BGL : L’art de consommer
Avec une exposition drôle et décapante sur la société de consommation, le trio d’artistes de Québec BGL s’approprie à sa façon le rêve américain.
Sous l’appellation collective BGL se sont regroupés trois artistes – Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière – qui travaillent ensemble depuis 1996. À Québec, ils ont fait pas mal parler d’eux en exposant des installations dans plusieurs galeries (La Chambre blanche, la Galerie Trompe-l’oil, L’Oil de poisson). À la Galerie Clark, les Montréalais peuvent voir leur ouvre qui pose un regard drôle et décapant sur la société de consommation nord-américaine.
La galerie, dès l’entrée, se présente comme un labyrinthe un peu étrange: plafond assez bas, murs non finis avec montants de bois et soupiraux comme (fausses) fenêtres. Dans cet espace sont placés, ici et là, des objets reconstitués grâce à un plastique blanc translucide. On a souvent vu en art (et ceci au moins depuis les canettes de bière en bronze de Jasper Johns) une telle utilisation et une telle transposition, en d’autres matériaux, d’objets du quotidien.
Mais ici, ces formes, éclairées de l’intérieur, rayonnent d’une aura presque religieuse. L’ensemble fait penser à un sous-sol de bungalow métamorphosé en caverne d’Ali Baba ou en grotte pour mystique (telle Bernadette Soubirous en attente de l’apparition de la Sainte Vierge). De nos jours, plus que Dieu et même l’or, ce sont les objets de consommation issue du monde moderne qui magnétisent nos regards: air conditionné, téléphone, télévision grand écran créant un effet cinéma maison, ordinateur, jeu vidéo brillent magiquement dans la demi-obscurité. Mais plus forte que cette analyse (réussie mais pas si nouvelle) de notre monde moderne est l’ouvre qui nous attend à la sortie de ce couloir des tentations…
Placée à une certaine hauteur sur un échafaudage de bois, trônant comme une statue sur son socle, une immense Mercedes en bois (réalisée à Saint-Jean-Port-Joli) s’impose à notre regard. Il s’agit presque d’un veau d’or qui domine physiquement le spectateur. On comprend alors que cette exposition nous dit que l’espace architectural de la galerie (comme d’ailleurs celui du musée – ou de tout autre lieu) n’est jamais neutre. La manière de placer le spectateur à une certaine hauteur (et distance) de l’ouvre, avec un certain éclairage, met en scène tout un jeu de pouvoir. Plus que les objets eux-mêmes, c’est le contexte de présentation qui instaure des valeurs visuelles et par conséquent sociales. Lumineux.
Toujours à la Galerie Clark, Corine Lemieux expose Y fait chaud dans mon foyer. Il s’agit d’une pièce entièrement rouge décorée avec quelques éléments de mobilier et surtout avec une quantité industrielle de bibelots représentant des animaux. On y trouve des caniches et chatons en porcelaine côtoyant des cendriers en forme de chien, des oiseaux en plâtre accrochés au mur, un lapin se cachant derrière un fauteuil et même un vrai poisson rouge dans son bocal. C’est un peu comme l’appartement (dans un foyer pour personnes âgées?) d’une vieille tante un peu obsessionnelle et adorant les petites bêtes. Ici et là, traînent aussi quelques symboles phalliques dont un immense concombre-salière (?!?). Ce n’est pas vraiment rassurant. Cela tient presque du film d’horreur. Mais c’est une ouvre moins percutante que celle que Lemieux avait présentée à la Galerie Skol en octobre dernier. Certes, le kitsch en est encore le sujet central. Mais le Centre de la retouche, avec ses brosses à cheveux grouillantes comme des vibrateurs, était beaucoup plus troublant dans sa relecture des identités sexuelles. Nous attendrons tout de même avec impatience la prochaine production de cette artiste.
Jusqu’au 28 mars
Galerie Clark
La fin de la spécificité
Décidément, la commissaire et auteure Nicole Gingras est bien active ces temps-ci. Ce n’est pas qu’on s’en plaindra. Bien au contraire. Après avoir collaboré, entre autres, à la très belle exposition de Jacques Perron à la Galerie Oboro, et avoir signé un intelligent texte dans le catalogue de l’exposition Jeff Wall, elle nous propose une exposition-rétrospective de l’artiste multidisciplinaire Michèle Waquant.
Certaines de ses photographies sont extraordinaires (La Bibliothèque, Resto U. Les Radiateurs). On appréciera aussi les tout petits formats tels que Couple avec chien, arbre à gauche, ou Passants du parc de Sceaux. À notre époque où les photographes ne jurent plus que par les formats gigantesques qui en imposent, ces quasi-miniatures nous obligent à nous rapprocher et à établir un lien plus intime avec l’art. Il ne s’agit pas de simplement revenir à un usage plus privé et plus familier de la photographie. Même dans les ouvres plus grandes, on sent une certaine étrangeté. À cause du cadrage décentré ou des sujets plus ou moins anodins, chaque cliché donne un sentiment de hors-contexte, comme s’il était tiré d’un récit qui serait plus long et plus détaillé.
Ses vidéos sont aussi très intéressants. Très fort est À quoi rêvent les vieux ours. On y discute des rapports masculin/féminin, et aussi d’un Japonais amoureux et cannibale. Des phrases comme «Tu es belle à croquer» et «Pardon si je te coupe» y sont utilisées d’une manière pas vraiment inoffensive…
Malheureusement, les peintures présentées sont souvent faibles. Certes, dans La Nourrice; l’arrière-plan est visuellement intéressant, mais une toile comme L’Homme aux pigeons n’est vraiment pas à la hauteur du reste de cette démarche artistique. Malgré cela, c’est une exposition à voir.
Jusqu’au 17 avril
Galerie de l’UQAM
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