Arts visuels

Martin Bourdeau : La belle histoire

Le peintre MARTIN BOURDEAU propose une lecture critique des manuels d’histoire de l’art ainsi que de la culture bourgeoise en général. Décapant.

Pour notre grand plaisir, ces jours-ci, à la Galerie Éric Devlin, sont exposés les plus récents tableaux de Martin Bourdeau. Ce peintre y poursuit un travail intelligent et captivant. On avait déjà pu, ici et là, grâce à quelques apparitions, malheureusement trop rares, dans des expositions de groupe, entrevoir et annoncer une ouvre originale. Seulement deux ou trois exemples de sa production avaient été présentés lors de Peinture peinture, l’été dernier, ainsi que dans le cadre d’une exposition en novembre au Belgo (avec Christian Barré, Stéphane Larue et Gérald Zhand). Depuis, on était curieux d’en connaître plus.

Avec ce solo de sept tableaux, dont certains de grand format, on peut juger de la cohérence de cette démarche artistique. Il s’agit d’une réflexion bien pertinente sur l’art, et sur la peinture en particulier. Cela n’exclut pas pour autant une attitude pince-sans-rire des plus efficaces.

Au premier regard, ces ouvres se présentent comme des toiles abstraites, noir et blanc et blanches, légèrement texturées, avec des formes ovales de tailles parfois différentes. Cependant, très rapidement, les titres nous disent tout autre chose. Là on peut lire Fig. 14 (La Ronde de nuit de Rembrandt). Ou ici, Fig. 16 ( La Vierge du chancelier Rolin de Van Eyck). On comprend alors que ces formes ovoïdes réfèrent à la place des principaux personnages dans des tableaux anciens. Chaque peinture de Bourdeau tient de l’analyse de composition d’ouvres du passé. Bien sûr, avant que d’être la représentation de telle figure religieuse ou de telle autre personnalité historique, un tableau est une surface plane construite pour créer un effet visuel. Le travail de Bourdeau est une interface entre l’abstraction et la figuration. Mais il y a plus.

Bourdeau propose une lecture critique des manuels d’histoire de l’art ainsi que de la culture bourgeoise en général. Ses toiles sont comme ces schémas dans des ouvrages d’art qui permettent d’identifier les personnages importants de certaines peintures. De tels processus de reconnaissance peuvent donner l’impression d’expliquer le sens de l’ouvre. Celui-ci résiderait (pour le public en général et pour certains historiens de l’art) dans la simple capacité à reconnaître les êtres représentés. Dans le travail de Bourdeau, cette reconnaissance fonctionne à vide et montre son incapacité à expliquer la valeur (symbolique) d’une peinture. Dans ce système d’identification, toutes les images se valent. Les grands tableaux de l’histoire de la peinture occidentale deviennent des cadres pour exposer un savoir petit-bourgeois narcissique.

Cela est d’autant plus vrai que, comme le dit l’artiste, son travail fait penser à ces passe-partout vendus avec des encadrements commerciaux pour les portraits de famille. Il ne reste plus qu’à placer dans chaque forme ovoïde la photo de grand-mère, du petit-fils ou du mignon petit chat. L’art pictural n’est donc pas ici élevé au niveau du monument. Bien au contraire. Chaque ouvre de Bourdeau fait penser à ces images de fêtes foraines. Le temps d’une photo, pour «éblouir la galerie», on peut introduire son visage dans un panneau découpé. Décapant.

On profitera de cette visite pour jeter un coup d’oil sur le travail d’Ariane Thézé présenté dans la petite salle de la galerie. On peut y voir un court vidéo intitulé Le Miroir aux alouettes. Dans celui-ci, l’artiste réfléchit sur la notion d’image. On a droit à des mises en abyme, à des espaces vus par écran vidéo interposé (comme dans le cas d’une caméra de surveillance?) et à une intéressante séquence avec mouvement complet sur 360 degrés. Cette dernière fait penser à ces cédéroms qui proposent des visites virtuelles («comme si vous y étiez») de villes ou de musées très connus.
Jusqu’au 27 mars
Galerie Devlin

Le spectateur à l’ouvre
La technologie utilisée dans les ouvres interactives est toujours très fascinante et enthousiasmante. Malheureusement, de telles créations, souvent très prometteuses, sont aussi parfois bien décevantes.

Voilà donc une belle surprise à la Galerie Oboro! La commissaire Nina Czegledy a réussi un beau coup en invitant l’artiste Thecla Schiphorst (qui, en plus de sa connaissance des systèmes informatiques, a une formation en chorégraphie). Son installation interactive est remarquable. Bodymaps: Artifact of Touch est composée d’une table que l’on peut caresser et qui réagit aux mouvements et à la chaleur de nos mains.

Il s’agit d’un travail métaphorique sur l’eau. On y voit une femme (parfois deux) couchée dans un liquide, et qui semble tourmentée. Est-elle proche de la noyade? Va-t-elle se laisser couler au fond de son désespoir? Les caresses que l’on fait sur cette table (couverte d’un doux velours), sur laquelle est projetée cette image, actionnent un mouvement. On entend un bruit de pluie (presque semblable à celui de larmes) et un bruit d’eau qui se déverse. Nos gestes semblent réconforter et permettre l’épanchement d’une douleur. On interagit et on peut croire qu’on agit, qu’on console. Le toucher devient apaisant. On adore. On en redemande.

Room for Walking, de Daniel Jolliffe, est bien amusante mais moins forte que ce que propose Schiphorst. En déplaçant un chariot, le spectateur actionne un mécanisme de projection d’images au plafond. On devient bizarrement captif de ce dispositif qui nous promet le contrôle. La machine nous donne à voir des images que si on accepte de la déplacer. Un peu trop simple.
Jusqu’au 3 avril.
Centre d’artistes Oboro.

La technologie comme ruine
Alexandre Castonguay, dont on se rappellera la participation à Artifice 98 l’été dernier avec un mur d’écrans vidéo, expose ces jours-ci à l’Espace Vidéographe. Son ouvre s’intitule Les Quatre Saisons. De vieux écrans de télé étalés sur le sol donnent à voir un plan d’eau se transformant selon les saisons. Des capteurs de mouvements déclenchent, selon la place du spectateur dans la galerie, des images montrant des feuilles mortes flottantes, de la neige…

Il est intéressant que la technologie de l’installation vidéo soit ici ramenée à d’anciens écrans démodés projetant des images plus ou moins claires. À notre époque où les produits technologiques (comme les ordinateurs) sont continuellement dépassés, dans une mort et une renaissance perpétuelles, cette ouvre a quelque chose de bien amusant et de bien efficace.
Jusqu’au 27 mars
À l’Espace Vidéographe
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