Jean McEwen : La couleur du temps
Le lauréat du prix Paul-Émile-Borduas, JEAN MCEWEN, expose actuellement chez Simon Blais. Une bonne occasion de renouer avec ce peintre qui a redonné à la couleur ses lettres de noblesse.
Lauréat du prix Paul-Émile-Borduas 1998, le peintre Jean McEwen aura soixante-quinze ans, le 14 décembre prochain. Ce Prix du Québec vient donc couronner une carrière exceptionnelle, ainsi qu’une démarche artistique des plus originales. Le jury a d’ailleurs souligné que l’ouvre de McEwen «constitue un dialogue sans cesse renouvelé avec l’espace pictural, la couleur et la lumière».
Au début des années 50, McEwen a développé un langage abstrait très personnel. Il fut un des premiers peintres au Canada à développer des compositions monochromes. C’était l’époque où l’abstraction était vue comme un danger. Cet artiste, tout en ayant des liens d’amitié ave Borduas (qui le conseilla au tout début de sa carrière) et avec Riopelle (qu’il a rencontré à Paris, en 1951), a su développer un art bien différent de ces derniers.
Le hasard faisant parfois bien les choses, les plus récentes huiles et aquarelles de ce peintre sont actuellement exposées chez Simon Blais, le galeriste montrant un grand intérêt pour l’art abstrait. On peut donc constater par soi-même les raisons qui ont motivé le gouvernement du Québec à reconnaître officiellement cet artiste.
Malgré son âge, Jean McEwen est encore bien en contact avec l’art de son époque. Il a participé à l’exposition Peinture peinture cet été. Lors de son vernissage chez Simon Blais, il expliquait d’ailleurs que c’est en réaction à cet événement qu’il a fini ces dernières ouvres. Certaines des propositions artistiques de Peinture peinture lui semblaient manquer de vie… Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’art de McEwen est loin d’une peinture aseptisée et froide. Cette exposition s’intitule Poèmes barbares et la couleur au premier regard y semble utilisée d’une manière sauvage. Il y a chez McEwen un regain d’intérêt pour la couleur, une couleur vive et explosive. Quoiqu’on y sente parfois une tendance à l’ornemental, les coloris utilisés dépassent une manière de peindre simplement décorative. L’empâtement de la matière picturale crée une patine et un effet anciens qui est en opposition avec la fraîcheur des couleurs. Parfois les teintes sont très déroutantes et très différentes de ce à quoi cet artiste nous avait habitués depuis quelque temps. Quoique, à revoir certaines de ses ouvres plus anciennes (telle Orange, marges rouges, de 1958) on puisse y voir les signes de la continuité de sa démarche artistique.
Un beau catalogue, publié par les Éditions des 400 coups, accompagne cette exposition. Un texte de l’historienne de l’art (et professeure à l’Université de Montréal) Constance Naubert-Riser vient compléter ce parcours visuel et expliquer les résonances intellectuelles de ces coloris. Ce texte, un peu trop court, fait de judicieux liens entre l’usage de la couleur chez McEwen, chez Gauguin et chez Bonnard. On aurait aimé en apprendre un peu plus, de la part de cette intéressante historienne de l’art, sur l’emploi de la couleur en peinture, et en particulier dans les plus récentes ouvres de McEwen. Pour nous permettre de mieux comprendre le cheminement de cet artiste, on a reproduit, en annexe, un texte que Naubert-Riser avait publié lors de la rétrospective McEwen au Musée de beaux-arts en 1987.
On retiendra de cette exposition un désir de rendre à la couleur une fonction révolutionnaire en laquelle ont cru beaucoup d’artistes depuis cent ans: les fauves, les expressionnistes, Picasso après le cubisme… La couleur, du rouge communiste au noir anarchiste, a toujours été liée à des débats politiques importants ainsi qu’à des positions intellectuelles et artistiques fortes. McEwen renoue d’une manière féerique, parfois violente, avec cette tradition colorée.
Jusqu’au 30 janvier
Galerie Simon Blais
Abstraction libre
Dans la salle multidisciplinaire de la galerie Optica, nous est offerte une petite exposition intitulée Contrordre. Préparée par le commissaire François Dion, directeur de la galerie 101, à Ottawa, elle présente deux artistes.
En premier, Sylvain Cousineau qui avait exposé, au Musée d’art contemporain, en 1996, une tour de Pise bien verticale avec un sol penché. Cet artiste récidive en utilisant à nouveau l’humour comme instrument de réflexion. Ses dessins abstraits, tous plus ou moins identiques, ont des titres très amusants et un peu loufoques: Le pape bénissant la foule, le jour de Pâques, sur la Place Saint-Pierre, Anno Domini 2059; Dollard des Ormeaux meurt aux mains des Iroquois. Circa 1660. Cousineau semble l’héritier de «l’incohérent et ahuris» Alphonse Allais qui exposait, en 1884, sa peinture «monochroïdale», dont une toile entièrement rouge et une autre bleue (intitulées respectivement Récolte de la tomate sur les bords de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques et Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la première fois ton azur, ô Méditerranée!).
Les peintures abstraites de Carmen Ruschiensky (qui avait participé cet été à l’événement Peinture peinture et à l’exposition Reclaiming Paradise, en 1996, au Centre Saydie-Bronfman), ont quelque chose d’organique, comme si on voyait des cellules au microscope. Elles continuent à montrer comment l’abstraction est encore bien en vie.
A voir aussi, Bones, de l’artiste torontois Mark Gomes. Des formes en carton, imitant des morceaux de squelettes de reptiles ou des maquettes de modèles architecturaux (ou bien de prothèses), sont présentées comme de faux restes archéologiques. Comme dans le travail de Cousineau, l’histoire devient un matériau, non plus authentique, mais construit et inventé par les historiens. Les squelettes de Mark Gomes, semblables à ceux des dinosaures, laissent place à un travail interprétatif et inventif qui dépasse les limites de véracité que la science souhaiterait se donner. L’artiste aurait pu broder, un peu plus, autour de cette idée d’interprétation archéologique et historique, en faisant, par exemple, des dessins recréant la fonction de ces différents fragments, comme on produit des reconstitutions des dinosaures à partir de leurs fossiles. Malheureusement, cela fait un peu trop penser à Tony Cragg (naturalisation d’un produit humain). Squelettes qui manquent un peu de chair. Malgré tout, c’est intéressant.
Jusqu’au 5 décembre
Galerie Optica