René Derouin : Voyage au bout du monde
Avec sa rétrospective de l’artiste québécois RENÉ DEROUIN, le Musée des beaux-arts rend hommage à un homme pour qui sa propre culture ne peut s’enrichir qu’en s’ouvrant à la culture des autres. Libre-échange.
Au Musée des beaux-arts se tient une rétrospective des quarante années de création de l’artiste René Derouin. L’exposition intitulée Frontières Frontiers Fronteras énonce la transgression de certaines limites.
Au MBAM, on pourra voir des gravures (souvent gigantesques), des reliefs polychromes monumentaux et hybrides, faits de céramique et de bois (travaillé comme chez Paterson Ewen à la toupie); ainsi que des sculptures-installations faites d’acier, de bois et d’eau. Ces ouvres défient les limites habituelles (de dimensions, de matériaux et de techniques) des médiums artistiques. Rares sont les artistes à avoir utilisé la gravure avec autant de maîtrise sur des formats aussi impressionnants (on remarquera en particulier Nouveau Québec qui mesure plus de deux mètres par sept!)
La nature des mondes conviés est, elle aussi, en mutation. Dans ces ouvres gravées, il y a quelque chose de minéral, de végétal, parfois aussi d’aquatique, de spatial et de volcanique. Cela est particulièrement vrai dans les planches ayant servi à imprimer les gravures. Elles sont devenues des ouvres à part entière, des sculptures bas-reliefs qui rappellent le bord de mer après le retrait de l’océan.
Derouin a aussi tenté de franchir des frontières intellectuelles liées à la géographie. A dix-neuf ans, il a découvert le Mexique. Cela a changé son rapport à l’art. Beaucoup d’artistes (dont Gauguin, Picasso, Artaud), depuis un siècle, ont cru au renouvellement de la culture occidentale, au dépassement de ses limites, grâce à un passage par un art premier plus authentique. Derouin s’éloigne-t-il de cette naïveté-là?
C’est à travers un heureux métissage culturel qu’il poursuit un «processus très lent d’enrichissement de sa propre culture et d’ouverture à l’autre.» Pourtant, on a le sentiment que la recherche d’une utopie n’a pas complètement disparu de son travail (Paradiso: paradis en est un exemple). De plus, ces ouvres montrent des références à l’art précolombien et au baroque des conquérants espagnols. Le métissage colonial pose des problèmes que Derouin ne semble par vouloir nécessairement interroger (et dans lequel il voit une simple dualité).
On regrettera aussi la qualité moindre des figurines-sculptures de céramique (dans Place publique) présentes dans certains bas-reliefs. A cause de cela, il s’agit d’une exposition un peu inégale.
Jusqu’au 14 mars
Musée des beaux-arts
L’image engagée
Le Vidéographe a fêté ses 25 ans. Et pour se remémorer son histoire, on peut se rendre à la maison de la culture Côte-des-Neiges et visiter la très intéressante exposition Voir la vidéo qui présente des documents visuels des trois dernières décennies. Pour les années 70, une fabuleuse Introduction au Vidéographe, avec Robert Forget, replace le vidéo à une époque où il y avait une atmosphère d’engagement social et politique. Marie-Michèle Cron (coordinatrice de l’expo) rappelle, dans le texte de présentation, comment, durant ces années-là, «l’accès des citoyens à l’information, le droit à la parole, la lutte à la pauvreté, la délocalisation et le contrôle des moyens de diffusion jouent un rôle crucial dans l’apprentissage de la vidéo».
Pour les années 80, un document montre des vidéastes expliquant leurs visions de ce médium. Marc Paradis voit dans la vidéo une liberté de création (sans producteur), une possibilité d’un art autogéré. Nelson Henricks avait reconnu dans le Vidéographe un esprit communautaire, et dans le vidéo, une manière de court-circuiter les longs délais de production du cinéma. Jeanne Crépeau explique comment, pour elle, le Vidéographe a été lié à un certain militantisme et, en même temps, à une forme de nouvelle narrativité.
Pour les années 90 (technologie interactive oblige), on a droit à un intéressant cédérom qui propose des extraits de vidéos. Pour conclure, on propose Revoir la collection, avec 44 ouvres sélectionnées par Nicole Gingras parmi les 1100 titres de la collection du Vidéographe. On peut y revoir, entre autres, un documentaire (encore très efficace et fort) sur le catch, Continuons le combat (1971) de Julien Poulin et Pierre Falardeau. A voir. Sans faute. Jusqu’au 24 janvier. Maison de la culture Côte-des-Neiges.
Le passé à perte de vue
Chez Vox, on peut voir Ouvres oubliées du photographe Patrick Altman. Les neuf dixièmes du sol de la galerie sont recouverts (sur 25 colonnes) par 1400 photos sous verre. Chacune d’elles évoque l’atmosphère des musées, des tableaux ou objets anciens. Comme des archives qui nous parleraient de la mémoire. Les images aux premiers rangs sont parfaitement lisibles, mais plus notre regard s’éloigne, vers le fond de la galerie, plus elles deviennent indéchiffrables, ne montrant plus que la brillance du verre. Cette ouvre est une intelligente transposition physique, spatiale, presque géographique de l’expérience temporelle de la vie (et des oublis que le temps provoque). Galerie Vox. Jusqu’au 7 février