La collection Borduas du Musée d'art contemporain : Faits et gestes
Arts visuels

La collection Borduas du Musée d’art contemporain : Faits et gestes

Pédagogue, théoricien, révolutionnaire ou libérateur, il y a bien des façons de parler de Paul-Émile Borduas. Mais, Borduas c’est aussi un peintre. Un peintre dont l’ouvre picturale fut déterminante.

La dernière exposition de Borduas au Musée du Québec a eu lieu en 1982. Dix-sept ans plus tard, le Musée convoque de nouveau l’ouvre du peintre. Pour cette occasion, Yves Lacasse, conservateur au Musée du Québec, a sélectionné 71 ouvres provenant de la Collection Borduas du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC): des tableaux figuratifs réalisés au début des années 40, en passant par les premières explorations automatistes, jusqu’aux ouvres d’exil, de New York à Paris où Borduas terminera ses jours en 1960. Les huiles, gouaches, aquarelles et encres présentées permettent d’envisager l’envergure de son ouvre picturale.

Encore les automatistes?
Les événements commémorant le 50e anniversaire de Refus global sont officiellement terminés mais le passage des tableaux de Borduas à Québec ne peut se passer sous silence. Borduas a joué un rôle déterminant dans l’histoire du Québec, autant par ses écrits, par son enseignement que par sa peinture. C’est autour de lui que s’est formé le groupe des automatistes, à coup d’événements (danse et théâtre), d’expositions et de controverses. Comme le souligne François-Marc Gagnon, dans sa Chronique du mouvement automatiste québécois: «Ils ont été à l’avant-garde de la modernité dans notre milieu. Ils nous ont fait comprendre qu’être "moderne", c’est aussi répondre moralement de son temps.» Mais, bien plus qu’un prétexte à des commémorations ou un simple événement historique, l’ouvre de Borduas conserve à plusieurs égards toute son actualité.

La peinture libérée
Quand on aborde la peinture de Borduas, on peut difficilement faire l’économie de ses écrits et de son enseignement. Il y avait en effet, chez les automatistes et particulièrement chez Borduas, un lien intime entre l’art et les idées. Sa réflexion était alimentée par André Breton et le surréalisme européen. Toutefois, pour Borduas, il ne s’agissait pas de représenter le monde intérieur, celui de l’inconscient ou du rêve. La peinture était pour lui une exploration sans intention et sans conception préétablie où chaque coup de spatule guidait le suivant. C’est dans cet esprit qu’il produira ses premières aquarelles et huiles automatistes, dont certaines font partie de l’exposition du Musée du Québec. Selon Borduas, l’artiste devait se défaire des conventions. Comme il le rappelle dans Projections libérantes écrit en 1949, il faut chercher dans l’exercice du dessin «l’authenticité de l’expression, plutôt que [la] somme des illusions». On comprend pourquoi certains étudiants, insatisfaits des cours à l’École des beaux-arts, leur préféraient ceux de Borduas. A travers ses explorations picturales et son enseignement Borduas rompait avec la tradition et l’art académique. Le défi qu’il proposait à ses étudiants était de taille! Pour Borduas, il ne s’agissait pas seulement de refuser l’académisme d’une peinture à la figuration surannée, mais il fallait aussi refuser tous les académismes. Y compris celui consistant à répéter les découvertes et les procédés, même si ce sont ceux de Picasso ou de Matisse. Tout était donc radicalement à faire et à refaire continuellement.

Borduas, l’anarchiste
Au moment où Borduas entamait ses premières aquarelles automatistes, un bon nombre de livres étaient à l’index: la poésie de Rimbaud ou de Baudelaire, sans parler des écrits surréalistes dont la circulation se faisait très discrète. Pour les lire, les voyageurs devaient rapporter eux-mêmes dans leurs bagages les ouvrages suspects. La Grande Noirceur et le duplessisme, c’était sérieux! C’est dans ce contexte qu’émergent les idées et la peinture marginales de Borduas. Sa pensée était radicale, autant en matière d’art qu’au niveau social. Dans La Transformation continuelle de 1947 (publié pour la première fois en 1977) Borduas écrivait: «Nous croyons la conscience sociale susceptible d’un développement suffisant pour qu’un jour, l’homme puisse se gouverner sans police, sans gouvernement. Les services d’utilités publiques devant suffire.» Ces réflexions ne conservent-elles pas toute leur charge subversive? En 1948, c’est contre l’idéologie du clergé et des partisans de Duplessis que s’élèveront les voix de Borduas et celles des signataires de Refus global. Au tout début du virulent manifeste, Borduas fait un portrait du Québec d’alors: «Rejetons de modestes familles canadiennes-françaises, ouvrières ou petites bourgeoises, de l’arrivée au pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur; par attachement arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités.» Le manifeste dénonçait ensuite le pouvoir, l’élite, la censure, etc. A cela, les signataires du manifeste opposaient une libération et une ouverture sur le monde: «Place à la magie! Place aux mystères objectifs! Place à l’amour! Place aux nécessités.» Le coup d’envoi était lancé. Mais les représailles ne tarderont pas. Borduas sera rapidement congédié de l’École du meuble. En 1953, il s’exilera et poursuivra à New York et à Paris une ouvre en constante transformation. C’est de cette période d’exil, moment à la fois de tourments et de maturité, dont témoigne une grande partie des ouvres présentées au Musée du Québec. Ces ouvres, on les apprécie d’autant plus qu’elles sont aussi l’expression de la révolte profonde et perpétuelle de Borduas.

A lire sur Borduas
Si l’exposition du Musée aiguise votre curiosité, ces pistes de lecture sauront la combler. Elles ont le mérite de référer à une quantité d’autres ouvrages tout aussi essentiels. Les Écrits de Borduas sont la première référence obligée. L’édition critique publiée en 1987, rééditée récemment aux Presses de l’Université de Montréal, est abondamment commentée et on y trouve plusieurs textes, dont Manière de goûter une ouvre d’art, Refus Global et Projections libérantes. A lire aussi, l’ouvrage de l’historien d’art François-Marc Gagnon Chronique du mouvement automatiste québécois 1941-1954, sorti depuis peu chez Lanctôt Éditeur. Un véritable travail d’enquête, alimenté par une abondante correspondance et une quantité phénoménale d’articles de journaux.

Jusqu’au 3 octobre
Au Musée du Québec
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