Amour-horreur : Contre nature
La Centrale présente le travail de trois artistes qui abordent, chacun à leur façon, la création à travers des sensations de répulsion, de dégoût et d’agression. Un résultat esthétiquement très fort.
À La Centrale, ces jours-ci, on peut voir le premier volet d’Amour-horreur, une intéressante exposition organisée par la commissaire, artiste et auteure Gail Bourgeois. Elle y présente le travail de trois artistes qui abordent, d’une manière ou d’une autre, des processus de régénération qui trouvent leurs sources dans ce qui, paradoxalement, ne devrait produire que des sentiments de répulsion, de dégoût et d’agresion.
Qui n’a pas peur des abeilles? Aganetha Dyck, pour sa part, leur voue un amour certain. Bien sûr, on se rappelle cette artiste. L’automne dernier, sa participation à l’exposition Entre corps et âme, à la Galerie Leonard & Bina Ellen, avait été très remarquée. Une extraordinaire et monumentale Glass Dress faite de cire d’abeille y était montrée. Elle nous revient avec des ouvres de petits formats un peu moins fortes, et avec un propos plus simple, qui énoncent encore sa passion pour ces hyménoptères. Ceux-ci (nous dit la fiche technique) ont d’ailleurs collaboré à la création des ouvres. Dans Working in the Dark: First Wax, on voit des dessins d’insectes, et autres formes organiques et animales plus ou moins identifiables, englués dans la cire et comme réutilisés dans les structures alvéolaires. L’intrusion d’éléments étranges et étrangers (imprévisibles) semble être ici à la base de toute construction vivante.
De son côté, Francine Larivée travaille avec des mousses spongieuses qui croissent sous des cloches scellées et éclairées intensément. Cela évoque les cages pour animaux dans les zoos, les bonsaïs, ou même les pieds des jeunes filles chinoises enserrés dans des bandelettes afin de les empêcher de grandir.
C’est aussi l’envers (quoiqu’en plus séduisant) de la très efficace installation d’Annie Thibault, La Chambre des cultures (avec des éprouvettes contenant des moisissures et des bactéries) qui a été présentée, juste en face, à la galerie Skol, en novembre dernier. La réappropriation des expériences scientifiques semble être à la mode en art. L’enfermement d’organismes vivants produit, malgré tout, des formes fascinantes. C’est esthétiquement très fort. Mais la contrainte et l’isolement sont-ils vraiment toujours créateurs? On peut en douter.
Dans la salle médiatique, on rend hommage à Joyce Wieland (décédée l’été dernier). Cette artiste a réalisé des courts métrages bien intéressants. Birds at Sunrise montre des oiseaux survivant à l’hiver. Pour Wieland, ils furent symboliquement un point de départ pour parler de l’identité juive et de la renaissance à partir de la souffrance. On remarquera aussi, tourné lors du débrayage à la biscuiterie Dare, Solidarity (1973), où on ne voit que des pieds qui piétinent. La grève devient le début de la construction d’une nouvelle force identitaire.
Jusqu’au 11 avril
Galerie La Centrale
La fée du logis
L’artiste catalane Eulàlia Valldosera est de passage au Musée d’art contemporain. Elle propose une installation des plus intéressantes qui s’intitule Habitacion. Un jeu d’ombres y évoque des souvenirs de l’artiste. Cela se passe dans un espace privé qui tient à la fois de la chambre et de la cuisine. Ces lieux sont symboliquement des microcosmes dans lesquels depuis l’enfance nous avons tous appris le monde… C’est très fort. Les ombres des spectateurs qui se mêlent à ceux de ces souvenirs projetés sur les murs ajoutent à l’effet créé.
Un peu décevante est cependant Envases: el culto de la madre, composée de bouteilles de nettoyant achetées à travers le monde et utilisées pour créer, grâce à des projecteurs, des silhouettes féminines. Valldosera y commémore intelligemment «la mémoire des femmes» qui ont tenu maison. Chaque bouteille devient comme une petite fée du logis ou autre madame Blancheville. Cela permet de renouer avec des archétypes de la femme. Des photos montrent d’ailleurs des urnes aux formes féminines datant de l’Antiquité… Mais on sent trop la référence au Ready-made de Marcel Duchamp ainsi qu’à Andy Warhol et à la société de consommation. Cette réflexion sur la mondialisation des produits d’entretien et des habitudes de consommation reste un peu faible. Certes, toutes les bouteilles à travers le monde se ressemblent… Elles sont le symptôme d’une histoire du marketing, d’une uniformisation esthétique (et de la vie en général). Mais on était déjà un peu au courant. Plus captivants sont les vidéos présentés, en particulier Devocion retratada.
Jusqu’au 25 avril
Musée d’art contemporain
Collection d’art africain de Han Coray
Picasso, Vlaminck et Matisse se sont passionnés pour l’art africain, qu’on appelait alors «l’art nègre». Bien des masques africains ont orné les ateliers d’artistes de l’époque. C’est d’ailleurs par le biais de collections comme celle du Suisse Han Coray que les artistes européens ont pu les découvrir. En exclusivité canadienne, une partie de la collection d’art africain d’Han Coray est présentée au Musée du Québec jusqu’au 11 avril.
Les figures expressives aux formes schématiques étaient, pour les peintres modernes, une source d’inspiration totalement nouvelle. Imaginez: à ce moment-là, dans les écoles des beaux-arts, on demandait encore aux artistes de travailler à partir de copies de statues romaines! On comprend que l’intérêt des artistes pour l’art africain ait signifié aussi le rejet de la tradition occidentale de l’art. Certes, la venue de la Collection Han Corey à Québec permet de découvrir des objets qui ont pu séduire certains artistes modernes, mais il s’agit aussi de les envisager pour eux-mêmes, c’est-à-dire comme les témoins d’une grande richesse culturelle et esthétique spécifiquement africaine.
L’exposition compte 200 objets acquis entre 1916 à 1928 par Corey, et réalisés pour la plupart au XIXe siècle et au début XXe. Toutefois, les structures et les motifs de ces objets sont encore plus anciens, puisqu’ils furent transmis et adaptés pendant plusieurs générations. De l’art africain, vous en verrez: des masques, des statues, des objets utilitaires ou rituels, des figures magiques, des bijoux et divers instruments de musique – tambours, harpes ou sifflets. La plupart sont sculptés dans le bois, certains comportent de l’ivoire, du cuir, du laiton, du raphia, etc. Ils proviennent presque tous d’Afrique centrale, de la côte de Guinée au bassin du Congo, et sont le fruit du travail d’artisans de multiples ethnies aux organisations sociales et aux rites variés. Bien que leurs qualités esthétiques s’avèrent remarquables, ce sont avant tout des objets utilitaires. Dans cette perspective, ces objets soulèvent des interrogations concernant le statut des ouvres d’art en général. En effet, sortis de leur contexte d’origine et transportés au Musée, ces objets ne changent-ils pas de sens? (Nathalie Côté)
Jusqu’au 11 avril
Au Musée du Québec: (418) 643-2150