La Série des couvents : Le temps suspendu
Avec sa série de photos mystico-kitsch, montrant la vie des religieuses dans les couvents québécois, l’artiste CLARA GUTSCHE lève le voile sur un pan de notre passé qu’on préférerait oublier. Étrange et surprenant.
Ces derniers temps, on parle beaucoup de l’héritage culturel et intellectuel québécois. On vient juste de fêter les cinquante ans de Refus global, en se demandant, encore une fois, quel a été le véritable impact de cet événement.
L’artiste Clara Gutsche (née aux États-Unis mais vivant au Québec depuis 1970) s’intéresse elle aussi à cette histoire. Au Musée de Joliette (où se tient d’ailleurs une petite expo sur les Automatistes), elle expose quatre-vingt-dix photographies montrant la vie des religieuses (pour la grande majorité cloîtrées) dans vingt-cinq communautés au Québec. C’est un sujet qui pourrait paraître peu séduisant. Ce n’est pas nécessairement à ce genre d’héritage (culturel et sociologique) que l’on se réfère de nos jours. Pourtant…
Pour l’immigrante Gutsche, La Série des couvents a été une manière de s’approprier et de comprendre le Québec. Cette intégration s’est faite en ayant parfois un regard un peu dur sur notre société. «J’ai été étonnée par le manque de visibilité du catholicisme et par la véhémence avec laquelle beaucoup de Québécois rejettent leur passé religieux», peut-on lire à l’entrée de l’exposition. Cependant, ces images ne susciteront pas l’agressivité et l’anticléricalisme attendus. L’art de Gutsche nous pose une question importante à l’heure actuelle dans la société et en art en général: comment se réapproprier une certaine forme de religiosité (du patrimoine), à défaut d’une religion en particulier (surtout au moment où le catholicisme piétine et refuse, par exemple, encore et toujours, l’ordination des femmes)?
Il s’agit donc d’une exposition à ne pas manquer, avec de merveilleuses photographies. Certaines font penser au Fellini de Juliette des esprits; ou à Almodovar: deux cinéastes qui ont su critiquer et se réapproprier très justement la religiosité dans leur pays. D’autres évoquent l’esprit mystico-kitsch des artistes français Pierre et Gilles. Toutes sont des mises en scène réalistes (comme le faisait Doisneau) qui tentent de reconstituer par l’image le quotidien réel de ces femmes dans leurs couvents. Cela évoque, par moments, une atmosphère surnaturelle (presque extraterrestre) et, à tout coup, un sentiment d’étrangeté. Sont-ce vraiment des photos prises maintenant? Un tel mode de vie existe-t-il encore de nos jours?
La simplicité du décor monastique a parfois un petit côté rétro digne du design postmoderne. Ces photos pourraient nous faire aimer la vie des cloîtrées et autres amantes de Dieu. On y voit des religieuses jouant aux cartes ou au tennis ou faisant du ski, d’autres les montrent en prière ou en méditation…
Certes, on n’oubliera pas de regarder ces images en ouvrant grand les yeux sur toutes ces grilles, parloirs, barrières, voiles, et autres éléments qui coupent ces femmes du reste du monde. Tout cela ne doit pas nous faire oublier qu’il fut une époque où, au Québec, dans chaque famille, on se sentait obligé d’avoir une religieuse ou un religieux. Toutes et tous n’ont pas eu la vocation. Remarquons aussi qu’aucune de ces femmes n’est représentée avec son nom et son identité personnelle.
On ressentira alors avec plus de force ces photos nous montrant une vision du monde pas uniquement religieuse. On peut y voir des vies qui semblent échapper au monde habituel. On peut y lire un autre type de liens entre les individus et une communauté marginale. A cela, on peut certainement plus facilement s’identifier.
Un très beau catalogue (conçu par le graphiste François Blais), avec un très intéressant texte de France Gascon (directrice du Musée de Joliette), accompagne cette exposition. Celle-ci souligne l’importance des communautés religieuses féminines au Québec «dans les domaines de l’éducation, des soins hospitaliers et du service social».
Si vous avec eu la révélation… vous pourrez en profiter pour aller contempler l’intéressante collection d’art sacré du musée (et, en particulier, une époustouflante Immaculée Conception, faite de papier mâché). Magnifique.
Jusqu’au 10 janvier
Au Musée de Joliette
Josée Lambert
Ils étaient absents sur la photo. Voilà le titre d’une exposition troublante de la photographe Josée Lambert à la maison de la culture Côte-des-Neiges. Il s’agit d’«un portrait de familles libanaises privées d’un des leurs, détenu à Khiam». Depuis 1985, onze personnes sont mortes dans ce centre de détention, dans le Sud du Liban, occupé par l’État d’Israël. Y ont été incarcérés plusieurs milliers de Libanais durant plusieurs mois, voire plusieurs années. Les prisonniers (parfois des mineurs) en sortent avec des troubles physiques et mentaux, certains ayant même subi des amputations.
Lambert a voulu rendre compte de son émotion devant une telle situation. Dans cette exposition, elle nous montre la souffrance sur les visages de ces détenus ainsi que de leurs mères, de leurs sours, de leurs frères. On peut y voir, par exemple, Abdel Bahij Tourmos, arrêté en 1986, en zone occupée, puis transféré dans la prison israélienne D’Ahr Kelon. Celui-ci affirme que «dans cette prison, les interrogatoires et la torture sont supervisés par des médecins», corroborant ainsi un rapport d’Amnistie internationale.
Au moment où l’on fête les cinquante ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme par les Nations unies, et que Pinochet va enfin être jugé (du moins l’espère-t-on), de telles photos questionnent à savoir si la notion de progrès n’est pas finalement un mythe. Sur place, on pourra trouver des documents d’Amnistie internationale nous indiquant où écrire afin de peut-être aider ces détenus.
Jusqu’au 17 janvier
A la maison de la culture Côte-des-Neiges
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Art et humanisme
La revue Etc. vient de faire paraître son numéro 44, intitulé Art et Humanisme avec des textes d’Isabelle Lelarge (directrice de la revue), de Naïm Kattan, de Louise Fournel, d’Annie Molin Vasseur. Ces auteurs ont interrogé et reformulé ce concept d’humanisme développé à la Renaissance et qui, plus simplement, énonce un intérêt pour l’épanouissement de la personne. On peut lire des réflexions sur un art public qui s’intéresse au bien-être du spectateur; sur une crise de l’art actuel, qui devrait davantage reconnaître sa responsabilité envers l’autre; sur l’Automatisme qui révèle et libère l’individu en lui permettant de se dépasser; sur la peinture (dans l’art de Judith Wolfe) comme réaffirmation de la liberté. On trouve aussi des comptes rendus d’expositions (Peinture-peinture, André Fournelle, Louis-Philippe Demers et Bill Vorn, Shari Hatt, Stéphane Gilot, Sylvie Tourangeau…).