Jacques PerronStéphane La Rue : Arrêt sur image
De sa tournée des galeries, notre critique a retenu les expositions de deux artistes dont le travail est bien maîtrisé. JACQUES PERRON s’intéresse à ce qu’il y a d’évanescent dans la photographie. Et STÉPHANE LA RUE poursuit ses recherches plastiques sur la peinture, dans une «approche sculpturale».
Depuis de nombreuses années, Jacques Perron (dans plusieurs expositions à la Galerie Rochefort, à la Galerie Chantal Boulanger…) utilise la photographie non pas comme lieu d’énonciation d’une certitude ou d’une vérité fixe, précise, arrêtée par l’instant de la prise de la photo; au contraire, dans le travail de Perron, on note un intérêt pour ce qu’il y a d’évanescent dans le médium photographique.
Dans Faire et Défaire, chez Oboro, cet artiste, en collaboration avec la commissaire et auteure Nicole Gingras, présente, cette fois-ci, quatre installations vidéo et une installation filmique. Les images (pour la plupart fixes – ou peu s’en faut) y sont toujours en train de disparaître et de réapparaître, dans un va-et-vient entre le net et le flou, entre la clarté et l’obscurité. Ici, une projection vidéo montre un visage d’homme et un feuillage en superposition, et qui, en alternance, ont des contours troubles puis précis. Là, sur un mur, on peut voir une rétroprojection (d’un film 16 mm) montrant un homme immobile disparaître, dans un fondu au noir, pour réapparaître ensuite. Au bout d’un temps, on voit plus le processus de disparition de l’image que l’image elle-même.
Sur un autre mur, une caméra survole, en gros plan, à «ras de peau», un abdomen qui se gonfle et se dégonfle au rythme de la respiration. C’est presque sensuel, c’est comme le corps d’un amant que l’on détaille du regard. Mais parfois le gros plan est tel que l’épiderme devient une surface abstraite, juste un morceau de chair, le grain d’une peau. La trame vidéo apparaît même, au bout d’un moment, plus présente que ce corps.
Le travail de Perron procure le même type de sentiment d’étrangeté que l’on ressent lorsque l’on voit une photo de soi (ancienne ou récente) ou même, lorsqu’on entend un enregistrement de sa propre voix et qu’on a du mal à s’y reconnaître. Cette sensation bizarre est encore plus forte lorsqu’on regarde une image d’un être qu’on a aimé et qui est absent. Certes, la légende veut que des tribus africaines aient eu peur de se faire prendre en photo de crainte de perdre leurs âmes. Pourtant, l’image (vidéo) est ici beaucoup plus le signe d’une absence que celui d’une possession. Il semble impossible d’y capter le temps. D’ailleurs, si l’on reste trop longtemps immobile dans la galerie, un détecteur stoppe la projection de deux ouvres présentées… Troublant.
Jusqu’au 21 février
Galerie Oboro
Stéphane La Rue
Stéphane La Rue est un artiste très productif qui, depuis quelque temps, a exposé des ouvres intéressantes révélant une démarche créatrice dès plus cohérentes. Évidemment, on se rappellera sa participation remarquée à Peinture peinture, l’été dernier, avec une peinture-installation (recouverte par endroits d’un pigment blanc et qui faisait penser à de la sculpture minimaliste), ainsi qu’en novembre dernier ses dessins un peu évanescents (citant Les Tournesols de Van Gogh) lors de l’exposition Muser réalisée en collaboration avec Christian Barré, Martin Bourdeau et Gérald Zhand.
Au Belgo, dans l’espace 502 (parrainé par René Blouin), La Rue poursuit ses recherches plastiques sur la peinture, dans une «approche sculpturale», et cela en particulier sur le monochrome blanc. Il expose de grands formats (1,7 mètre sur 1,4) presque entièrement immaculés faits d’acrylique sur toile. Au premier regard, on dirait de parfaits et impeccables monochromes. Et puis, en s’approchant, on s’aperçoit d’un léger trouble de perception. Il s’agit en fait de toiles sur lesquelles se détachent des bords, à peine, deux plans de couleur blanche légèrement décalés. Comme deux feuilles de papier placées l’une par-dessus l’autre. La référence à Malevitch (et à Carré blanc sur fond blanc de 1918) est bien sûr incontournable. La Rue montre, encore une fois, sa capacité à digérer et à travailler intelligemment des formes artistiques historiques. Dans ces tableaux, il y a une négation de la bidimensionnalité d’une certaine peinture abstraite. Ils sont en fait construits comme une succession de plans dans l’espace. L’aspect volumétrique de ce travail est appuyé par la largeur des châssis utilisés qui donnent une présence très physique à ces tableaux. Il s’agit d’un travail extrêmement bien maîtrisé. On sera tout de même moins enthousiaste que pour les expositions précédentes de l’artiste. Malgré la finesse du propos, on sort de cette expo en n’étant pas tout à fait convaincu de la pertinence de cette forme d’abstraction à l’heure actuelle… Jusqu’au 6 février. Édifice Belgo, espace 502.
Histoires d’eau
Toujours dans l’immeuble Belgo, on peut voir, à la Galerie Mistral, une bien belle exposition intitulée Eau. Elle est constituée des ouvres de trois photographes. Ruth Kaplan, avec sa série de Baigneurs, et Jean-François Baumard, par le biais de ses photos de hammams montrent, sans trop d’exhibitionnisme ou de voyeurisme, le corps qui se dénude, s’expose et se soumet au plaisir des sens que l’eau procure. Des piscines des centres de thalassothérapie aux bains turcs, en passant par les bains de vapeur et autres formes d’immersion, ces photos racontent plusieurs histoires d’eau. Les bains y sont présentés comme des lieux sociaux importants. Et pas seulement, comme le dit Baumard, parce qu’on y dépasserait le «matérialisme» de notre société qui «s’en va en se dégradant». Des photos, plus documentaires, des Eaux du Sahel, réalisées par John Mink (de la célèbre agence Magnum), viennent compléter ce portrait aquatique. Jusqu’au 13 février. A la Galerie Mistral.