. Lors du vernissage-performance, se promenait une itinérante (pour elle, l’artiste avait conçu une tirelire ergonomique) et un squeegee nettoyait une vitrine… Pour remercier les amateurs d’art d’être venus, Barré leur serrait la main en y étampant un «merci de me légitimer».

De leurs côtés, Stéphane LaRue et Martin Bourdeau – qui ont participé cet été à l’événement Peinture peinture – prennent l’histoire de l’art comme matériau. LaRue présente une travail différent de ce qu’il avait alors montré (une peinture-installation composée de modules de bois peints) et se sert de Van Gogh comme point de réflexion. On a souvent voulu interpréter Van Gogh en utilisant certains éléments mystérieux et complexes de son état mental. Le mystère du célèbre peintre est ici pris au pied de la lettre. C’est en effet un puzzle qui sert de motif de fond à une retranscription obscure des Tournesols. On ne voit plus que ça. C’est comme une critique d’une certaine histoire de l’art.

Quant à Bourdeau, il se sert des schémas présents dans certains livres d’histoire de l’art qui identifient par des cercles, des numéros ou des lettres les personnages peints dans des tableaux anciens. On croit alors donner du sens aux ouvres en permettant au spectateur de bêtement reconnaître les êtres représentés. Bourdeau ne conserve que ces formes et ces indices d’identification. Les Ménines de Vélasquez, ou Le Déjeuner des canotiers de Renoir, redeviennent avant tout de la peinture avec des rythmes de composition.

Le travail de Gérald Zahnd, moins directement relié aux préoccupations des trois autres, ne manque cependant pas d’intérêt. Des formes abstraites faites d’acrylique sur papier sont suspendues à une certaine distance du mur. Tout comme le travail récent de Guy Pellerin, la peinture dans sa recherche d’autonomie semble ici se libérer de plus en plus du mur comme support.
Ce sont quatre artistes dont on entendra parler dans l’avenir. Jusqu’au 28 novembre. Au 372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 524.

Peinture en mouvement
Pour conclure, signalons les huiles et les collages d’encres marouflés sur toile de Michel-Thomas Tremblay présentés, à la galerie Bernard Desroches, jusqu’à samedi seulement. L’artiste travaille à la rencontre de la peinture gestuelle et de certaines compositions dynamiques futuristes. Cette exposition est accompagnée d’un catalogue signé par Paquerette Villeneuve. Jusqu’au 30 novembre. Galerie Bernard Desroches.