Jeff Wall : Au-delà du réel
Les présentations de photographies de JEFF WALL à Montréal se comptemt sur les doigts d’une main. Avec le premier solo de l’artiste au Québec, le Musée d’art contemporain réajuste le tir. Attention, événement!
S’il fallait ne sortir qu’une seule fois cet hiver, ce serait pour aller voir l’exposition Jeff Wall (Ouvres 1990-1998) au Musée d’art contemporain. C’est l’événement le plus marquant dans les musées à Montréal cette saison, voire des dernières années.
Curieusement, Jeff Wall n’avait jamais eu d’exposition solo au Québec. La dernière présentation importante de ses ouvres au Canada remonte à 1990 à la Vancouver Art Gallery. A Montréal, on avait juste eu droit à une ou deux de ses photographies (entre autres durant L’Effet cinéma, en 1995, au Musée d’art contemporain). A chacune de ces rares apparitions, on en redemandait. Mais, depuis quelque temps, on avait seulement pu admirer, au Musée des beaux-arts (dans une des salles dédiées à l’art contemporain), une nature morte inspirée de Van Gogh et intitulée Sunflower.
Pourtant, Jeff Wall est un artiste canadien bien connu sur la scène artistique du monde industrialisé. Son travail, dans les années quatre-vingt-dix, a été montré du Japon aux États-Unis, en passant par Paris, Londres, Madrid et Rotterdam. En 1997, il était même présent à la célèbre Documenta X de Kassel, en Allemagne.
Au MAC, on pourra enfin voir près de trente photographies de l’artiste vancouvérois. Le commissaire, Réal Lussier, propose une exposition vraiment fabuleuse accompagnée d’un catalogue dans lequel Nicole Gingras signe un texte des plus intéressants.
Certes, quitte à ce que la présentation soit un peu plus serrée, on aurait aimé voir quelques exemples d’ouvres antérieures à 1990. Cela n’aurait pas été superflu et n’aurait certainement pas rompu la cohérence de l’ensemble. Bien au contraire.
D’ailleurs, en conférence de presse, Jeff Wall a tenu à définir sa pratique artistique en la situant par rapport aux années soixante-dix et quatre-vingt où il avait voulu «montrer les limites de la photographie classique».
Dans les ouvres présentées, il faudra voir une continuité en ce qui a trait à ce désir d’ouvrir le médium photo à d’autres types de pratiques artistiques. L’utilisation de caissons lumineux provenant du domaine de la publicité, qui donnent aux images une luminosité digne de la projection cinéma, ou bien des références explicites à la peinture ancienne, en sont des exemples. L’artiste a même confié qu’il était allé jusqu’à définir ses photos comme étant de l’ordre du travail cinématographique. Certaines images de Wall ont un aspect narratif qui fait en effet penser à un photogramme. L’action présentée y semble interrompue, comme s’il allait se produire quelque chose de plus. Un exemple de cette rencontre entre différents médiums artistiques peut se voir clairement dans Restoration (1993), qui fait près de cinq mètres de long, et qui montre des restaurateurs au travail sur un tableau d’histoire ancien. Comme Réal Lussier le note, cette ouvre «concilie peinture d’histoire, photographie et image en cinémascope».
Mais, depuis quelques années, la nouveauté de l’ouvre de Wall réside dans un retour plus marqué sur ce qu’il a qualifié de «straight photography». Mais il ne faudrait voir aucune connotation sexuelle ou d’ordre moral dans une telle expression. Il serait simpliste d’opposer le travail de Wall à celui plus révolutionnaire de Mapplethorpe ou de Serrano. Heureusement, le résultat (en particulier dans de simples photos en noir et blanc sans boîte lumineuse) montre qu’il ne s’agit pas uniquement de retrouver la norme photographique ancienne. C’est évidemment le risque qui guette toute ouvre qui renoue avec l’Histoire et avec l’art classé. C’est sur ce type de retour à l’ordre que certains artistes des années quatre-vingt se sont cassé le nez. La photo classique (à la Walker Evans ou à la Cartier-Bresson), Wall tente plutôt de se la réapproprier, de la réinvestir en lui redonnant des qualités contemporaines, une présence tangible dans le moment présent. Comme le fait remarquer Nicole Gingras (à propos de Restoration), il n’y a pas de nostalgie dans le travail de Jeff Wall.
Le photographe se réfère volontiers à Baudelaire qui imaginait l’artiste comme «peintre de la vie moderne» sachant capter le temps présent qui s’écoule. Lors d’une rencontre avec la presse, mercredi dernier, Jeff Wall a expliqué aussi que Baudelaire peut nous apprendre à appréhender l’actualité, les événements forts de notre monde contemporain. Selon lui, sa poésie imitait le journalisme. Et, Wall effectue, en effet, lui aussi, une forme de poétisation du contemporain (mais pas lyrique pour un sous, mais presque réaliste à la Courbet). On pourrait même dire qu’il s’agit de ramener à la banalité du quotidien, de rendre plus prosaïques des moyens d’expression (tels que la peinture, le cinéma et, bien sûr, la photo) qui ont une tendance à la grandiloquence. Tout cela afin de capter la saveur (souvent aigre) du temps qui passe.
Il faut surtout aller voir ces photos pour l’ambiance qui s’en dégage, pour leur aspect digne des films de David Lynch (comme Blue Velvet) ou de Hitchcock (comme The Birds). Cette atmosphère étrange qui évoque la banlieue ou des lieux similaires, souvent bien ordonnés et un peu trop familiers. Ces endroits pourraient rester tels quels pour l’éternité dans leur banalité. Mais, bizarrement, ils semblent annoncer une catastrophe. Dans les photos de Jeff Wall, il y a un effet de déjà-vu un peu troublant. Une inquiétante étrangeté. A la fois angoissante et fascinante.
Jusqu’au 25 avril
Musée d’art contemporain